Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Jean Patrick Bimenyimana Serukamba alias Mudibu.
Votre qualité principale ?
L’assiduité. C’est une attitude que je cultive et une approche de la vie. Ma mère disait que je ne finis jamais ce que je commence. J’essaie donc de terminer ce que j’entreprends.
Votre défaut principal ?
Je me surcharge. Je me retrouve la plupart du temps avec tant de choses à faire… Cela peut devenir stressant mais lentement j’arrive à être plus réaliste et assumer mes tâches.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
La droiture.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
La manipulation et je n’aime pas les gens sournois.
La femme que vous admirez le plus ?
Ma grand-mère maternelle. Sa magnanimité. Elle était tout simplement incroyable, elle avait du temps presque pour tout le monde avec grâce, gentillesse, amour et une foi inébranlable. Elle m’a marqué.
L’homme que vous admirez le plus ?
Sans hésiter : Nelson Mandela.
Qui aimeriez-vous être ?
Un être heureux.
Votre plus beau souvenir ?
Mon enfance au Burundi. J’ai habité Ngagara au quartier 2, puis à Bwiza à la 3e avenue. J’ai étudié dans des pensionnats à l’intérieur du pays: pensionnat de Bukeye, internat du lycée de Kibimba. Et pendant les grandes vacances, j’avais l’habitude d’aller chez mon arrière-grand-père, un homme noble, deep in Gitega. Tout ce dont je me souviens aujourd’hui, c’est une haute montagne, « umusozi Cene », je crois. Je me souviens du « rugo », de l’itongo. On allait faire du « ski », glisser sur des « Ibitumbatumba » (troncs de bananiers) en dévalant les collines du sommet à la vallée… Nous allions chasser les oiseaux, emmener les chiens chez les vétérinaires. Je me souviens aussi de la vie à Buja, Aftermoon dance, booms, des jeux cachés quand il n’y avait pas d’électricité. Oh ! Il y a tellement de souvenirs qui me rendent nostalgique
Votre plus triste souvenir ?
Les massacres de Kibimba. Je suis un survivant des massacres de Kibimba. Plusieurs de mes jeunes camarades ont été brûlés vifs. C’est terrible. Nous étions des gamins, innocents, j’avais 15-16 ans, je crois. Près de 100 lycéens ont été tués d’une manière atroce, aspergés d’essence, brûlés vifs dans une station-service. Je pense que je vis toujours avec ce traumatisme. Je suis marqué à vie. Cela m’a appris à quel point la vie est fragile. Mais aussi, désolé de le dire, le Burundi traîne une chose très pourrie en lui…
Quel serait votre plus grand malheur ?
Vivre sans mes enfants. Elijah Callum, 16 ans et ma fille Spéciose Elizabeth, elle a 7 ans. Elle porte le prénom de ma défunte maman que j’adorais : Spéciose. Mes enfants me donnent tellement de joie, de fierté. Chaque jour je suis dans l’émerveillement. Ils donnent un sens à mon existence et cela m’aide à vivre, à affronter la vie.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
Les victoires contre les envahisseurs et colons.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 1er juillet 1962 (indépendance du pays).
La plus terrible ?
Novembre 1966. Le passage de la monarchie à la République. Je pense que cette phase a donné naissance à beaucoup de tragédies. Tout ce qui a suivi ce sont les malheurs, nous avons débouché sur une société pourrie et honteuse que nous avons à ce jour. C’est une société brisée. Nous devrions admettre que nous sommes malades. Là seulement nous serons à mi-chemin vers la guérison
Le métier que vous auriez aimé faire ?
Je le fait déjà ! Chanteur, musicien.
Votre passe-temps préféré?
Lire, regarder des films, jouer de la guitare et me reposer…
Votre lieu préféré au Burundi ?
Mw’Ijenda.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Au Burundi.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Visiter le Tibet, le Japon, l ‘Inde, La Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Ghana, Nigeria, le Grand Canyon, la Colombie, le Brésil, la Jamaïque, Cuba, et le Chili.
Votre rêve de bonheur ?
Une ferme à la campagne au Burundi.
Votre plat préféré
Ugali, sombe, haricots et sauce avec de la viande.
Votre chanson préférée
Umugabo nyamugabo (Canjo Amissi)
Quelle radio ?coutez-vous ?
J’écoute pas beaucoup les radios.
Avez-vous une devise ?
Readiness is all. En français on dirait « la préparation est tout.»
Votre souvenir du 1er juin 1993 ?
Oh ! J’étais jeune lycéen à Kibimba, en 8e. Et il y avait des tensions énormes dans notre internat. Cela avait commencé lors de la campagne électorale. Les étudiants ne dormaient pas la nuit, craignant les tueries ethnique. Je me souviens de Donatien, c’était un ami (Hutu). Nous alternions pour dormir, chacun veillait sur le sommeil de l’autre. Je n’ai plus aucune nouvelle de Donatien, je me demande ce qui lui est arrivé…
Votre définition de l’indépendance ?
L’autosuffisance.
Votre définition de la démocratie ?
Être écouté, entendu, valorisé, considéré et protégé.
Votre définition de la justice ?
Elle doit être JUSTE, équitable et restauratrice.
Si vous étiez ministre de la Culture, quelles seraient vos deux premières mesures ?
-Faire revivre les symboles de notre culture dans les écoles primaires. Exemple : Ingoma, Intore (toutes les différentes danses), Kwivuga Amazina (poésie pastorale, etc.) J’organiserais des prix culturels annuels dans toutes les régions et au niveau national comme outil pour nous rassembler et développer la fierté nationale
-J’organiserais des échanges culturels avec les pays de la région et à travers le monde. C’est un moyen d’apprendre davantage sur nous-mêmes, de travailler dur pour être les meilleurs ambassadeurs de nous-mêmes et forger une solide fondation en tant que nation.
Croyez-vous en la bonté humaine ?
Absolument !
Pensez-vous à la mort ?
Pas beaucoup, mais je suis toujours prêt.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Merci pour l’expérience d’avoir existé et pour le don de la vie.
Propos recueillis par Antoine Kaburahe