Lundi 23 décembre 2024

Culture

Au coin du feu avec Me Jean Bosco Bigirimana

09/10/2021 3
Au coin du feu avec Me Jean Bosco Bigirimana

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Me Jean bosco Bigirimana.

Votre qualité principale ?

Vivre en chrétien, croire en Dieu.

Votre défaut principal ?

L’entêtement, je ne cède pas facilement.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

Honnêteté, franchise.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

Le mensonge.

La femme que vous admirez le plus ?

Une femme caractérisée par l’amour, attentive aux besoins de l’autre.

L’homme que vous admirez le plus ?

L’homme soucieux de ses obligations familiales et professionnelles

Votre plus beau souvenir ?

Le jour où j’ai été baptisé dans l’Esprit saint.

Votre triste souvenir ?

J’en ai trois. Avril 1987, sous la 2eme République, élève à l’Ecole normale pour garçons de Gitega (actuel lycée de Gitega), j’ai vu un commando fermer la cathédrale de Mushasha devant les yeux de l’archevêque, feu Joachim Ruhuna. J’ai vu une vieille dame résister pour essayer d’empêcher cette fermeture. Autre mauvais souvenir, en 1993 après l’assassinat du président Ndadaye, j’ai vu des innocents tués, toutes ethnies confondues. Enfin, dans la nuit du 11-12 juin 1995 au campus Mutanga de l’Université du Burundi, je me suis réveillé en voyant des cadavres des étudiants avec qui on était ensemble dans l’amphithéâtre la veille.

Quel serait votre plus grand malheur ? 

Ne pas voir les Burundais retrouver le chemin de la réconciliation.

Le plus haut fait de l’histoire du Burundi ?

Les premières élections démocratiques de 1993. J’ai été aux urnes pour élire nos futurs dirigeants.

La plus belle date dans l’histoire du Burundi ?

C’est le 1er juillet 1962, le jour de l’Indépendance du Burundi.

La plus terrible ?

Il y en a plusieurs : 1961, 1965, 1972, 1988, 1993.

Le métier que vous auriez aimé faire ? Et pourquoi ?

Je suis bien dans mon métier

Catholique pratiquant, est-ce facile de concilier votre foi avec la votre profession ?

Avant d’entrer dans la profession d’avocat, on prête serment. Et la dernière phrase de notre serment est : « Ne jamais défendre ou conseiller aucune cause qu’on ne croirait en son âme et conscience ». Vous comprenez que quelque part cela se recoupe. Dans chaque dossier, j’essaie de mettre la dose chrétienne conformément à ma conscience. Quand quelqu’un me confie son dossier en me disant de tout faire pour qu’il ne paie pas sa dette, je lui dis de garder son argent pour aller plutôt payer son créancier. Bref, la foi et la profession sont conciliables.

Quels sont les risques du métier ?

Quand un client te trompe et que vous allez devant le juge pour défendre des mensonges. Malheureusement, vous avez déjà accepté de défendre la cause du client . La raison de votre client est un mensonge. L’autre risque c’est quand vous vous heurtez à la corruption. Vous avez fait comprendre à votre client qu’il a raison et une fois arrivé devant le juge vous dites ce que vous pensez du droit. Mais le juge vous dit le contraire et vous allez dire à votre client qu’on est en face de la corruption. Le mensonge, la malhonnêteté du client et la corruption du juge sont les grands risques de notre métier.

Comment un avocat peut lutter contre la corruption ?

Les avocats doivent être dans ce combat. Si la corruption gagne du terrain, le métier risque de s’effacer. Les clients les moins avisés diront pourquoi payer un avocat quand je peux acheter un juge. L’avocat avec son droit ou sa raison n’aura plus raison d’être si la corruption gagne du terrain.

Des regrets dans la défense ou le conseil de vos clients ?

Bien sûr. Toutes les fois que je perds une cause alors que j’estimais être dans le droit chemin, j’ai des regrets. Lorsque je dois dire au client qu’il a perdu, qu’il a épuisé toutes les voies de recours, je suis triste. Je me demande si le client doit payer pour perdre sa cause. Il est vrai que l’avocat est soumis à une obligation de moyens, mais annoncer qu’on a perdu n’est pas agréable.

Vous avez presté au tribunal du commerce. Cette juridiction manquerait de juges spécialisés. Votre commentaire.

Le tribunal du commerce est une juridiction spécialisée avec des subtilités et une terminologie commerciale. A côté du juge de carrière, il y a des assesseurs commerçants qui sont là pour appuyer et éclairer le juge sur certaines notions. Un tribunal de commerce ne peut pas siéger sans la présence d’un assesseur commerçant. Tout comme le tribunal du travail qui siège avec deux assesseurs : un assesseur qui représente les employeurs et un autre qui représente les travailleurs pour un éclairage technique du juge.

Au Burundi, des jeunes diplômés en droit embrassent directement la carrière d’avocat, sans passer par la magistrature. Une entorse au métier ?

