Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Mélance Hakizimana.
Votre qualité principale ?
C’est toujours difficile de s’attribuer une qualité. Toutefois, mes proches trouvent que je ne suis pas rancunier. Rarement, ils me voient ruminer quand une personne me cause du tort.
Votre défaut principal ?
Je suis très colérique. Je me fâche vite lorsqu’on est injuste envers moi.
La qualité que vous aimez chez les autres ?
L’amour du prochain. J’aime celui qui aime les autres, celui qui apporte une assistance à son prochain lorsqu’il est en difficulté sans rien attendre en retour.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
L’hypocrisie.
La femme que vous admirez le plus ?
Denise Bucumi, l’épouse de feu président Pierre Nkurunziza. J’ai toujours apprécié sa franchise lors des croisades de prières. Sans détour, elle osait pointer du doigt tous les obstacles qui empêchent la paix et la stabilisation du pays. Aussi, dois-je avouer qu’elle a été exemplaire dans la gestion du décès de son mari.
L’homme que vous admirez le plus ?
Nelson Mandela. Un modèle de pardon et de la compréhension de l’intérêt supérieur de la Nation. Imperturbable, il est resté cohérant avec lui-même, avec ses convictions politiques. Le moment venu rendant le pouvoir alors qu’il pouvait rempiler pour d’autres mandats.
Votre plus beau souvenir ?
Ma réussite au concours national. Alité plus d’un trimestre, suite à une maladie, j’ai été conduit au centre de passation du concours. Mon père m’y a amené à vélo. Au fond de moi-même, je me voyais déjà recalé. Un désespoir de courte durée. A ma grande surprise, lors de la proclamation, j’avais réussi avec brio. Je me souviens que sur quatre écoliers qui avaient réussi au concours national, j’étais le second. Dans la famille, une joie sans nom. Ce jour-là, ma tante maternelle m’a acheté une bière de sorgho en guise de félicitation.
Votre plus triste souvenir ?
La mort de mon père, le 24 avril 1996. Le pire, c’est que je n’ai pas pu participer à son enterrement. Il a été assassiné par des bandes armées.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Trahir ma famille.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
La passation de pouvoir entre le président Pierre Buyoya et le président Melchior Ndadaye. Je n’avais jamais pensé qu’un civil pourrait accéder au pouvoir. Compte tenu du contexte politique, il était difficile de l’envisager. Partout en Afrique, c’étaient les régimes militaires, bien qu’un vent de démocratie commençait à souffler sur le continent.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
La proclamation de l’indépendance du Burundi, le 1er juillet 1962 et la victoire de la démocratie, le 1er juin.
La plus terrible ?
La mort inopinée du président Pierre Nkurunziza, le 8 juin 2020. C’est terrible parce qu’on n’a pas connu les circonstances de sa mort.
Le métier que vous auriez aimé exercer ?
Infirmier. Encore au cycle inférieur des humanités, je rencontre un certain Samuel. Il est infirmier à l’hôpital de Kibimba. Et deux circonstances feront que je m’éprenne de ce métier qui sauve des vies.
Souffrant d’une fracture fermée du tiers inferieur de l’avant-bras droit, il m’offre un bon de soins. La seconde fois, c’est lorsque je suis victime d’un abcès du dos de mon pied droit incisé à domicile. Mal soigné, je me rends à l’hôpital. C’est là que nos chemins se recroisent. Cette fois-ci, c’est lui m’offrira les soins appropriés.
Et grâce à cette rencontre fortuite, j’ai eu envie de poursuivre cette carrière. Toutefois, je dois vous avouer que lorsque je me suis lancé dans le syndicalisme, j’ai beaucoup regretté de n’avoir pas fait des études de droit. Malgré l’existence des parquets et tribunaux, au grand jour, il ne cesse de se commettre des injustices.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans le mouvement syndical ?
C’est une envie qui est allée crescendo au fil des injustices dont nous étions victimes avec mes collègues. Cela remonte à 1996. A l’époque, je travaillais comme personnel de santé à l’hôpital Prince Régent Charles. Eu égard aux injustices en rapport avec les salaires médiocres, le traitement du personnel, des horaires chargés sans heures supplémentaires et d’autres problèmes sociaux. J’ai apporté ma pierre à l’édifice pour défendre nos intérêts. En 2002, j’ai été promu comme membre du comité exécutif Synapa. Depuis, je mets toute mon énergie au service du dialogue social afin que les travailleurs aient la paix et le pain.
En tant que leader syndicaliste et défenseur des droits des travailleurs, quel est votre regard sur le syndicalisme au Burundi?
La liberté des réunions est garantie d’une façon générale : peu d’employeurs refusent aux employeurs de tenir des réunions sur le lieu de travail. Mais, des défis ne manquent pas. L’incompréhension du syndicalisme par certaines autorités publiques d’où des menaces intempestives quand les syndicats brandissent les préavis de grève, l’ingérence de l’administration dans le fonctionnement des syndicats. Ce sont des défis mettant en cause les droits syndicaux, dont la liberté syndicale et le droit de négociation collective.
Actuellement, un fonctionnaire peut-il vraiment vivre de son salaire ?
Au Burundi, en l’absence d’un revenu supplémentaire au salaire versé mensuellement par l’Etat, il m’est vraiment difficile de confirmer qu’un fonctionnaire peut vivre de son salaire compte tenu des besoins fondamentaux, occasionnant les dépenses courantes non couvertes par son salaire. Le salaire du fonctionnaire burundais ne suffit pas pour pouvoir assurer une vie décente. C’est pour cela d’ailleurs qu’un bon nombre de fonctionnaires se retrouve dans des situations de mendicité et sont devenu asociaux.
