Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, la princesse Rose Paula Iribagiza.
Votre qualité principale ?
Je ne suis pas rancunière. Je pardonne facilement et je suis respectueuse aussi bien envers des gens ordinaires, misérables que des puissants. L’être humain, même s’il est ordinaire, misérable, il reste un enfant de Dieu comme moi.
Votre défaut principal ?
Il paraît que je suis égoïste. Mais comme je connais déjà ce défaut, je serai guérie.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
L’amour sous ses différents aspects. L’amour dans les familles, dans le voisinage, l’amour du travail.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
Le commérage. Je n’aime pas fréquenter les gens qui parlent des autres derrière leur dos.
La femme que vous admirez le plus ?
Marguerite Barankitse. Cette Burundaise connue sous le nom de Maggy est une femme exceptionnelle, hors du commun. Depuis 1993, elle s’occupe des gens malheureux, des enfants orphelins, etc. Je manque de mots exacts pour parler d’elle. Cependant, elle n’a pas été diplomate en 2015, elle n’aurait pas dû s’exprimer ouvertement tel qu’elle l’a fait.
L’homme que vous admirez le plus ?
Le roi Mwezi Gisabo pour avoir défendu le Burundi contre les esclavagistes de Rumaliza, fin 19e siècle. Mon père, le roi Mwambutsa Bangiricenge. Il a bien géré le pays, personne n’a gardé un mauvais souvenir de lui. Quand je fais la marche, des gens que je croise dans la rue s’étonnent que je sois seule, sans garde. Je leur fais savoir que mon père n’a tué personne. Pour rappel, quand mon frère, le prince Louis Rwagasore a été assassiné, mon père a interdit aux Burundais de se venger dans ces propos : « J’ai perdu un seul enfant, je ne veux pas perdre d’autres, ne vous vengez pas. Laissez la justice faire son travail ». Ainsi, l’assassinat du prince Louis Rwagasore n’a pas entraîné l’effusion de sang dans le pays. De ce message, j’ai déduit que mon père prenait tous les Burundais comme ses propres enfants.
J’admire mon frère le prince Louis Rwagasore. Il savait qu’on le cherchait pour le tuer mais il a continué sa lutte pour l’indépendance du Burundi. Il disait qu’il ne pouvait pas prendre le large sans que le pays n’ait recouvré la souveraineté. Si c’était quelqu’un d’autre, il aurait fui. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour remercier les musulmans car sans eux on n’allait pas accéder à l’indépendance. Ils l’ont soutenu et protégé plusieurs fois dans sa lutte.
Je pense aussi à Nelson Mandela. Il ne s’est pas vengé contre les blancs après être sorti de la prison et devenu président de la République. Cela a entraîné la stabilité de son pays. J’admire aussi Gandhi et Sankara, ancien président burkinabè.
Votre plus beau souvenir ?
J’en ai deux. La naissance de mon premier enfant, le 21 octobre 1954. Je garde aussi un beau souvenir des vagissements d’un nouveau-né. Ces cris sont formidables.
Votre plus triste souvenir ?
Sur terre, Dieu m’a tout donné. Mais, je garde un triste souvenir de la mort de mes deux frères, le prince Louis Rwagasore et le Roi Ntare V. Ils ont été sauvagement assassinés.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
L’indépendance du Burundi
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 1er juillet 1962
La plus terrible ?
Trois dates me paraissent les plus terribles dans l’histoire burundaise. Le 13 octobre 1961 et le 29 avril 1972 marquant l’assassinat de mes frères respectivement le prince Louis Rwagasore et le prince Charles Ndizeye. Et le 21 octobre 1993. Ce jour-là, j’ai pleuré après avoir entendu depuis l’exil en Belgique que le président Melchior Ndadaye avait été assassiné. La date de son assassinat a coïncidé avec l’anniversaire de mon aîné, mais je n’ai pas participé à cet anniversaire. Je suis restée chez moi, je n’en pouvais pas. En août 1993, le président Ndadaye avait effectué une visite en Belgique et j’ai participé dans la conférence qu’il a organisée. Il a été élu par le peuple alors qu’aucun de ses prédécesseurs n’était arrivé au pouvoir par la voie des urnes.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
J’aurais aimé être médecin. J’en suis passionnée et j’ai des dons pour ce métier. C’est pour cette raison que je reste d’ailleurs en bonne santé. Du haut de mes 85 ans, je ne souffre d’aucune maladie. En Belgique, je lisais tellement le magazine Top santé que des enfants avaient fini par me nommer «médecin». Mais si je devais faire un choix pour des responsabilités politiques, j’aurais aimé être l’ombudsman et je suis capable de m’acquitter des devoirs dus à cette fonction.
