Lundi 23 décembre 2024

Culture

Au coin du feu avec Jean-Claude Kavumbagu

17/04/2021 1
Au coin du feu avec Jean-Claude Kavumbagu

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Jean-Claude Kavumbagu.

Votre qualité principale?

L’honnêteté. Avec moi-même et les autres.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

L’honnêteté justement.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres?

Le même défaut que je ne supporte pas chez moi, c’est dire la fourberie, la tricherie, le vol, la criminalité.

La femme que vous admirez le plus?

Angela Merkel, elle vient de passer presque plus de 15 ans à la tête du pays et laisse derrière elle un pays prospère, elle part sans bruit derrière elle. Elle n’a pas volé, elle n’a pas créé d’ennemis politiques, pour moi c’est la femme de l’année.

L’homme que vous admirez le plus ?

Ça dépend des secteurs. Dans le secteur politique, le prince Louis Rwagasore, le père de l’indépendance. Pour les médias, je peux parler des journalistes comme Antoine Kaburahe par exemple.

Votre plus beau souvenir ?

C’est le premier juillet 1996 quand j’ai ouvert les portes de l’agence Net Press.

Votre plus triste souvenir ?

Quand j’ai perdu ma mère alors que je suis en prison.

Quel serait votre plus grand malheur?

C’est compliqué. De toute façon il y a des choses qui ne sont pas belles à accueillir dans la vie. C’est notamment le décès, la perte de l’emploi… Si aujourd’hui on venait me dire que Net Press ferme ça serait un mauvais souvenir pour moi.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise?

Historien de formation, je pense à l’indépendance du Burundi, l’avènement de la démocratie. Ce sont les faits historiques que je retiens le plus.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

Le premier juillet 1962.

La date la plus terrible de l’histoire du Burundi ?

C’est évidemment la perte de l’indépendance du Burundi en 1903, avec la signature du traité de Kiganda.

Le métier que vous auriez aimé faire?

Là c’est clair. J’aime mon métier de journaliste que j’exerce depuis 25 ans. Je n’entends plus faire autre chose, c’est le plus beau métier.

Mais à cause de ce métier, vous avez été plusieurs fois en prison…

Vous avez raison. La prison je l’ai vécue comme une école. Mais c’est aussi grâce au métier de journaliste que j’ai eu la chance de rencontrer des hautes personnalités comme Nelson Mandela, François Hollande… J’ai eu la chance d’être à la Maison-Blanche…

Avec l’emprisonnement, vous n’avez jamais voulu abandonner le métier?

A un moment, je pensais que ça ne vaut pas la peine de faire ce métier. Mais en prison, j’ai eu beaucoup de visites de journalistes. Notamment le président du Comité pour la Protection des Journalistes qui est venu de New York pour me rendre visite à Mpimba, cela me réconfortait. En d’autres termes, j’ai eu le courage de poursuivre le métier parce que finalement je voyais que je n’étais pas seul. J’avais le soutien des confrères des médias privés au Burundi et des médias publics dans une moindre mesure. Mais également les médias internationaux, comme RFI, BBC, Radio Canada, etc. C’était réconfortant. La prison a fait que je sois connu dans le monde. D’ailleurs, si j’ai été invité en Afrique du Sud pour rencontrer Nelson Mandela, si j’ai été invité aux Etats unis pour cinq semaines, c’est parce que je venais de faire la prison. En 2011, j’ai été invité aux Etats-Unis pour recevoir un prix, je sortais directement de prison. C’était un réconfort. Après tous les soutiens que j’avais, je n’ai jamais pensé abandonner.

Votre passe-temps préféré ?

Je n’ai pas beaucoup de temps par ce que le métier m’occupe quand même sérieusement. Mais si j’ai un peu de temps, je fais du jogging au moins trois fois par semaine. Sinon je n’ai pas beaucoup de temps libre. Le métier est exigeant. Surtout la presse écrite.

Quel est votre lieu préféré au Burundi?

Il y a des lieux touristiques à Rutana, le lac Tanganyika… En général tout le pays est beau. On a le lac Tanganyika, les lacs du nord…

Quel est le pays où vous aimeriez vivre?

J’ai fait beaucoup de voyages, mais j’ai toujours choisi de rentrer au pays. A l’étranger, on n’est toujours incompris. Il n’y a pas moyen de vivre comme chez soi, même pour se rencontrer c’est une question de rendez-vous. Ici chez nous, par hasard vous rencontrez quelqu’un, vous causez, vous prenez du temps et vous discutez… C’est ça la différence.

Un autre voyage que vous aimeriez faire ?

C’est peut-être Israël et l’Inde. Israël parce que c’est le pays qui compte le plus d’intellectuels, même la Bible le vénère. Mais aussi l’Inde, j’aimerais voir où Gandhi a vécu.

Votre rêve de bonheur ?

A mon âge je n’ai plus de rêve à faire. Je dois vivre comme la vie se présente. On n’a plus de rêve à faire, on fait des rêves à 20 ans, 30 ans… Sinon à mon ‘âge, 56 ans, certes n’est pas fini, mais il y a des ambitions qui deviennent de moins en moins nombreuses.

Mais Joe Biden a gagné les présidentielles américaines à plus de 70 ans !

