Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Judicaelle Irakoze.
Votre qualité principale ?
La gentillesse. J’aime voir les gens autour de moi épanouis.
Votre défaut principal ?
La colère. Je me fâche rapidement, mais la colère passe vite aussi.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
La patience
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
Le manque de loyauté, la trahison.
La femme que vous admirez le plus ?
Ma mère
L’homme que vous admirez le plus ?
Thomas Sankara
Votre plus beau souvenir ?
Mon enfance au Burundi, les week-ends à Kiganda chez mes grands-parents.
Votre plus triste souvenir ?
La mort de ma grand-mère. Je n’ai pas pu assister à l’enterrement.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Mourir sans revivre au Burundi
Le plus haut fait de l’histoire burundaise
L’indépendance, lorsque la domination coloniale belge a été officiellement terminée.
La date la plus terrible de notre histoire ?
Toutes les dates des multiples massacres et tueries qui se sont produits jusqu’à aujourd’hui.
Avez-vous une devise ?
Les mots d’Angela Davis : « Il faut agir comme s’il était possible de transformer radicalement le monde et il faut le faire tout le temps. »
Votre définition de la justice ?
La justice pour moi, c’est l’amour. S’aimer au point de croire que l’autre mérite la bonté que vous vous souhaitez.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
Ce que je fais aujourd’hui. Défendre les droits des femmes.
Vous êtes connue comme « féministe ». En deux lignes, qu’est-ce que cela veut dire ?
Je me définis comme féministe dans le sens où je suis une femme attachée à ma liberté et à la liberté de toutes les femmes et donc de toutes les personnes. La liberté de vivre une vie digne, quel que soit mon sexe, mon orientation sexuelle, ma race ou mon niveau social.
Vous croyez dans le mariage tel qu’on le connaît ?
Non. Je crois que l’institution du mariage, telle qu’elle est, a été construite sur les femmes en tant que propriétés à échanger d’un propriétaire (le père) à un autre (le mari). Il ne privilégie jamais les femmes. Je crois au partenariat et à la camaraderie sans pouvoir ni domination, mais avec des avantages égaux et une croissance commune. Je crois aussi que c’est la clé pour des familles saines, des environnements sains, des sociétés saines et des pays prospères.
D’après vous, si vous deviez faire un top 3 des hommes les plus machos. Qui seraient-ils ?
Chaque homme sous le patriarcat a la capacité d’être tellement perdu dans sa masculinité toxique. Le patriarcat est défini comme le système où les hommes sont considérés comme des dirigeants pour marcher partout et les femmes sont le deuxième sexe. Cette folie des grandeurs à outrance crée une masculinité toxique où les hommes affichent leur pouvoir en dominant, en abusant très souvent, et en nuisant. Les guerres les plus horribles de ce monde ont commencé avec des hommes ivres de leur pouvoir viril.
Est-ce que l’homme burundais est « macho » ?
La culture burundaise est faite d’un patriarcat à outrance. Le concept de « kunaga » est basé sur des hommes montrant leur pouvoir. Ou « nikwo zubakwa », littéralement créé pour dire aux femmes burundaises que quoi qu’il arrive, vous restez mariées, car c’est comme ça. Aujourd’hui encore, nos mères nous disent des choses, comme « umugabo n’umwana w’uwundi » pour dire qu’il ne faut jamais faire confiance à un homme, peu importe votre relation avec lui. Et c’est une tactique de survie de nos mères pour faire face aux manières machistes des hommes burundais.
Que peut faire la femme burundaise pour gagner son indépendance ?
Tout d’abord, nous devons abandonner « Ubupfasoni » en tant qu’identité, surtout si c’est pour soutenir la culture du silence. Écoutez-moi bien. J’aime à quel point les femmes burundaises sont douces, apaisantes et gracieuses. On adore les voir. Mais cela ne devrait pas être synonyme de se priver du droit de parler, de se défendre, mais surtout de parler. Je suis vraiment tellement impressionnée par ma génération. On parle plus. Et peut-être parce que nous sommes connectées au reste du monde. Se priver de parler comme une façon d’être « umupfasoni », c’est une façon de vous priver de votre liberté. La liberté exige de prendre de la place. Je veux que plus de femmes burundaises prennent de la place.
Si vous étiez nommée ministre de la Promotion féminine au Burundi, quelles seraient vos deux premières décisions pour promouvoir la femme ?
Primo: pousser pour un projet de loi qui rend les serviettes hygiéniques gratuites. En 2022, les jeunes filles manquent l’école à cause de la pauvreté, des règles. Les serviettes hygiéniques sont le besoin de chaque femme, tous les mois, jusqu’à 48 ans. Si nous résolvons « la pauvreté menstruelle », nous veillons à ce que les jeunes filles ne manquent pas l’école. Nous brisons la stigmatisation menstruelle.
