Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Mais au coin du feu, l’étranger de passage était aussi accueilli. Cette semaine, au coin du feu, l’ambassadeur Bernard Quintin.
Votre plus beau souvenir au Burundi?
Des rencontres. Une rencontre. Des moments passés à découvrir la beauté des paysages, le battement des tambours, de belles personnes, un coucher de soleil de retour de Kirundo. J’ai de très belles images stockées dans ma mémoire.
Votre plus triste souvenir au Burundi ?
Une visite de terrain où j’ai croisé un enfant de 7 ou 8 ans dont le regard était éteint… c’était comme s’il était déjà mort mais toujours debout…
Votre qualité principale ?
L’enthousiasme.
Votre défaut principal ?
Une forme d’impatience qui fait que je suis vite agacé, contrarié… mais bon, ça passe aussi assez vite.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
La loyauté
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
La bêtise
Le métier que vous auriez aimé faire ? Pourquoi ?
Diplomate. C’est vraiment un métier qui me plaît beaucoup parce qu’il est fondamentalement en prise avec l’humain. Sinon j’aurais rêvé de devenir Cardinal, sans doute pour le sacré et la pompe, l’exercice du pouvoir aussi… Il y avait cependant quelques données techniques auxquelles je ne pouvais pas répondre.
Qui aimeriez-vous être ?
J’ai des modèles, beaucoup d’ailleurs : les femmes de ma famille, mes amis, des collègues, mes premiers Ambassadeurs et mon ami Robert … et j’essaie de lentement me construire en les observant. C’est un « work in progress » qui fait que je deviens petit à petit, sans que ce travail ne puisse jamais se terminer vraiment, celui que je pense vouloir être. Ce n’est pas un accès de prétention, c’est juste que je trouve déjà tellement difficile parfois d’être soi que cela suffit.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Voir mourir avant moi ceux d’après moi. Je n’ai pas d’enfants mais j’ai quand même 7 filleuls.
Votre passe-temps préféré ?
La compagnie des amis et, autour d’un verre, refaire le monde, ou pas.
Votre lieu préféré au Burundi ?
Il y a bien un bar mais ce ne serait pas sérieux de le dire ici, alors je dirai les plaines vallonnés du centre du pays, du côté de Rutana.
Le pays où vous aimeriez vivre ? Pourquoi ?
J’ai encore tellement à découvrir du monde ! Mais bon, je suis plutôt un tropical. C’est juste dommage qu’on ne puisse pas avoir le climat des tropiques combiné aux longues soirées d’été de mes contrées septentrionales.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
La traversée de l’Atlantique à la voile… mais comme j’ai déjà le mal de mer sur la beau Lac Tanganyika, je crois que cela restera un rêve.
Votre rêve de bonheur ?
Cheminer tout au long de la vie avec la personne que j’aime et évoluer ensemble sur ce chemin.
Votre plat préféré ?
Des ris de veau poêlés aux champignons sauvages crémés. Un plat simple quoi (rires) !
Votre chanson préférée ?
« La mémoire et la mer » de Léo Ferré, mélancolique à souhait.
Quelle radio écoutez-vous ?
Je n’écoute pas vraiment la radio, je suis plutôt un lecteur .
Avez-vous une devise ?
Sans forfanterie, « l’union fait la force ». Oui, c’est celle de la Belgique, cela pourrait être celle du Burundi aussi. J’essaie de la vivre au quotidien, au travail comme ailleurs.
Votre définition de l’indépendance ?
Être autonome et responsable en connexion avec l’autre. L’indépendance, qu’elle soit personnelle ou étatique, ne veut pas dire l’isolement ou le rejet de l’autre. Je t’apporte quelque chose et tu m’apportes quelque chose en respectant mon intégrité –je préfère ce terme à celui, souvent galvaudé, de souveraineté- comme je respecte la tienne. Pas d’indépendance sans interdépendance équilibrée.
Votre définition de la démocratie ?
« Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » (Abraham Lincoln). J’ajouterais à cette célèbre phrase de Lincoln « tout le peuple » et je soulignerais la responsabilité des dirigeants démocratiquement choisis d’exercer leur mandat dans cet esprit, et encore la responsabilité du peuple-électeur de demander des comptes, régulièrement, à ses dirigeants.
Votre définition de la justice ?
La justice comme idéal me plaît beaucoup : c’est-à-dire le refus de l’injustice, source de chaos (et de souffrances individuelles ou collectives). Elle me paraît aussi indispensable en ce qu’elle est un fondement de l’égalité. Quoique viscéralement monarchiste, j’admire la devise française « Liberté, Egalité, Fraternité » car, aussi précieuse soit elle, le liberté seule opprime. C’est l’égalité qui établit l’équilibre et cet équilibre doit être garantit par la justice. Et, pour terminer mon propos, c’est la fraternité, la solidarité, qui lisse les inégalités que l’égalité seule engendre.
Si vous étiez ministre belge des affaires étrangères, quelles seraient vos deux premières mesures pour le Burundi?
C’est une prédiction ? (rires) Je ferais ce que fait déjà mon Ministre : veiller à ce que le Burundi ne disparaisse pas du radar international car si c’est parfois désagréable, c’est aussi le gage d’un intérêt nécessaire au soutien continu au développement harmonieux du pays.
Que pensez-vous avoir réussi durant votre présence à la tête de l’ambassade belge au Burundi?
Peut-être simplement avoir contribué à maintenir le rythme et l’ambiance de travail malgré la réduction importante du personnel du poste après la crise de 2015. J’ai aussi pu, très imparfaitement certes, rouvrir des canaux de communication. C’est la mission que m’avait confiée mon Ministre et je crois y être, au moins en partie, parvenu, et ainsi contribuer à éviter de graves incidents, comme à la fin de l’année 2016.
Ce que vous regrettez d’avoir échoué ?
Je regrette de n’avoir pas pu lever toutes les équivoques, effacer les mauvaises perceptions des uns et des autres et de part et d’autre.
A la fin de votre mandat, quel message pour les politiques burundais ?
C’est chose difficile que l’exercice du pouvoir et la direction d’un Etat et je respecte profondément le travail des femmes et hommes politiques, en l’occurrence burundais, qui se lancent honnêtement dans cette tâche. Cela étant dit, ce qui me paraît fondamental pour espérer réussir dans ce travail, c’est la conscience qu’il y a quelque chose qui vous dépasse et vous fait vous dépasser : ici, le bien-être du peuple burundais qui, quoi qu’on en dise, souffre trop.
Quel message pour les Burundais ?
Votre destin vous appartient et on est toujours plus forts avec beaucoup d’amis, même ceux dont on pense ou dit qu’ils sont plus difficiles.
Croyez-vous à la bonté naturelle de l’homme ?
Non, je ne suis pas rousseauiste. Mais je ne crois pas non plus que l’homme soit un loup pour l’homme. Je crois qu’il est ce qu’il devient, en fonction de nombreux éléments qu’il ne maîtrise pas vraiment et qu’il peut, parfois, trouver la force de corriger. En cela le temps est un allié.
Pensez-vous à la mort ?
Tout le temps. Elle m’accompagne depuis mon enfance et la mienne ne m’effraie pas. Maintenant, je ne suis pas pressé. Comme le chantait Brassens : « Jugeant qu’il n’y a pas péril en la demeure, allons vers l’autre monde en flânant en chemin ».
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
« Tiens, quelle bonne surprise ! »
Propos recueillis par Léandre Sikuyavuga