En principe, la carrière d’avocats connaît deux passages : au petit tableau qui comprend des avocats stagiaires et au grand tableau, celui des avocats qui ont terminé leur stage. Le stage dure deux ans. Mais si on a presté comme magistrat pendant six ans ou si on a été avocat de l’Etat pendant au moins deux ans, on vient directement sur le grand tableau. Sur le terrain, il faut distinguer les deux catégories d’avocats. En principe, les avocats stagiaires doivent travailler sous la direction d’un maître de stage. Actuellement, il est prévu qu’on initie un projet de loi pour modifier un peu la profession. Nous pensons qu’on sera amené à décider des juridictions où le stagiaire ne peut pas exercer. Par exemple la Cour suprême ou la Cour d’appel. Il ne faut pas qu’un stagiaire preste à la Cour d’appel ou la Cour suprême où le justiciable joue ses dernières chances.

Mais au niveau légal, jusqu’à présent, un avocat stagiaire tout comme un avocat du grand tableau preste dans toutes les juridictions. Et la différence n’est pas nette. C’est une faille importante.

Pour qu’il y ait une réelle indépendance de la magistrature, il faudrait que les magistrats soient élus par leurs pairs. Qu’en dites-vous ?

Personnellement, je suis d’avis d’une formation, mais aussi d’un traitement conséquent, plutôt que de l’élection. Quelqu’un peut ne pas avoir des aptitudes nécessaires pour battre sa campagne alors que c’est un magistrat chevronné qui a une certaine sagesse. Je dirai qu’il faut mettre l’accent du côté de la formation des magistrats en cours d’emploi, mais aussi un traitement conséquent adapté à leur noble mission.

Qu’est-ce qui a motivé la création du barreau de Gitega?

Le barreau de Bujumbura date de 1950. Nous sommes arrivés dans un contexte où il y avait dans le barreau du Burundi autour de 500 avocats et 99,9% étaient basés à Bujumbura. Seuls deux avocats étaient installés en province, un à Ngozi, un autre à Gitega. Comme si l’avocat n’intéresse que les seuls citadins de Bujumbura.

Pendant cette période, il y avait une politique sectorielle du ministère de la Justice dite justice de proximité. Puisque dans chaque province il y a un tribunal de grande instance, une cour d’appel qui couvre quelques provinces, on s’est demandé s’il était logique que les avocats restent à Bujumbura.

Et sur le plan technique, il y a des infractions qui ne peuvent pas recevoir une décision de justice sans la présence, l’assistance d’un avocat, telles les infractions graves punissables de plus de 20 ans.

Nous avons donc demandé au ministre de la Justice qui a dans ses attributions la création des barreaux d’appuyer sa politique par la création d’un barreau qui se veut de proximité. Ainsi donc, le barreau de Gitega a vu le jour le 29 mars 2010 avec cette mission : être un barreau de proximité.

Quelle a été la réaction du Barreau de Bujumbura ?

Il y a eu un malentendu, incompréhension. Pourtant, au niveau de la loi, celle-ci permet que partout où il y a une Cour d’appel, on puisse créer un barreau s’il y a un nombre suffisant d’avocats qui le demandent. Il n’y avait pas un problème de fond, mais un problème de forme. Les instances judiciaires ont dû trancher. Une personnalité farouchement opposée à la création du barreau de Gitega a dit que les cotisations allaient diminuer. Ce n’était pas un argument juridique.

Actuellement, est-ce que les deux barreaux collaborent ?

Au début, il y avait des difficultés. Mais chemin faisant, à partir de 2015, nous émettons sur la même longueur d’onde. Dernièrement, le 10 septembre 2021, nous avons lancé en commun la rentrée judiciaire avec un comité paritaire et nous avons organisé toutes les activités ensemble.

Quelle est la valeur ajoutée de ce nouveau barreau?

Nous avons 418 avocats installés dans toutes les provinces. Aujourd’hui, nous avons la joie d’avoir dans chaque province au moins un avocat. Aujourd’hui, une personne qui vient à Bujumbura pour la première fois plaider une cause a l’opportunité d’avoir un avocat à ses côtés. Ainsi, nous avons la fierté d’avoir contribué à rapprocher l’avocat du justiciable, à rendre un avocat moins coûteux. Nous avons décentralisé la profession et ainsi le justiciable a accès à la justice. Notre barreau a également une spécificité. Chaque année, pendant les vacances judiciaires, nous organisons une assistance judiciaire gratuite pour les personnes vulnérables. Et chaque 8 mars, les femmes avocates organisent elles aussi une assistance judiciaire gratuite pour les femmes détenues.

Votre passe-temps préféré ?

Je fais ma retraite spirituelle. Je me repose dans le Seigneur. Chaque année, je prends au moins une semaine pour affronter certains défis de la vie.

Votre lieu préféré ici au Burundi ?

