Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Mgr Jean Ntagwarara.
Votre qualité principale ?
C’est difficile à dire, parce qu’on ne se donne pas des qualités, ce sont les autres qui apprécient les qualités, je ne dirais pas ma qualité parce que je ne peux pas la définir moi-même.
Votre défaut principal ?
C’est peut-être quand quelqu’un ne communique pas avec moi, je ne l’aide pas à communiquer, je constate et puis je laisse tomber.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
L’attention à l’autre en ce sens qu’une personne doit entrer en communication avec les autres et partager ce qu’elle sait, ce qu’elle peut. Elle ne doit pas se fermer sur elle-même.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
Le mutisme.
La femme que vous admirez le plus ?
La Vierge Marie bien sûr. Mais aussi il y a des femmes extraordinaires, notamment Sainte Thérèse de Calcutta et Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, je les admire beaucoup sans parler alors de Marthe Robin, qui a fondé les Foyers de charité.
L’homme que vous admirez le plus ?
Martin Luther King, Mandela et Gandhi. Il y a quelque chose de commun chez eux : la non-violence active.
Votre plus beau souvenir ?
Quand j’ai vu par le passé des gens capables de se réconcilier, au Burundi surtout. Je donne un exemple d’un papa qui pardonne à celui qui a tué son enfant, qui lui pardonne réellement, franchement.
Votre plus triste souvenir ?
J’ai vu une maman qui abandonne ses enfants pour courir derrière d’autres hommes.
Quel serait votre malheur ?
C’est d’être loin de Dieu, ce serait un malheur.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
D’abord l’indépendance, mais après, le fait qu’on soit arrivé à permettre à la population de faire des élections libres, démocratiques est aussi un autre plus haut fait qui m’a marqué.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 1er juin 1993, quand Melchior Ndadaye a été élu alors que les pronostics donnaient le contraire parce qu’on disait que le score aurait été l’inverse de ce que nous avons vu et les Burundais ont décidé autrement.
La plus triste ?
Le 13 octobre 1961, correspondant à la mort de Rwagasore. J’étais déjà au Séminaire, j’ai entendu, j’ai su. Mais aussi le 21 octobre 1993 quand le héros de la démocratie a été tué, contrairement à toutes les attentes du pays, en tout cas mes attentes.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
C’est ce que je fais aujourd’hui, comme prêtre. Mais au début j’avais choisi trois métiers : médecin, pilote et prêtre et je suis devenu prêtre.
Votre passe-temps préféré ?
Je lis pour pouvoir m’informer, meubler mon esprit et être au service des autres.
Votre lieu préféré au Burundi ?
C’est le lieu qui m’enrichit et celui-ci n’est pas les montagnes, les étoiles, etc. C’est plutôt la Chapelle, devant le Seigneur.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
C’est le Burundi parce que j’y suis né et j’aimerais que mes talents –si je peux dire mes talents- disons ce que j’ai reçu, puissent être au service de mes frères et sœurs au Burundi.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Celui qui me permettra de découvrir ce que je n’ai pas encore découvert. Je connais beaucoup de pays européens. Mais j’aimerais découvrir l’Amérique parce que je ne connais pas ce continent. J’ai déjà été aux Etats-Unis d’Amérique, mais pas au Canada.
Votre rêve de bonheur ?
C’est que les Burundais puissent vivre dans la paix, mais pas une paix superficielle, une paix vraie, vécue et avoir un développement humain qui permettent à chaque personne d’être digne.
Votre plat préféré ?
J’aime manger de tout. Si je devais choisir, ce serait des légumes cuits ou crus, mais avec bien sûr des aliments qui permettent d’avoir une certaine vigueur, comme du haricot, du petit pois vert.
Votre chanson préférée ?
Non, vraiment pas. Mais les chansons vulgaires, les chansons sans aucun message riche ne me disent rien.
Quelle radio écoutez-vous le plus ?
Radio Maria, et de temps en temps, j’écoute RFI.
Avez-vous une devise ?
Ma devise comme évêque, c’est «Dieu nous a aimés le premier», qui se trouve dans la première lettre de Saint Jean, chapitre 4, verset 19.
Votre souvenir du 1er juin 1993 ?
