Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Ketty Nivyabandi.
Votre plus beau souvenir ?
Les premiers sourires de mes enfants.
Votre plus triste souvenir ?
L’enterrement de mon père, en juillet 2009.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Finir ma vie en exil. Ne plus pouvoir sentir l’odeur de mon pays, entendre le kirundi à chaque coin de rue, voir les Burundaises marcher lentement et dignement sur nos rues rousses de poussière, ne plus voir le soleil se coucher dans les bras du Tanganyika. Ce serait une énorme douleur. Mais, je préfère mourir debout que soumise. La soumission est l’ultime malheur.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
La longue et héroïque résistance du Mwami Mwezi Gisabo à la colonisation allemande. Nous sommes un des rares pays africains ayant résisté si longtemps à la colonisation. Cela dit beaucoup sur qui nous sommes, sur nos valeurs, et l’importance de notre autonomie, et auto-détermination. Et cette résistance a continué, malgré la force du colon. Mwezi Gisabo refusa de se vêtir à l’occidental, Mwambutsa refusa de se faire baptiser. Rwagasore, épaulé par Mirerekano, Ngendadumwe et d’autres sont restés debout pour notre dignité en tant que nation, en tant qu’humains.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 1er juillet 1962, la reconquête de notre indépendance.
La plus terrible ?
Nous en avons tellement. Comment en choisir une ? Ce choix serait une autre injustice. Chaque date où un Burundais a perdu sa vie injustement est la plus terrible de toutes.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
Moine. Sinon, j’aurais beaucoup aimé faire de la recherche, particulièrement en génétique, un domaine fascinant.
Votre passe-temps préféré ?
Rêver, imaginer, penser, lire, écrire.
Votre lieu préféré au Burundi ?
La propriété de mes grands-parents, à Muramvya. Elle porte de merveilleux souvenirs de mon enfance, de belles vacances avec mes cousins, un paysage magnifique….
Le pays où vous aimeriez vivre ? Pourquoi ?
Le Sénégal. Je suis intriguée par la richesse de sa culture, la fierté de ses habitants, sa musique et son art. C’est un pays que j’aimerais beaucoup fréquenter et découvrir.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Le voyage dans le passé. Pour mieux comprendre le présent.
Votre rêve de bonheur ?
Le bonheur, pour moi, ce sont de petites choses. C’est une après -midi passée au bord de l’eau. Voir mes enfants heureuses. Le bon morceau de musique au bon moment. Une belle prière. Le bonheur, ce sont ces petits instants de grâce, qui vous transportent et qui suspendent la vie.
Votre plat préféré ?
Igitoke (banane) aux tomates, finement épicées, avec un peu de lait de noix de coco. C’est un délice.
Votre chanson préférée ?
Redemption song, de Bob Marley.
Quelle radio écoutez-vous ?
Je n’écoute pas vraiment la radio, mais j’aime beaucoup l’émission En Sol Majeur de Yasmina sur Rfi, et le podcast ‘On Being’ de Krista Tippet. Toutes deux traitent d’art, de culture, de philosophie, de spiritualité, bref des grandes questions de la vie.
Avez-vous une devise ?
Non.
Votre souvenir du 1er juin 1993 ?
J’étais encore jeune, mais j’avais fait un rêve sur la victoire de Melchior Ndadaye, quelques jours auparavant. Cette date, pour la jeune adolescente que j’étais, était surtout la belle surprise de découvrir un pouvoir magique : le rêve prémonitoire…
Votre définition de l’indépendance ?
La liberté.
Votre définition de la démocratie ?
La souveraineté individuelle et collective des citoyens. Des dirigeants qui répondent aux dirigés, et non le contraire.
Votre définition de la justice ?
Le respect des droits et de la liberté de chacun.
Si vous étiez ministre des droits de l’Homme, quelles seraient vos deux premières mesures ?
La (re)signature du Statut de Rome et la ratification des instruments internationauax des droits de l’Homme encore manquants. Je m’occuperai également d’un programme national d’éducation à l’Ubuntu, qui est le fondement d ‘une culture des droits de l’Homme. J’y ajouterais, grâce aux nouvelles technologies, un système d’alerte qui permette aux habitants de rapporter les violations des droits de l’Homme dont ils sont témoins immédiatement.
Si vous étiez ministre de la culture, quelles seraient vos deux premières mesures ?
La création de bibliothèques, ces lieux magiques de loisirs et de savoirs dans chaque école, quartier et secteur. La numérisation du patrimoine culturel et artistique.
Croyez-vous à la bonté naturelle de l’Homme ?
Oui, absolument. Mais, l’être humain a aussi tout en lui pour être cruellement mauvais. C’est un choix que nous faisons au quotidien, dans l’intimité de nos choix. Cela est vrai pour chacun de nous. Et c’est précisément ce qui nous rend humain. Alexandre Soljenitsyne l’a résumé ainsi : « Peu à peu, j’ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les États ni les classes ni les partis, mais qu’elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité. »
Pensez-vous à la mort ?
Oui, tous les jours. J’ai toujours eu une grande lucidité par rapport à la mort. Elle ne m’a jamais fait peur. C’est la vie que je trouve plus effrayante. L’idée d’une vie mal vécue me semble de loin plus terrifiante que la mort.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Face à l’immensité de Dieu, je doute que l’on ressente le besoin de parler.
Bio-express
Poète engagée, militante pour l’Ubuntu et le respect des droits humains, et mobilisatrice des femmes lors des manifestations de 2015. Ketty Nivyabandi est née en Belgique, rentre au Burundi à 5 ans, y passe le reste de son enfance et jusqu’en 1993, où elle se rend en France pour le reste de ses études secondaires et un Baccalauréat en Philosophie. Elle choisit de revenir en Afrique pour ses études universitaires et poursuit les Relations Internationales (faute de Sciences politiques) au Kenya, avec une concentration en Journalisme et Relations Internationales Africaines.
Elle rentrera au Burundi après l’université, et, séduite par la vision panafricaniste et citoyenne du journaliste Innocent Muhozi, elle rejoint, en 2003, l’équipe fondatrice de la radio Renaissance FM, comme journaliste et productrice.
Ketty a travaillé comme consultante en communication, notamment avec les Nations Unies en Ouganda, avant de rejoindre l’Ambassade des Etats Unis au Burundi où elle était Directrice du Centre de Ressources et du programme ‘American Spaces’ jusqu’en 2015. Très active sur la scène culturelle, notamment comme co-initiatrice du café littéraire Samandari et éditrice du premier recueil d’auteurs burundais en 2012 (un ouvrage de réflexion sur les 50 ans d’Indépendance du Burundi), elle est auteure de nombreux poèmes, publiés dans plusieurs anthologies internationales. Fort engagée autour de la crise burundaise depuis 2015, elle est une des fondatrices du Mouvement des Femmes et Filles pour la Paix et la Sécurité, et milite pour le respect des droits humains, particulièrement ceux des femmes, dans nombreux forums internationaux.
Ketty est maman de deux filles, et travaille actuellement pour Nobel Women’s Initiative, une organisation fondée par les Femmes Prix Nobel de la Paix, pour soutenir les femmes activistes pour la paix dans le monde.
Elle s’est récemment produite à l’ouverture du Festival International de la Poésie à Berlin en mai 2018 et s’intéresse particulièrement au rôle de la jeunesse dans la création d’une culture politique et sociale alternative et humaniste au Burundi.