J’aime les lieux touristiques, l’intérieur du pays là où il fait frais, avec sa belle végétation. Quand j’ai du temps, je visite les parcs.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Le mien. J’aimerais aussi vivre en Suisse, un pays paisible.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

J’ai déjà visité quelques pays africains et européens. J’aimerais visiter le continent américain et la terre sainte pour voir où Jésus est passé.

Votre rêve de bonheur ?

J’aimerais passer le maximum de temps ici sur terre pour témoigner de mon expérience. J’aimerais aussi voir mes enfants élever les leurs. C’est mon premier plaisir et je le demande souvent à Dieu.

Votre plat préféré ?

Les légumes, le poisson.

La radio que vous écoutez le plus ?

Au Burundi, j’écoute RTNB, Isanganiro, Bonesha, Radio Maria. Je fais presque le tour toutes les radios. Sur le plan international, j’écoute la RFI.

Avez-vous une devise ?

Un esprit sain dans un corps sain pour mieux servir.

Votre souvenir du 1er juin 1993 ?

C’est à la fois un souvenir de joie, parce que pour la première fois, les Burundais ont élu leur président, mais aussi c’est un souvenir de peine parce que les conséquences qui s’en ont suivi ont été douloureuses.

Votre définition de l’indépendance ?

C’est la souveraineté d’une nation. Une nation responsable de sa propre destinée, et qui fait face à son présent comme à son avenir.

Votre définition de la démocratie ?

Classiquement, c’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. J’ajouterai que c’est l’occasion pour le peuple de choisir ses dirigeants.

Votre définition de la justice ?

La justice est différente du droit. Il y a justice quand celle-ci rencontre le droit.

Si vous étiez ministre de la Justice, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Je visiterais tous les cachots et toutes les prisons du pays pour écouter les détenus parce que parmi ces derniers il y en a beaucoup qui sont détenus irrégulièrement.

Je rencontrerais tous les juges des tribunaux de résidence pour recevoir d’eux les orientations de la justice en matière foncière. L’occasion de savoir comment ils règlent les affaires foncières.

Plus de 80% de dossiers qui sont devant la justice sont des affaires foncières. Le Burundi ne s’agrandit pas, mais sa population augmente chaque année au moment où cette population vit de l’agriculture et de l’élevage. Or, les terres s’amenuisent. D’où beaucoup de litiges fonciers et parfois des gens s’entretuent. Bref, je prendrais mon temps pour écouter ces juges parce que ce sont eux qui traitent ces litiges au premier degré.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

En tant que chrétien, j’y crois. L’homme naît naturellement bon, c’est la société qui le corrompt. Il est créé à l’image de Dieu, et Dieu est bon et beau.

Croyez-vous à la mort ?

La mort physique, oui. Mais la mort éternelle c’est pour ceux qui ne croient pas en Jésus et à sa résurrection.

Si vous comparaissez Dieu, que lui diriez-vous ?

Je lui dirais, Seigneur, souviens-toi des pécheurs pour qu’ils puissent se repentir et ne pas connaître justement cette mort éternelle.

Propos recueillis par Félix Haburiyakira

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Ndambi

    Né en 1960?
    Pas de blagues

    • Yan

      Et alors ? Vous insinuez quelque chose apparemment. Allez y, crachez!

    • Gervais

      Lire ceci: « Je pense qu’il y a blague « 

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Bio-express

Me Jean Bosco Bigirimana est né le 2 mars 1960 en commune Kiganda, province Muramvya. Diplômé en droit de l’Université du Burundi, il est actuellement le bâtonnier du barreau auprès de la Cour d’appel de Gitega, capitale politique. Il est catholique pratiquant. Il commence sa carrière professionnelle au parquet de la Mairie de Bujumbura en 1995 en tant que substitut du procureur jusqu’en 1998. La même année, il a été affecté au tribunal de commerce comme juge. Après, il se lance dans la carrière d’avocat et prête le premier serment le 22 octobre 1999 au barreau de Bujumbura. Il exercera ce métier jusqu’en 2007. Parallèlement à l’exercice du métier d’avocat, il évolue dans une communauté chrétienne dite Communauté du Chemin Neuf. C’est une communauté catholique à vocation œcuménique qui est née à Lyon en France en 1973 et qui est implantée dans plusieurs pays dont le Burundi. En 2007, il demande d’être détaché de la profession d’avocat et part avec son épouse vivre une formation en France pour aider les couples, car cette Communauté vise l’unité entre les peuples, les couples, les familles. De retour en 2009, il a repris sa profession d’avocat. Il participe, avec certains de ses pairs, à la création du barreau de Gitega qui a vu le jour le 29 mars 2010. Il est marié et est père de quatre enfants.

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  1. Ndambi

    Né en 1960?
    Pas de blagues

    • Yan

      Et alors ? Vous insinuez quelque chose apparemment. Allez y, crachez!

    • Gervais

      Lire ceci: « Je pense qu’il y a blague « 

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