Votre passe-temps préféré ?
Je fais le coloriage des dessins et la broderie. C’est ce que je faisais, enfant, quand j’étais éduquée par les sœurs catholiques à Gatara, en province Kayanza.
Votre lieu préféré au Burundi ?
Je suis très attachée aux provinces de Gitega et Muramvya. Je suis née à Gitega mais nous avons tour à tour vécu dans ces deux provinces.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Le Burundi car c’est le pays de mes ancêtres. En plus, mon frère a versé son sang pour le Burundi et les Burundais.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Israël pour voir où Jésus est né et a grandi.
Votre rêve de bonheur ?
Que le Burundi soit géré comme des pays européens. Le bien-être de la population est au centre de la politique. Les dirigeants se soucient plus du bien de la population que de leurs intérêts.
Votre plat préféré ?
De simples aliments. J’aime la pâte de maïs ou de blé accompagnée du haricot « kirundo » car il contient les mêmes éléments nutritifs que dans la viande. J’aime les fruits et légumes aussi.
Votre chanson préférée ?
Les chansons de Kidumu. Mais en général, je suis attachée particulièrement aux chansons des jeunes burundais. Ils sont en train d’évoluer.
Quelle radio écoutez-vous ?
La RFI, c’est une radio dont la couverture porte sur tous les pays du monde, l’Afrique, l’Europe, l’Asie, etc.
Avez-vous une devise ?
Aie le roi et les notables
Votre souvenir du 1er juin 1993
Aucun souvenir
Votre définition de l’indépendance ?
Elle est très importante pour un pays. Elle implique le respect d’un peuple par les autres dans le concert des nations. Elle va de pair avec le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, la fin de la chicotte.
Votre définition de la démocratie ?
Une organisation politique où le peuple est au centre de la gestion du pouvoir.
Votre définition de la justice ?
J’entends le pilier de la paix, de la cohésion sociale. Sans la justice dans une société, les gens ne peuvent pas cohabiter pacifiquement.
Si vous deveniez ministre de la santé, quelles seraient vos deux premières mesures ?
Je m’inspirerais du système sanitaire de la Belgique où des indigents bénéficient gratuitement des soins. En outre, je donnerais gratuitement et régulièrement des vaccins à toute la population pour qu’elle ait une bonne santé.
Si vous deveniez l’ombudsman, quelles seraient vos deux premières mesures ?
Je réunirais une fois par mois les représentants de tous les partis politiques pour garantir un climat de tolérance politique dans le pays. Je ferais en sorte que des partis ne se considèrent pas comme des ennemis, mais plutôt adversaires. A l’issue d’une compétition électorale, il y a toujours le vainqueur et le vaincu. Comme le disait le prince Rwagasore, ces derniers sont tous Burundais, devant jouir des mêmes droits. En plus, je m’efforcerais pour que les appartenances ethniques soient extirpées de l’esprit des Burundais. Il n’existe pas d’ethnies au Burundi, nous parlons tous une même langue, nous avons les mêmes coutumes, etc.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Oui, parce que nous sommes le temple de Dieu. Celui-ci habite en nous et comme il est naturellement saint, bon, juste, etc. Je crois personnellement à la bonté de l’homme.
Pensez-vous à la mort ?
Il n’est pas encore temps que je meure parce que je suis en bonne santé. Mais, je sais que je mourrai un jour.
Si vous comparaissiez devant Dieu, que lui diriez-vous ?
Pourquoi m’as-tu pris mes frères, si jeunes ? C’est une peine qui ne me quittera jamais.