Samedi 23 novembre 2024

Ils sont venus au coin du feu

Au coin du feu avec Pancrace Cimpaye

20/06/2018 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Pancrace Cimpaye
Au coin du feu avec Pancrace Cimpaye

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Pancrace Cimpaye.

Votre plus beau souvenir ?

Mon plus beau souvenir, c’est l’investiture du premier président burundais démocratiquement élu, Son Excellence Melchior Ndadaye.

Votre plus triste souvenir ?

Mon arrestation et la torture que j’ai subie à la brigade de Cibitoke la nuit du 1er au 2 mai 1995.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

Un fait historique qui doit être la fierté du Burundi est pour moi la résistance du Roi Mwezi Gisabo contre les esclavagistes arabes conduit par Mohamed Bin Khalfan alias Rumariza. Mais le plus haut fait de l’histoire burundaise est sans conteste, cette résistance du même roi Mwezi Gisabo contre les Allemands en 1896. Malgré son infériorité militaire, le Roi a résisté pendant 7 ans contre les Allemands.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

La date de l’indépendance du Burundi, le 1er juillet 1962, est la plus belle date de l’histoire de notre pays.

La plus terrible ?

La date la plus terrible de notre pays, c’est le 21 octobre 1993.

Le métier que vous auriez aimé faire ?

J’aurais aimé être avocat.

Votre passe-temps préféré ?

La lecture et le cinéma.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Mubanga, ma colline natale, en commune Musigati.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Au Burundi.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Un voyage au Singapour pour cerner le miracle singapourien afin de le transposer chez nous. Ce modèle emblématique de développement est une obsession pour moi. C’est un cas d’école faisable au Burundi.

Votre rêve de bonheur ?

Un Burundi qui ressemble économiquement au Singapour. Un Burundi où la population peut manger trois fois par jour. Un Burundi où le chômage serait un mauvais souvenir. Un Burundi où l’équité, la dignité et la liberté règnent en maîtres absolus. Un Burundi réconcilié et où les tragédies multiples qui ont endeuillé le pays sont un lointain mauvais souvenir.

Votre plat préféré ?

La banane accompagnée de petits pois verts (Igitoki n’ubwishaza butoto.)

Votre chanson préférée ?

« Democrate Man » de John Lee Hooker.

Avez-vous une devise ?

Humilité, Equité et Liberté.

Votre souvenir du 1er juin 1993 ?

La confidence de mon Directeur du collège Communal de Mugongo-Manga, à qui je rends un grand hommage, qui m’informait de la colère, contre moi, de certaines personnalités du coin qui appartenaient au parti qui venait de perdre l’élection. Ce soir, il m’a fortement recommandé de fuir vers Bujumbura. Je partis en catastrophe la même nuit laissant tout derrière moi.

Votre définition de l’indépendance ?

Pour moi l’indépendance, c’est l’autonomie politique et économique d’un pays. Mais c’est aussi et surtout la capacité des responsables politiques de ce pays de transcender les clivages de tous ordres et gérer la Cité dans l’intérêt de toute la nation. A ce titre l’indépendance d’une nation, c’est posséder des leaders politiques visionnaires qui refusent l’exclusion et la division, socle de la politique du colonisateur.

L’indépendance suppose un leadership qui refuse une gestion du pays qui mène à la guerre civile. Car la guerre civile appelle l’Etranger pour venir éteindre le feu. Et la guerre civile naît des frustrations, de l’exclusion, de la misère et des injustices.

Votre définition de la démocratie

Alors que certains pensent que la démocratie se limite au bulletin de vote que le peuple dépose dans l’urne, moi je suis du même avis qu’Abraham Lincoln qui définit la démocratie comme étant « le gouvernement du peuple par le peule et pour le peuple ». Cette définition met le bien-être du peuple au centre de toutes les préoccupations des dirigeants mandatés. On ne peut donc pas se lever un bon matin et clamer haut et fort que « puisque je suis élu, je peux vendre un jet présidentiel ou le donner gratuitement aux amis », on ne peut pas dire que « puisque je suis élu, je peux tuer les opposants ou les frondeurs de mon parti », on ne peut pas condamner son peuple à la mendicité et à la misère juste pour protéger son fauteuil.

Il n’y a pas de démocratie qui tue, il n’y a pas de démocratie qui brade le patrimoine d’un pays, il n’y a pas de démocratie qui emprisonne les journalistes ou exile ses citoyens. Il n’y a pas de démocratie sans la séparation des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif. Il n’y a pas de démocratie qui produit la misère.

Votre définition de la Justice

La justice rime avec Equité. Elle va de pair avec l’indépendance de la magistrature. Et au Royaume de la justice il n’y a qu’un seul crédo : « Lire le droit, rien que le droit ».

Si vous étiez ministre de l’Economie, quelles seraient vos deux premières mesures ?

La monétarisation du monde rural par la mise en place dans chaque commune d’un fonds de promotion de micro-projets.
En collaboration avec mes collègues de la CEPGL lancer le projet de goudronner une route Gatumba-Uvira- Bukavu-Goma-Beni. Cette artère permettrait une circulation des biens et des services dont nos peuples ont grandement besoin.

