Mardi 24 décembre 2024

Culture

Au coin du feu avec Jeanne d’Arc Nduwayo

24/07/2021 3
Au coin du feu avec Jeanne d’Arc Nduwayo

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Jeanne d’Arc Nduwayo.

Votre qualité principale ?

Je suis franche et dynamique.

Votre défaut principal ?

Je me connais pessimiste et ce n’est pas facile de me déloger de ma position. Bah, j’essaie de travailler ces défauts mais en chassant le naturel il revient au galop.

La qualité que vous préférez chez l’autre ?

L’honnêteté.

Le défaut que vous ne supportez pas chez l’autre ?

L’hypocrisie.

La femme que vous admirez ?

J’admire Angela Merkel comme Margaret Thatcher : Femmes d’Etat et Dames de fer. Angela Merkel a gagné la confiance de ses compatriotes, a
largement remporté les élections (95,9% des voix) et a été la première femme présidente de CDU (Union chrétienne démocrate). Elle a, ensuite, été la première femme à accéder au poste de chancelière fédérale allemande depuis 2005. Nous ne pouvons pas oser croire que c’est de l’autre côté de la Méditerranée que c’est facile pour une femme d’émerger politiquement. Quelle que soit la civilisation, l’homme reste égocentrique et cherche à préserver son droit d’aînesse, l’homme étant l’aîné sur terre de par la création.

L’homme que vous admirez le plus ?

Ahmadou Kourouma, l’écrivain ivoirien. C’est un militaire qui raisonne avant de tirer quel que soit l’ordre du supérieur. J’admire sa plume de critique. Son écriture du désenchantement dans «  Les soleils des indépendances » et la déshumanisation dans «  Allah n’est pas obligé ». Après plus de 50 ans d’indépendance et deux décennies de démocratie (après la conférence de La Baule), on est surpris par un coup d’Etat du coup d’Etat à l’Ouest (rires). L’africain marche sur la terre rare mais le sous reste rare dans sa poche pourtant elle s’étouffe dans les coffres à compter au bout des doigts.

Votre plus beau souvenir ?

Quand ils ont dit : il arrive. J’ai sauté de joie comme un enfant qui attendait sa mère. Traversant la porte, il arborait un sourire qui le rendait plus beau que je ne l’avais jamais vu. Quand il m’a pris la main, c’était comme si c’est un ange qui m’emmenait au paradis. C’est le jour de mon mariage.

Votre triste souvenir ?

La traversée de la Rusizi sous les balles. C’était en avril 1996, je venais de rentrer du lycée qui venait d’être une cible d’attaque des rebelles. Nous avons passé la nuit dans les buissons de Dogodogo suite aux rumeurs et des coups de feu qui se faisaient entendre ici et là. Vers 8h du matin, les coups de feu se sont intensifiés. Nous avons fui à travers les plantations de tripsacum, les balles passaient au-dessus nos têtes. De l’autre rive, on n’avait rien mais on avait la vie. Ce fut le début du calvaire au camp de réfugiés de Ruberizi au Zaïre où nous serons délogés, 6 mois après, par les bombardements d’octobre 1996.

Quel serait votre grand malheur ?

Voir mes enfants dans la misère. Pire, enterrer mes rejetons.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

La fondation et l’unification du royaume du Burundi par le roi Ntare Rushatsi.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

1680 (si on pouvait avoir la date exacte), la fondation du royaume du Burundi.

La plus terrible

21/10/1993, l’assassinat du président Melchior Ndadaye.

Le métier que vous auriez aimé faire ?

Le journalisme. J’aime la curiosité des journalistes, surtout les journalistes d’investigation. Le vrai journaliste dit que ça te plaise ou pas (Ntavugira umuvumbi kumuvumba) : la valeur de ce métier.

Vous êtes romancière. Quel message transmettez-vous dans votre roman « Les paillettes » ?

«  Les paillettes » est un roman lyrico-pathétique d’amour et de bravoure qui, à travers son héroïne, encourage la femme à l’estime de soi, à améliorer ses capacités et les exploiter afin d’atteindre son épanouissement.

Etes-vous alors féministe ?

Si le féminisme signifie  « l’ensemble de mouvements et d’idées philosophiques qui partagent un but commun : définir, promouvoir et atteindre l’égalité politique, économique, culturelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes », pourquoi ne pas porter cette étiquette de féministe ?

Votre passe-temps préféré ?

