Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, le Père Guillaume Ndayishimiye Bonja.
Votre qualité principale ?
La générosité.
Votre défaut principal ?
La dilapidation, je crois que c’est le défaut de ma qualité.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
La maîtrise de soi. C’est une qualité présente chez beaucoup de mes compatriotes.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
La duplicité. Un défaut également beaucoup présent chez mes compatriotes, qui est doublé d’ingratitude.
La femme que vous admirez le plus ?
Ma mère Mathilde Kubandi, dans sa vie et dans sa mort. Une grande discrétion, une générosité et une perspicacité sans mesure. J’ai vu ma mère aborder sa mort avec une très grande sérénité, et une tranquillité immuable.
L’homme que vous admirez le plus ?
Mon père Athanase Bonja, dans sa grande générosité, dans ses visions ambitieuses et son amour des personnes et du travail. Sa notabilité est respectable. Il nous a laissé un admirable modèle de générosité et d’affabilité.
Votre plus beau souvenir ?
Le jour de mon ordination sacerdotale. Un jour de liesse pour moi, pour mes parents et tous ceux qui m’ont accompagné. Un jour tant attendu, depuis plus de vingt ans.
Votre plus triste souvenir ?
La nuit qui a précédé l’assassinat du président Melchior Ndadaye, lorsque j’ai entendu des coups de canons en ville, vers le palais présidentiel : j’ai eu des sentiments de désespoir et j’ai senti que l’irréparable qu’on craignait venait d’arriver. Les jours qui ont suivi l’assassinat du président Ndadaye nous ont plongés dans un cauchemar dont nous ne pensions plus nous relever. Nous en subissons encore les conséquences jusqu’à nos jours.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Mourir et trouver que je me suis sacrifié pour du néant. Ce serait une très grande déception de m’être donné sans compter.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
La victoire du Roi Mwezi sur les Allemands, source d’une grande fierté pour mon peuple.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 1er Juillet 1962, date de l’indépendance.
La plus terrible ?
Le 21 octobre 1993, date de l’assassinat du président Melchior Ndadaye.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
Médecin et professeur.
Votre passe-temps préféré ?
Ecrire sur le Kirundi, en découvrir les significations cachées.
Votre lieu préféré au Burundi ?
Le sommet de Gisozi avec une vue sur une très grande étendue du pays.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Australie (J’y ai passé cinq mois, à Sydney et à Melbourne). Je trouve que c’est un pays beau et paisible, avec des gens sympathiques et sans retords. Un climat physique et humain très sain et serein. Je préfère l’Australie aux Etats-Unis, au Canada, à l’Italie, au Rwanda que je connais également, pour ne citer que ceux-là.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Israël. Pour découvrir la familiarité des lieux bibliques, et marcher dans les traces de Jésus. J’ai raté ce voyage alors que j’étudiais à Rome.
Votre rêve de bonheur ?
Donner de l’eau et de l’électricité au village.
Votre plat préféré ?
Du jambon au melon comme hors d’œuvre, du sangala aux épinards comme plat de consistance, des madeleines avec une salade de fruits comme dessert.
Votre chanson préférée ?
L’ Halleluyah d’Haendel.
Quelle radio écoutez-vous ?
Voix de l’Amérique, BBC, RFI, des radios locales.
Avez-vous une devise ?
« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 9).
Votre souvenir du 1er juin 1993 ?
Une grande liesse, avec des réserves de crainte. L’on aurait dit que cette joie comportait une hypothèque, des peurs, des conditions.
Votre définition de l’indépendance ?
Une autonomie, une autodétermination au niveau idéologique et culturel, et une certaine autosuffisance au niveau matériel dans la gestion politico-sociale de la nation.
Votre définition de la démocratie ?
Une liberté de décision sur ses propres dirigeants et le projet de société, comme un pouvoir des différentes couches du peuple.
Votre définition de la justice ?
La concorde et l’équité des droits et des devoirs des citoyens, exemptées de corruption et d’oppression.
Si vous redeveniez jeune fraîchement sorti du secondaire, orienteriez-vous votre vie dans la prêtrise ?
Oui dans la prêtrise sinon dans la carrière médicale. C’est pour dire que je ne regrette nullement ce qu’aujourd’hui je suis. Je pense à de très bonnes opportunités que j’aurais ratées si je n’avais pas été prêtre, comme des rencontres avec de saintes personnes, des hommes et des femmes d’une très grande qualité de vie.
Si vous étiez cardinal, quelles seraient vos deux propositions pour la gestion de la question de la pédophilie ?
Que les personnes coupables soient traitées avec justice et qu’on instaure des structures protectrices des mineurs partout où cela s’impose.
Pensez-vous que l’Eglise pourra un jour autoriser le mariage des prêtres ?
J’estime que le mariage des prêtres serait un grand recul par rapport à la discipline de la continence cléricale. Par ailleurs, je pense qu’on pourra envisager dans certains coins, vu la carence des prêtres, l’ordination des hommes mariés, afin de sauvegarder la célébration eucharistique essentielle et constitutive de l’Eglise.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Oui, elle vient de Dieu et se manifeste dans certaines circonstances. On expérimente par exemple de la compassion chez certaines personnes.
Pensez-vous à la mort ?
Souvent. A plusieurs reprises, j’ai échappé à la mort. J’ai participé à plusieurs deuils et enterrements, aussi bien des membres de parenté que des amis. J’accompagne souvent des mourants et des morts.
Si vous comparaissiez devant Dieu, que lui diriez-vous ?
J’ai fait de mon mieux. J’implore ta miséricorde infinie. Nul humain n’est juste devant toi. Ta justice est justificatrice !
Propos recueillis par Egide Nikiza