Lundi 23 décembre 2024

Ils sont venus au coin du feu

Au coin du feu avec Joseph Gahama

18/07/2018 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Joseph Gahama
Au coin du feu avec Joseph Gahama

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Joseph Gahama.

Votre plus beau souvenir ?

C’est quand le 9 décembre 1980, j’ai soutenu brillamment ma thèse de Doctorat en Histoire des sociétés africaines à l’Université de Paris 1 Panthéon- Sorbonne après trois années d’intenses recherches en France, en Italie, en Angleterre, en Belgique et évidemment au Burundi. Mon Directeur de thèse, le Pr. Yves Person, venait d’être opéré d’une tumeur au cerveau, mais avait tenu à assister à la soutenance, se joignant ainsi aux amis burundais, africains et français qui étaient venus nombreux partager ma joie. Cette thèse, légèrement remaniée, fut rapidement publiée en 1981 et me permit d’entamer une bonne carrière universitaire.

Votre plus triste souvenir ?

La disparition subite de mon père en 1977 m’a beaucoup touché. Je venais d’être engagé comme professeur d’histoire et de géographie à l’Ecole normale des Filles de Gitega. La terrible nouvelle me parvint par l’intermédiaire de la femme de mon cousin, qui par ailleurs avait été condisciple de classe.

Cela fut d’autant pénible que la Sœur directrice refusa de me prêter le véhicule de l’Ecole pour aller rapidement à l’enterrement à Ijenda. Un ami, Dr. Luc Sahabo qui avait été mon professeur de biologie au Petit Séminaire de Kanyosha accepta de m’accompagner dans sa voiture. Nous sommes arrivés tard dans la nuit. Mon père avait été déjà inhumé !

Quel serait votre plus grand malheur ?

Comme je commence à prendre de l’âge, je me prépare à affronter les durs derniers moments de la vie, mais mon plus grand malheur serait de décéder après une longue maladie qui m’aurait cloué au lit et m’aurait rendu infirme, m’obligeant de me ruiner et de laisser ainsi ma famille dans le besoin.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

C’est à mon avis quand l’armée de Mwezi Gisabo a repoussé vaillamment les envahisseurs esclavagistes sous la conduite de Mohammed Kalfan el Khamis bin Baruani dit Rumaliza. Les Burundais toutes ethnies confondues ont défendu leur souveraineté nationale.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

C’est sans doute le 1er juillet 1962, lorsque les Burundais retrouvent leur indépendance après plusieurs années de colonisation marquées par les nombreuses humiliations et souffrances imposées par les étrangers.

La plus terrible date de l’histoire burundaise ?

1965 : début de cycles de violences politiques et ethniques qui se sont imposés et marquent de manière indélébile l’histoire contemporaine du Burundi.

Le métier que vous auriez aimé faire ?

J’aurai aimé être pilote de ligne et si j’avais les moyens, j’aurais payé les études à un de mes enfants pour qu’il apprenne ce métier.

Pourquoi ?

Bien que j’aie la chance et le privilège de voyager souvent, je suis fasciné par la manière dont les pilotes peuvent faire décoller et surtout faire atterrir, toujours sur le train- arrière, des avions qui pèsent des tonnes et des tonnes. En plus, c’est un métier qui paye bien, alliant ainsi l’utile à l’agréable.

Votre passe-temps préféré ?

La lecture depuis que je suivais l’enseignement secondaire dans la deuxième moitié des années 1960. Je lis tout : depuis les bandes dessinées (Je connais par cœur toutes les histoires de Tintin et Milou, de Lucky Luke, etc.) jusqu’aux ouvrages philosophiques en passant par ceux qui traitent de mon métier : celui de l’historien. Il y a quelques années, je faisais du sport, mais le temps passant, je le fais de moins en moins.

Votre lieu préféré au Burundi ?

C’est sans doute Rukina, l’endroit où je suis né. Lorsque je monte chez moi comme on dit, j’ai de la peine à retourner à Bujumbura, tant cette place représente beaucoup de choses pour moi : elle évoque mon enfance, les liens avec mes parents, mon voisinage, etc.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Malgré les souffrances dont il fait actuellement l’objet, le Burundi est un pays merveilleux pour moi. J’ai l’intention d’y passer mes vieux jours.

Pourquoi ?

Depuis la fin de mes études, j’ai beaucoup voyagé et séjourné à l’étranger, mais tout compte fait, rien ne vaut sa terre natale.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

J’aimerai visiter la Chine et le Japon. Je ne connais pas ces pays d’Asie qui ont vu émerger et s’épanouir de grandes civilisations et qui sont devenus il n’y a pas longtemps des puissances économiques. C’est également sur ce continent qu’on trouve les plus grandes concentrations humaines.

Votre rêve de bonheur ?

Etre grand-père et arrière-grand-père dans un environnement familial épanoui et à l’aise.

Votre plat préféré ?

