Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Jean-Marie Ngendahayo.
Votre plus beau souvenir ?
J’ai beaucoup de merveilleux souvenirs : la naissance de mes enfants, la victoire de la démocratie au Burundi en juin 1993 même si par la suite il y a eu du grabuge, la route a été irrésistiblement tracée…
Votre plus triste souvenir ?
La perte d’êtres chers…
Quel serait votre plus grand malheur ?
Perdre un enfant.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
L’institution d’ « Ubushingantahe ».
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
A chaque commémoration de la fête de l’ « Umuganuro » dans le Burundi ancien. C’était une occasion d’union et de réjouissance de tout le peuple burundais autour de valeurs communes sacrées et partagées même avec le royaume voisin : le Buha.
La plus terrible ?
Sans nul doute pour moi le 29 avril 1972, jour du début du génocide des Bahutu au Burundi. Cela est d’autant plus terrible que jusqu’aujourd’hui, un consensus national pour le reconnaître peine à s’affirmer. Et pourtant, le confirmer serait un premier pas vers la reconnaissance d’autres crimes perpétrés contre des populations innocentes ; crimes qui méritent aussi d’être qualifiés en toute objectivité : « Iyija kurisha ihera ku nama ! » ou si vous préférez : « Tout long voyage commence par un premier pas. »
Le métier que vous auriez aimé faire ? Pourquoi ?
J’ai toujours aimé enseigner. Aujourd’hui, j’enseigne et j’en suis heureux. Mon ambition est aussi d’écrire, mais cela va ensemble avec ce métier.
Parce que les deux choses contribuent au dialogue entre générations, aux échanges d’idées, de rêves et d’objectifs avec d’autres cultures et d’autres peuples : « Akanyoni katagurutse ntikamenya iyo bweze ! »(Traduction hasardeuse : « L’oiseau qui ne vole pas ne peut savoir où les plantations sont à maturation. »)
Votre passe-temps préféré ?
Etre en famille et entre amis. Lire et nager.
Votre lieu préféré au Burundi ?
C’est sincèrement difficile. Le pays est petit d’abord, puis il est surtout partout si beau et la population si merveilleuse quand on ne la perturbe pas…
Le pays où vous aimeriez vivre ? Pourquoi ?
D’abord et avant tout le Burundi pour les raisons précédentes.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
J’aimerais visiter les ruines du Zimbabwe, Victoria Falls et les églises rupestres de Lalibela en Ethiopie.
Votre rêve de bonheur ?
Vivre dans un genre de Silicon Valley de la culture.
Votre plat préféré ?
Je suis éclectique à ce niveau. Je n’ai pas de préférence obsessionnelle.
Votre chanson préférée ?
Sincèrement il y en a deux qui se valent :
« Votre fille à vingt ans » de Georges Moustaki et « Umubano mu bantu », une chanson rwandaise dont j’oublie l’auteur malheureusement.
Quelle radio écoutez-vous ?
Au pluriel : RFI, BBC, Isanganiro, Rema FM
Avez-vous une devise ?
Deux : « Ils sont privilégiés ceux que le soleil et le vent suffisent à rendre fous… ! » René CHAR, « Les Matinaux »
C’est aussi : « Il n’y a pas dans le monde
Un pauvre type lynché,
Un homme torturé,
En qui je ne sois pas assassiné et humilié »
Aimé CESAIRE, « Et les Chiens se taisaient… »
Votre souvenir du 1er juin 1993 ?
J’avais passé la nuit à recueillir les résultats de ma circonscription de Cibitoke en compagnie d’un certain Salvator Sindayihebura. Quand nous sommes rentrés très tôt à Bujumbura, la ville était comme une cité-fantôme. Pas un chat dans la rue, quelques forces de l’ordre en faction ici ou là qui nous regardaient de façon bizarre…
Les résultats de Cibitoke frisaient les 100 %, mais c’est une fois arrivés au quartier général du parti Sahwanya-Frodebu dirigé par Juvénal Ndayikeza que nous avons appris la nouvelle : nous étions vainqueurs au niveau national ! Je me suis assis et j’ai pleuré comme un enfant…
Votre définition de l’indépendance ?
Une vue de l’esprit. Je crois plutôt à l’interdépendance et au principe de souveraineté.
Votre définition de la démocratie ?
C’est une société régie par des lois équitables et dont le respect et l’observance ne sont exonérés pour personne.
C’est un leadership au service du citoyen et non l’inverse. Cela grâce à des mécanismes de contrôle et d’évaluation systématiques de toutes les institutions publiques et privées toujours au regard de lois et de règlementations équitables.
Votre définition de la justice ?
Une justice basée sur des lois convenues. Une justice gérée par des femmes et des hommes de loi indépendants et redevables au peuple et non au Prince. Cela, par des mécanismes de recrutement, de promotion et d’évaluation objectifs par leur crédibilité et leur transparence.
Si vous étiez ministre de l’Economie, quelles seraient vos deux premières mesures ?
La toute première mesure serait de convoquer des « états généraux » du domaine énergétique. Voir quels sont les besoins à court, à moyen et à long terme. Evaluer les capacités en présence et étudier une planification systématique des mesures à prendre pour alimenter le pays en besoin énergétique. Sans énergie, pas de vie économique de nos jours…
La seconde mesure serait politique : réconcilier et rassurer la classe politique pour que tous rentrent et viennent proposer leur programme politique à la nation en toute quiétude. La suppression de la peur dans les esprits et les cœurs des citoyens est une condition sine qua non pour développer une nation, reconstruire un pays…
Si vous étiez chef de l’Etat, quelles seraient vos deux premières mesures ?
En sciences politiques on dit qu’un ministre est « irresponsable » c-à-d qu’il n’existe pas juridiquement, ce qu’il entreprend provient du chef de l’Exécutif. Ce que j’ai dit pouvoir entreprendre comme ministre est inimaginable sans le consentement et le soutien du chef de l’Etat qui est chef de l’Exécutif pour le moment chez nous.
Croyez-vous à la bonté naturelle de l’homme ?
Pas du tout. Je crois que c’est Jacques Prévert qui a écrit un jour à peu près ceci : « On dit que l’homme est un loup pour l’homme. C’est pas très gentil pour les loups… » J’ai tendance à le croire…
Pensez-vous à la mort ?
A chaque instant. Et ça m’aide à marcher droit car la longueur du couloir qui mène à la fin m’est inconnue… Il n’y a pas de temps à perdre. La vie est urgence, donc responsabilité et vigilance. Je ne dis pas précipitation à cause des échéances inconnues, non plus. Comme dit Victor Hugo : « hâtons-nous lentement ».
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
C’est une éventualité qui dépasse mon imagination.