La lecture et la gymnastique.
Votre lieu préféré au Burundi
La plaine de l’Imbo.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Le Burundi, pour son climat et sa nature. Mais aussi, le Brésil pour sa nature, les plages et la beauté à la brésilienne : qui s’y frotte s’y pique (rires).

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Le Singapour, le paradis terrestre et les îles Seychelles pour ses plages paradisiaques.

Votre rêve de bonheur ?

Voir mes enfants réussir la vie dans un Burundi, Etat de droit, prospère et voir mes romans traduits en plusieurs langues, adaptés au cinéma, aux théâtres et à des scènes de comédies.

Votre plat préféré ?

Le plat chaud de patte de manioc à la viande avec os. Mais comme l’âge me guette, je respecte l’avis du diététicien.

Votre chanson préférée

« Emmène-moi danser ce soir » de Michèle Torr. C’est la parole d’une femme amoureuse. Ça m’amuse.

Quelle radio écoutez-vous ?

RFI pour l’actualité à la Une et la chronique de Mamane de Gondwana.

Avez-vous une devise ?

Tiens bon face au destin : gémir, pleurer, prier est lâche.

Votre souvenir du 1er juin 1993

D’abord un peu avant cette date, lors de la campagne électorale, quand le Frodebu est arrivé au stade de Cibitoke, il y avait une marée humaine plus forte que celle de la triple visite des présidents réunis de la CEPGL venue des trois pays.

Le 1er juin, je n’ai pas vu une grande manifestation de joie mais plutôt une fille du lycée, militante de l’Uprona, s’est empoisonnée suite à l’échec de son parti politique.

C’est le 29 juin que j’ai vu mon village en extase après publication des résultats des élections législatives.
Votre définition de l’indépendance
C’est la capacité d’une nation à gérer la chose publique sans ingérence étrangère. Cette capacité n’est pas acquise seulement par le fait de chasser le colonisateur mais aussi par la volonté de développer le pays parce que c’est l’autonomie des avoirs qui dicte celle des pouvoirs. Toutefois, l’indépendance n’exclut pas la coopération car nul n’est une île.

Votre définition de la démocratie

C’est un système de gouvernent du peuple à travers ses représentants élus et où les élus restent redevables aux électeurs. La démocratie ne s’arrête pas aux urnes. C’est la gestion transparente de la chose publique dans le respect des droits, chacun étant conscient de ses devoirs.

Votre définition de la justice

La justice est une valeur qui fait respecter les règles de la société en sanctionnant les actes et les comportements interdits par la loi. Là où la justice ne fonctionne pas normalement, l’impunité fait régner l’anarchie.

Si vous étiez ministre en charge de la Culture, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Mettre en place une politique culturelle axée sur  la détection et la valorisation des talents culturels et artistiques, la revalorisation des coutumes et mœurs, la promotion de la diplomatie culturelle axée sur la coopération culturelle. Et bâtir un espace culturel accessible tenant compte de l’aspect genre.

Si vous étiez ministre en charge de l’Egalité des Genres, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Mettre en place une politique de promotion de la femme par la détection et le renforcement des capacités des femmes laborieuses et intelligentes afin de les exporter (si je peux utiliser le terme) dans les différents secteurs du pays (étatiques, paraétatiques et privés) dans les domaines diversifiés (politique, économique, social, culturelle). Et renforcer la politique de l’autonomisation de la femme rurale
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Sur ce point, je vois le verre à moitié plein. Une personne peut te rendre un service et tu as tendance à regarder s’il n’y a pas d’ailles collés sur son dos. En 1996, lors de la traversée du désert même s’il s’agissait de l’eau, des bombardements derrière et des coups de feu devant, nous débarquons sans espoir au point d’embarquement où il y avait des milliers de personnes qui attendaient depuis plus d’une semaine. Une lampe torche perçait l’obscurité visqueuse à notre rencontre que je cédai le passage. La personne porteuse de cette lumière me demanda avec qui j’étais. Elle nous conduit, immédiatement, au bateau sous la casquette de la famille d’un colonel. Pourtant on n’en était pas une. Il aida mon père à pousser son vélo sur le mont Zina en causant comme de vieux amis. Mais la bonté humaine ne se manifeste pas seulement dans des actes à caractères merveilleux. Dès la relecture du manuscrit au vernissage de mon roman, des gens se sont investis à la réussite sans attendre d’être payés : de l’encouragement, de l’appui technique et financier. J’ai lu dans leurs actes le soutien à la femme active.