Je n’en ai pas tellement. Je mange un peu de tout. Mais j’ai un penchant de plus en plus vers les plats végétariens arrosés d’un peu de vin rouge choisi avec le plus grand soin.

Votre chanson préférée ?

Difficile à dire. J’aime les chansons françaises des années 1970 et 1980 : Mike Brant, Michel Sardou, Cabrel, etc.

Quelle radio écoutez-vous ?

C’est la Radio Rwanda, je travaille dans ce pays depuis 2000. J’écoute aussi RFI.

Avez-vous une devise ?

Non

Votre souvenir du 1er juin 1993 ?

Il s’agit des élections présidentielles qui se sont soldées par la victoire de Melchior Ndadaye aux dépens du Major Pierre Buyoya.

Votre définition de l’indépendance ?

L’indépendance ne doit pas seulement être que politique comme cela a été le cas pour la plupart des pays africains dans les années 1960, elle doit être aussi économique et culturelle. Ce qui est loin d’être le cas. Le monde continue d’être dominé par l’Occident, bien que la Russie et la Chine essaient de s’imposer comme des interlocuteurs indispensables.

Votre définition de la démocratie ?

Il n’y a pas à proprement parler une seule définition de la démocratie. Celle-ci doit être comprise comme un idéal qui met au centre le bien-être et le bonheur de l’individu et de la société dans laquelle il vit.

La démocratie à l’occidentale qui s’est imposée à partir du siècle des Lumières et qui s’est résumée dans «un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple» proposé par Lincoln n’est pas forcément la meilleure. Les peuples africains et asiatiques avaient des systèmes «démocratiques» qui pourraient inspirer bon nombre de régimes actuels.

Votre définition de la justice ?

Encore une fois, une définition de la justice est difficile à établir. Rendre justice à quelqu’un, c’est le rétablir dans ses droits : ceux liés au bien-être et au bonheur, c’est-à-dire ses droits de posséder, de penser, de s’épanouir, etc. individuellement et collectivement.

Si vous étiez ministre de l’Education et de la Recherche scientifique, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Premièrement, redorer le blason de l’université comme institution où on dispense le savoir au plus haut niveau. Il faudrait insister sur la qualité des enseignements dispensés et des recherches effectuées.

Deuxièmement, réhabiliter la carrière universitaire : c’est-à-dire recruter de bons enseignants et chercheurs et leur donner un environnement approprié pour un bon travail et leur permettre de s’épanouir économiquement et socialement. C’était le cas jusque dans les années 1980.

Si vous étiez président de la République, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Comme c’est utopique, ma première mesure serait de ramener la paix à tout prix. Ensuite, engager des discussions à tous les niveaux pour relancer l’économie du pays et l’engager sur la voie de l’épanouissement social et culturel.

Croyez-vous à la bonté naturelle de l’homme ?

Sans verser totalement dans la pensée de Rousseau qui disait que l’homme est naturellement bon, mais que c’est la société qui le corrompt, c’est vrai en partie, il faut se référer aux comportements des enfants et des innocents. Mais dès qu’on touche aux intérêts (politiques, économiques, sociaux et culturels » de l’être humain, il devient un loup, comme le disait l’adage romain, «homo homini lupus».

Pensez-vous à la mort ?

Evidemment, mourir c’est normal, c’est la voie obligée. Ce qui est mauvais, c’est « mal mourir », comme un chien, dit-on. Toutes les sociétés croient dans l’au-delà, depuis que l’homme a acquis une dimension religieuse, il y a plus de 10.000 ans.

Comme d’autres, j’y songe et si je pouvais, je m’y préparerais comme les empereurs japonais qui, passés la soixantaine, abdiquaient en faveur de leurs enfants, se retiraient dans un monastère pour attendre le voyage vers l’au-delà.

Bio Express

Le Pr. Joseph Gahama est détenteur d’un Doctorat en Histoire des sociétés africaines et d’une Habilitation à diriger des recherches (HDR) obtenus à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne respectivement en 1980 et en 1996. Il est actuellement Recteur de l’East African University Rwanda après avoir exercé de hautes fonctions à l’Université du Burundi, au Kigali Institute of Education, à l’University of Rwanda- College of Education en tant que directeur du Département d’Histoire. Il a également été directeur de recherche et doyen de la Faculté des Sciences sociales. Il a une longue expérience d’enseignement et de recherches dans plusieurs universités africaines et européennes. Il a été consultant pour l’Unicef, l’Unesco, le PNUUD, l’Union Africaine, les gouvernements du Burundi et du Rwanda, ainsi que diverses ONG internationales. Il a participé avec présentation de communications à plus d’une centaine de conférences et séminaires internationaux. Il est l’auteur de plusieurs livres, articles et chapitres dans des ouvrages collectifs sur l’histoire sociopolitique de l’Afrique des Grands Lacs, spécialement le Burundi et le Rwanda. Il est enfin membre de nombreuses associations scientifiques et culturelles nationales et internationales.

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