Secundo : créer des centres de SDSR (Santé et les Droits Sexuels et Reproductifs) dans toutes les provinces du pays. Nous manquons d’éducation sexuelle complète, ce qui laisse le pays avec un nombre élevé de grossesses chez les adolescentes, des violences sexuelles non signalées, un manque d’accès aux contraceptifs et à la planification familiale en général.
Finalement, il y a tellement de choses à faire, mais je vais commencer par ces deux-là, de toute urgence, pendant que je prépare un plan d’actions.
Votre passe-temps préféré ?
Lire et dormir
Votre lieu préféré au Burundi ?
Kiganda
Le pays où vous aimeriez vivre ?
J’aimerais vivre à Bali. Je suis une fille de l’océan et leurs manières écologiques m’attirent.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Je n’en ai pas pour le moment. Je suis très privilégiée d’avoir visité de nombreux pays.
Votre rêve de bonheur ?
C’est privé ha !ha !
Votre plat préféré ?
Isombe
Votre chanson préférée ?
« Murundi ukiri mu bwicanyi, witegereze wibaze »
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Oui
Pensez-vous à la mort ?
Quelquefois
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
J’ai essayé.
Propos recueillis par Antoine Kaburahe
Voilà une burundaise dont nous pouvons être fiers.Elle remet en question cette culture qui nous a rendu esclaves de l’injustice sociale.Aujourd’hui le Burundi est surpeuplè peut-être parce que les femmes sont réduites au statut de pondeuses.La pauvreté prend source dans cela.Trop de bouches à nourir avec nos maigres ressources.Emanciper la femme c’est aussi réduire les naissance et enraciner la paix sociale.Judicaelle est le genre de femme que nous voulons au Burundi,une femme décomplexée qui regarde l’avenir avec serenité et non plus celle qui crie à l’aide à longueur de journée avec sa nombreuse descendance.Les ressources aujourd’hui sont très rares.
J’aime ce langage sans langue de bois. C’est la vérité qui sauvera le Burundi et cela dans tous les domaines.
sigaho nta leçon de morale irimwo dans la manière dont cet invité voit la condition de la femme. ayo ma générations qui prétendent avoir droit a la parole uraraba ko atari amwe journal iwacu ihora ikunda kubaza ngo <> Si elle veut révolutionner la culture burundaise nafashe la femme burundaise gutsinda ubukene.
*U-m-u-p-f-a-s-o-n-i = Nom formel désignant une femme mariée, synonyme de « u-m-u-g-o-r-e » (femme)… Peut aussi s’appliquer à une fille célibataire, comme marque de respect. Pour une jeune fille célibataire, le nom/mot le plus comparable est « u-m-w-i-g-e-m-e », mais « u-m-u-k-o-b-w-a » est le nom usuel.
*U-b-u-p-f-a-s-o-n-i = Politesse… ni plus, ni moins! S’applique autant aux hommes qu’aux femmes, de même que son contraire « U-b-u-s-h-i-r-a-s-o-n-i ». L’autre mot signifiant la même chose serait « u-b-w-u-b-a-h-e », mais il sonne trop comme une fabrication (pas trouvé d’autre façon de l’expliquer – les gens parlant Kirundi comprendront).
Quelques précisions :
– Toute femme mariée, polie ou impolie, peut être appelée « u-m-u-p-f-a-s-o-n-i » n’importe quand et dans n’importe quelle circonstance.
– « U-b-u-p-f-a-s-o-n-i » est une manière de vivre et de se comporter avec politesse et dignité dans la société, au même titre que l’« u-b-u-n-t-u ». Qu’on soit homme ou femme! Et cela n’empêche pas à qui que ce soit de faire des revendications ou de s’exprimer… C’est mieux reçu quand c’est fait avec « u-b-u-p-f-a-s-o-n-i » que sans!
Corrigez-moi si je me trompe!…
La leçon chez Mme Perpétue Miganda, c’était une suggestion et non une obligation. Mais de grâce, arrêtez de pervertir la tradition par des interprétations erronées.
Une leçon sur les valeurs de la tradition burundaise serait bénéfique à cette dame. Peut-elle approcher Mme Miganda pour cela?
Numva ahagaze neza!! Elle est née en quelle année?? Etudes faites?? Née à Bujumbura dans quelle quartier?
Extraordinaire lecture que tous les decideurs politiques et religieux devraient lire et relire pour comprendre la condition feminine et les mesures concretes a prendre ici et maintenant. Quel homme se preoccupe de la misere menstruelle? Merci et bravo a cette formidable militante de poser des problemes existentiels et d’y apporter des solutions.