Pensez-vous à la mort ?

Trop souvent, d’ailleurs, pour l’avoir vue de près (aho rwotera izuba). La mort, cette chose qui nous sépare des nôtres, est cruelle. Quand je pense à mes enfants sans moi, « akabura ntikaboneke  ni nyina w’umuntu », je me sens perdue. La mort nous fragilise par sa façon de s’imposer (pas de négociation). La mort nous prouve combien la vie est précieuse et qu’elle mérite d’être vécue.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui diriez-vous ?

« Dieu Tout-Puissant, chasse Satan de la planète terre pour que tes enfants jouissent pleinement de leur vie. Amen. »
Propos recueillis par Emery Kwizera

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Nsabumuremyi

    Mes vives félicitations à Madame Nduwayo. Je lui souhaite de continuer à aller de l’avant.

  2. J encourage les femmes comme Jean d arc Nduwayo elle est une fierté des femmes comme elle.Je remercie beaucoup le journal IWACU aussi pour le travail bien fait .
    C est important que vous allez jusqu au fond de notre petit pays pour localiser une femmes afin de pouvoir la donner un micro ..
    Certainement qu il y en autres une multitude de femmes qui aimeraient avoir cette occasion mais bah.

    Note de la rédaction
    Merci pour le clin d’oeil, nous allons le faire. Promis.
    A. Kaburahe

  3. Evariste Sindayigaya

    J’apprécie la franchise, le courage et la détermination de Madame Jeanne d’Arc.

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Bio express

Fille d’un infirmier vétérinaire et d’une femme de ménage, Jeanne d’Arc Nduwayo est née le 21 juillet 1977 à Munyika (Rugombo) en province Cibitoke où elle fait l’école primaire et poursuit le cycle inférieur du secondaire au Lycée Cibitoke. Elle s’installe dans la capitale Bujumbura depuis 1997 pour ses études supérieures et y reste. Enseignante de formation par sa licence en pédagogie appliquée agrégée de l’enseignement de l’Anglais au secondaire obtenue à l’Institut de pédagogie appliquée (IPA) de l’Université du Burundi (UB), elle a enseigné l’Anglais à l’ETS Kamenge avant de rejoindre le secrétariat permanent du Comité national de coordination des aides (CNCA) comme assistante administrative et le PNUD. Avec son BAC3 en Sciences politiques et relations internationales obtenu à l’Ecole nationale d’administration (ENA), Mme Nduwayo est assistante- gestionnaire de bourses, missions et invitations à l’Ambassade de France au Burundi depuis 2016. Amoureuse des lettres, Jeanne d’Arc Nduwayo est Salonnière et anime des cafés et salons littéraires à l’Instituts français du Burundi (IFB), à l’Alliance française de Gitega. Jeanne d’Arc Nduwayo est une romancière, auteure de « Les paillettes », un roman lyrico-pathétique d’amour et de bravoure, édité aux éditions Edilivre de Paris (France). Membres de l’Association des écrivains du Burundi (ASEB), elle milite pour que « gusoma » (lire) prime sur « gusoma » (prendre un verre). Sensible aux questions du genre, Jeanne d’Arc Nduwayo est membre de l’Association Umweko-Burundian Women Network for Developement (U-BUWND) où elle anime des ateliers de sensibilisation à l’endroit des jeunes filles sur des thèmes variés. Jeanne d’Arc Nduwayo est mariée et mère de trois enfants.

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Nsabumuremyi

    Mes vives félicitations à Madame Nduwayo. Je lui souhaite de continuer à aller de l’avant.

  2. J encourage les femmes comme Jean d arc Nduwayo elle est une fierté des femmes comme elle.Je remercie beaucoup le journal IWACU aussi pour le travail bien fait .
    C est important que vous allez jusqu au fond de notre petit pays pour localiser une femmes afin de pouvoir la donner un micro ..
    Certainement qu il y en autres une multitude de femmes qui aimeraient avoir cette occasion mais bah.

    Note de la rédaction
    Merci pour le clin d’oeil, nous allons le faire. Promis.
    A. Kaburahe

  3. Evariste Sindayigaya

    J’apprécie la franchise, le courage et la détermination de Madame Jeanne d’Arc.

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Il y a deux mois, Iwacu a réalisé une analyse de l’ambiance politique avant les élections de 2020 et celles à venir en 2025. Il apparaît que la voix de l’opposition est presque éteinte. Il n’y a vraiment pas de (…)

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