Si vous étiez ministre de l’Environnement, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Bloquer les eaux usées ménagers qui se déversent dans le Lac Tanganyika et les réorienter vers un site approprié. Ce site devant être transformé en une énergie électrique.

La deuxième mesure serait de mettre en place une police professionnelle pour interdire tout accès à la forêt Kibira et par la même occasion obliger chaque ménage à planter au moins dix arbres dans sa propriété.

Croyez-vous à la bonté naturelle de l’homme ?

Si je suis encore vivant, c’est grâce à la bonté humaine ! En effet en 1995, j’ai échappé à la mort grâce à la bonté humaine du commandant de la brigade de Cibitoke qui a suspendu mon exécution et m’a jeté dans le cachot de la brigade de Cibitoke. Le lendemain, le capitaine Jean Bosco Nsabimbona, un ancien camarade de l’Université m’a exfiltré du cachot et m’a conduit à l’hôpital pour des soins. Je dois une fière chandelle à ces deux hommes providentiels et à la famille du gouverneur de province qui m’a hébergé et prodigué des soins par la suite.

En mai 2001, le pouvoir de l’époque, furieux à cause d’un article que j’avais publié sur le régionalisme à l’armée et dans l’administration devait me condamner presque à mort. Et dans une réunion du Haut Commandement de l’époque, un des hauts responsables lâchera : « Sous d’autres cieux, un homme comme Pancrace, on tire dessus ! ». Revenant sur la même question du régionalisme au cours d’une conférence de presse au Novotel, le président Buyoya m’a répondu que je jouais avec le feu. Quelques heures plus tard, un des responsables de l’armée m’a recommandé de quitter le pays en vitesse. Une bonté humaine !

De 2006 à 2013, j’ai échappé 4 fois à une arrestation-exécution. Chaque fois, j’étais averti par des hommes du pouvoir Cndd-Fdd. Dommage que l’un d’entre eux vient de disparaître tragiquement dans un des pays voisins.

En définitive, je suis une preuve vivante de la force de la bonté humaine.

Pensez-vous à la mort ?

Jamais. Même au cours de la terrible nuit du 1er mai 1995, alors que j’avais une baïonnette sur ma gorge, je n’ai pas un seul instant pensé à la mort. Je gardais l’espoir qu’une force divine allait intervenir pour me sauver. Dieu merci, je l’ai échappé belle !

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

Si je devais comparaître devant Dieu, je ferais une confession et poserais une question.
La confession : Seigneur Dieu, de 1995 à 2013, j’ai échappé à la mort à six reprises. Merci infiniment. C’était votre façon de vous manifester à moi et de me mettre en garde. Par cette expérience vous m’avez ouvert les yeux et j’ai compris. J’ai compris et intégré par cette expérience, que je dois respecter la vie de l’homme et ses droits. J’ai compris que l’amour du prochain est non seulement un grand commandement mais un grand Trésor. Car c’est cet amour qui m’a sauvé à six reprises. Dès lors j’ai essayé tant faire se peut d’observer ce précepte d’amour du prochain. Mais si d’aventure, j’ai failli par endroit à ce grand commandement, je vous demande humblement pardon.

La question : Pourquoi Seigneur Dieu, vous nous avez imposé le président Pierre Nkurunziza pendant tout ce temps ?

Bio express

Pancrace Cimpaye

Pancrace Cimpaye est né 23 juillet 1967 à Musigati, en province Bubanza. Il est marié et père de trois enfants. Il vit en exil au Royaume de Belgique.

Avant d’obtenir sa licence en Sciences de l’Education en 1993 à l’Université du Burundi, il a passé trois ans au Petit Séminaire de Mugera (1985 à 1988) et quatre ans au Petit Séminaire de Kanyosha (1981 à 1985).

Bien qu’il soit titulaire d’une licence en Sciences de l’Education, il n’a enseigné qu’une seule année (de septembre 1992 à juillet 1993). En 1994, il est engagé à la Documentation nationale (services secrets) où il reste pendant quatre ans. En 1998, il entre comme député à l’Assemblée nationale de Transition jusqu’en 2001. Mai 2001, il se réfugie à Londres. De novembre 2001 à 2003, à la faveur de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, il rentre d’exil et devient conseiller principal chargé de la Presse et Communication à la Vice-Présidence de la République et en même temps porte-parole du vice-président Domitien Ndayizeye. Quand M. Ndayizeye devient le président de la République en 2003, Pancrace Cimpaye devient son porte-parole et conseiller principal chargé de la Presse et Communication jusqu’en 2005.

En 2005, il est élu conseiller communal à Musigati sur la liste du Frodebu dont il devient porte-parole jusqu’en 2010.En outre, il était le directeur des publications du journal du parti « L’Aube de la Démocratie ». En mars 2014, il a démissionné officiellement du Frodebu pour rejoindre officiellement le MSD.

Il a participé activement à la naissance du Cnared-Giriteka, le 31 juillet 2015. Depuis lors, il est le porte-parole de cette plate-forme.

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