Votre passe-temps préféré ?
Des moments de convivialité avec mes collègues de lutte syndicale. Je m’occupe aussi par des travaux de recherche, histoire d’aller de l’avant dans mes activités quotidiennes.
Votre lieu préféré au Burundi ?
La commune Gitega. En plus qu’elle soit proche de ma colline natale, il est vraiment agréable d’y séjourner.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Le Burundi. Je n’ai jamais rêvé de vivre dans les pays étrangers. Home sweet home, disent les Anglais…
Le voyage que vous aimeriez faire?
Visiter Djibouti. J’aimerais rencontrer les acteurs du monde du travail djiboutien, apprendre de leur expérience pour la partager avec nos confrères burundais.
Votre rêve de bonheur ?
Que tout Burundais puisse avoir un revenu lui permettant de satisfaire ses besoins fondamentaux : bien manger, se faire soigner, enseigner ses enfants, s’acheter des habits, se déplacer facilement, etc.
Votre plat préféré ?
Des haricots mélangés au manioc (préparé de façon traditionnelle) avec du pondu (isombe).
Votre chanson préférée ?
« One love » de Bob Marley
Quelle radio écoutez-vous ?
J’écoute la radio nationale, la radio Isanganiro, la radio Rema FM et les radios communautaires. J’écoute aussi la RFI et la BBC. Mais, tout dépend des émissions et de ma disponibilité.
Avez-vous une devise ?
« Bannir l’arbitraire et l’injustice sociale de toute sorte ».
Votre définition de l’indépendance ?
C’est lorsqu’un Etat ou une personne est autonome dans sa prise des décisions tant sur le plan économique, politique, sociale, religieuse et morale dans le strict respect des coutumes, de ses mœurs.
Votre définition de la démocratie ?
La mise en place des institutions de la République à travers des élections bien organisées et transparentes. La démocratie suppose aussi la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, le respect des droits de l’Homme sous ses différentes dimensions, la tolérance, la liberté d’expression et des mouvements.
Votre définition de la justice ?
La justice c’est l’ensemble des actions qui doivent être menées dans une nation donnée en vue de réguler la mise en application des lois et rendre équitables les droits des citoyens.
Si vous étiez ministre de la Santé, quelles seraient vos deux premières mesures ?
La première mesure serait la redéfinition des normes sanitaires nationales, étant donné que l’élaboration du document des normes actuellement en vigueur ne respecte pas les principes internationaux de normalisation. Actuellement, les normes en vigueur ont été élaborées arbitrairement dans une logique de favoriser la domination des médecins sur les autres catégories des professionnels de la santé. Or, le domaine de la santé compte trois grandes catégories de professionnels, lesquelles ont des subdivisions.
Selon vous, « cette part belle » faite aux médecins doit cesser ?
C’est impératif pour une bonne réglementation. Sinon, les unités pharmaceutiques, les infirmiers, les laboratoires continueront à être gérés anarchiquement. Les pharmacies deviendront des boutiques alimentaires, la formation du personnel paramédical s’empirant davantage. Plus déplorable, c’est qu’il n’y a pas de plans d’évolution de carrière pour ceux qui sont en activité. Plus grave, il est rare d’accéder à des postes de responsabilité tant qu’on n’est pas médecin.
La deuxième mesure serait dictée par la nécessité de la mise en application des normes sanitaires respectant les principes internationaux de normalisation. Notamment, l’accélération de la mise en place des ordres professionnels en santé, la suspension provisoire de toutes les écoles de formation paramédicale pour permettre la réorganisation de ladite formation conformément aux normes de formation de chaque métier, la mise à niveau de tous les professionnels déjà formés qui accusent des lacunes dans la pratique de leurs professions. Enfin, le respect de la règlementation du domaine pharmaceutique actuellement en vigueur.
Si vous étiez ministre du Travail, quelles seraient vos premières mesures ?
-Le dégel des annales, jusqu’aujourd’hui gelées depuis cinq, sans aucun consentement des travailleurs
-La mise en application des accords conclus entre le gouvernement et les syndicats dans certains secteurs d’activités.
-L’organisation des états généraux de la fonction publique pour vider la question en rapport avec le pouvoir d’achat des fonctionnaires, le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), ainsi que la garantie du maintien du pouvoir d’achat des fonctionnaires en cas d’inflation.
Que faut-il faire pour développer le dialogue social?
-Au moins deux fois l’année, les partenaires sociaux doivent se rencontrer pour échanger sur l’état du dialogue social en général et sur les questions saillantes du monde du travail.
-La mise en place d’une équipe spécialisée, exclusivement chargée de suivre de près et d’enquêter sur toutes les situations de conflit de travail.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Je n’y crois pas. L’homme est plutôt mauvais. Il est responsable de tous les malheurs qu’on retrouve ici-bas sur terre. Il est hypocrite, égoïste, méchant, atroce, malin, barbare, sadique, jaloux, etc.
Pensez-vous à la mort ?
Il m’arrive d’y penser. Mais, l’important est ce que j’aurais légué à la postérité. Et l’essentiel est que je meurs dans la dignité.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Pardon pour toutes mes offenses et pardonne à tous ceux qui m’ont offensé.
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Propos recueillis par Alain Majesté Barenga