L’étonnement d’abord parce que tous les pronostics étaient tout à fait en dehors de ce que les Burundais avaient décidé. Pour moi, c’était une joie qui m’allait droit au cœur non pas simplement que je connaissais le vainqueur de l’élection, mais parce que nous avions passé toute une année ensemble en préparant la Constitution de 1992. Cette joie exprimait ce que j’espérais dans le sens d’un changement de la société burundaise parce que je connaissais l’homme. Après l’avoir écouté, écouté ce qu’il partageait dans la commission de 35 membres, je me disais que quelque chose allait changer, on aura une tournure neuve qui va nous porter vers le développement et une entente entre les Burundais.
Votre définition de l’indépendance ?
C’est que les citoyens d’un pays puissent se prendre en charge, décider de ce qu’ils veulent, mais sans exclure d’être aidés par les autres, sans exclure l’aide si celle-ci ne vient pas nous ravir cette indépendance dans le sens où on nous impose ce que nous choisissons.
Votre définition de la démocratie ?
C’est que le peuple ait à dire par rapport à la manière dont il est gouverné.
Votre définition de la justice ?
Elle doit faire respecter le droit de la personne humaine, doit défendre le bien commun, personne n’a le droit d’utiliser le bien commun comme il veut. Mais le bien commun doit être commun effectivement, il doit servir à tous, pour le développement de tous, pour l’épanouissement de tous.
Si vous redeveniez jeune fraîchement sorti du secondaire, orienteriez-vous votre vie dans la prêtrise ?
Absolument parce que je suis heureux comme prêtre.
Si vous deveniez conseiller du pape, quelles seraient vos deux propositions au sujet de la pédophilie ?
Je lui dirais qu’il doit dénoncer avec force la pédophilie parce qu’elle tue la personnalité de l’enfant, tue l’avenir de l’enfant. La deuxième chose, c’est d’aider les adultes à savoir respecter l’enfant dans ce qu’il est et dans ce qu’il est appelé à devenir et l’aider à l’atteindre non pas l’étouffer dans l’œuf.
Pensez-vous que l’Eglise catholique aurait un jour un pape noir ?
Bien sûr, moi je suis sûr qu’il y aura un pape noir, mais il suffira que l’Eglise elle-même s’y investisse. Quand je dis Eglise, c’est l’Eglise locale dans les pays où vivent les noirs, où nous vivons, mais aussi l’Eglise universelle, c’est-à-dire reconnaître les talents des prêtres, des évêques qui peuvent être vraiment utiles à l’Eglise et je pense que cela peut être discerné à l’aide de l’Esprit saint.
Pensez-vous que l’Eglise pourra un jour autoriser le mariage des prêtres ?
Je ne le pense pas parce que ce n’est pas la volonté de Jésus. En ce sens que dans la parole de Dieu que lui-même a laissée, rappelez-vous du jeune homme riche qui est allé demander ce qu’il peut faire pour aller au Ciel, il lui a dit : «Vends ce que tu as, donne-le aux pauvres et suis-moi ». Il ne lui a pas dit d’aller s’installer quelque part loin de Jésus, mais de le suivre, lui qui n’était pas marié, lui qui est venu vivre et annoncer l’évangile, de l’aider à annoncer l’Evangile librement parce que si un prêtre se marie, il n’est plus libre de ses mouvements, il n’est plus disponible pour l’Evangile et à Jésus pour qu’il l’envoie là où il veut.
Quel avenir des enfants nés des prêtres ?
Les prêtres qui procréent tout en étant prêtres, qui ont des enfants de femmes qui ne sont pas mariés à eux, parce qu’en le faisant, le prêtre sait que s’il choisit de se marier, il quitte le sacerdoce, et s’il reste, c’est en sachant qu’il n’est pas dans la régularité. Normalement l’avenir de ces enfants, c’est que le prêtre prenne la décision de sortir du sacerdoce et de les prendre en main, c’est le droit de l’enfant et aussi de la personne à qui le prêtre s’est lié, il doit nécessairement aller prendre en charge ses enfants.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Oui, j’y crois beaucoup parce que moi-même j’en ai bénéficié. Des gens qui sont bons, je les ai rencontrés étant jeune, et je les rencontre aujourd’hui encore.
Pensez-vous à la mort ?
Mais bien sûr, j’y ai pensé depuis longtemps, depuis longtemps. Personne ne peut échapper à la mort.
Si vous comparaissiez devant Dieu, que lui diriez-vous ?
Maintenant je ne sais pas ce que je lui dirais parce que devant lui je serais d’abord émerveillé certainement de ce qu’il est. Je ne sais pas ce que je lui dirais.
Propos recueillis par Egide Nikiza