Il faut nuancer les choses. Quand j’étais aux Etats unis, j’ai rencontré un homme qui avait 56 ans à l’époque. Il me disait que dans la société américaine, il est encore jeune. C’est-à-dire qu’à 70 ans on est toujours compétitif. Mais dans nos sociétés l’espérance de vie est nettement inférieure. Il ne faut pas trop envisager à mon âge…

Votre plat préféré ?

Le haricot mélangé avec du riz et la banane… Mais il faut que j’aie toujours du haricot dans mon plat.

Votre chanson préférée ?

Le reggae qui s’est développé quand j’étais encore adolescent et la country music. J’aime les groupes comme les Boney M., Abba, qui étaient vraiment au sommet quand j’étais adolescent. Mais aujourd’hui il y a de temps en temps des Burundais qui chantent bien. Je pense à Edwige Mbonimpa, mais apparemment elle n’a fait qu’une chanson. Il y a des artistes qui chantent avec des instruments traditionnels qui le font très bien. Notamment ce duo qui a chanté « Nkunda abantu ».

Votre devise ?

Etre juste à l’égard de mon prochain comme on dit. Je ne voudrais pas être injuste un jour.

Votre souvenir du 1er juin 1993(le jour où le président Melchior Ndadaye a été élu) ?

Évidemment j’ai un souvenir parce que les élections étaient prévues le 1er mars 1993. Mais la date a été changée et cela m’a arrangé parce que j’ai pu défendre mon mémoire le 1er mars 1993. Pour revenir à votre question le 1er juin 1993, c’était la toute première élection après l’indépendance du Burundi. Disons après 1966 avec l’avènement de la première République. Je n’avais jamais vu d’élection, c’était important pour moi.

Votre définition de l’indépendance ?

L’indépendance c’est à dire le droit des Etats à disposer d’eux-mêmes. Mais on se rend compte que l’indépendance que nous avons acquise était beaucoup plus politique qu’économique. Au niveau de l’économie, nous avons toujours dépendu de la métropole, du colonisateur. Donc, je ne crois pas que jusqu’à présent, nous puissions parler d’indépendance économique au regard de l’évolution actuelle des choses. Sinon au niveau politique, le Burundi a été dirigé par les Burundais évidemment avec des hauts et des bas. Ce qui est tout à fait normal. Même dans les démocraties occidentales il y a toujours des difficultés. Mais on ne peut pas parler d’indépendance économique tant que le pays dépend largement de l’étranger.

Votre définition de la démocratie ?

La définition « classique », c’est le peuple qui élit des gens qui doivent gérer le pays, mais, au fond, si on regarde en Afrique, pourquoi pas en Europe même, la démocratie, c’est le fait de chercher d’abord le pouvoir et puis de s’y éterniser, si possible par le biais des élections. Je fais allusion à des partis comme Chama Cha Mapinduzi en Tanzanie qui est au pouvoir depuis l’indépendance et qui a toujours organisé des élections. Le parti n’entend pas donner la chance à l’opposition. Il garde le monopole depuis plus de 50 ans. Donc c’est aussi cela, chercher le pouvoir, s’y installer et s’y éterniser, quel que soit le bonheur ou le malheur de la population.

Votre définition de la justice ?

C’est un terme qui se définit lui-même. On est juste, équitable, droit, impartial. Mais la justice telle qu’elle se pratique dans la société humaine, c’est plutôt compliqué. En principe, la justice est indépendante. Au Kenya, il y a une décision judiciaire qui vient de s’opposer à la fermeture de deux camps de réfugiés kenyans. Mais, un peu partout, on voit que la justice est téléguidée par le pouvoir. Même en France c’est la même chose. La justice peut être au service des pouvoirs politiques. Dans les pays anglophones, il y a quand même un semblant d’indépendance de la justice. Si j’ai fait allusion au Kenya, je dois évoquer le cas des Etats-Unis avec Trump. La justice a tranché le 6 janvier 2021 et a finalement acquitté le président Trump alors que les démocrates voulaient qu’il soit jugé!

Après plus de 25 de carrière journalistique, quel est votre regret?

Mon regret est que je sens que le métier n’est plus comme avant. Au départ il y avait la liberté d’expression, la liberté de penser. Mais pour le moment on sent qu’il y a un verrouillage de la liberté d’expression, verrouillage des médias. J’en veux pour preuve la condamnation des journalistes d’Iwacu, le cas de Jean Bigirimana du journal Iwacu dont on ne sait même pas s’il est encore en vie. Il y a d’autres journalistes qui ont fui le pays. On sent que la liberté du métier n’est plus garantie.

Comment analysez-vous l’évolution du métier de journaliste au Burundi ?

Il y a eu multiplication des journaux, mais cela ne veut pas dire nécessairement l’amélioration de la qualité. Il existe plus de 180 médias d’après le Conseil National de la Communication. Mais est-ce que la qualité y est ? C’est cela la grande question que l’on doit se poser. Mais il y a des journalistes, il y a des médias qui sont proches du pouvoir, il y en a qui sont proches de l’opposition, est-ce que ces médias servent correctement le public?

Si vous deveniez ministre de la Communication et des Médias, quelles seraient vos mesures urgentes ?

C’est justement de remonter la qualité des médias. Parce que dans les productions des médias que ce soit au niveau des radios et de la presse écrite, il y a du pain sur la planche. Il faut vraiment améliorer la qualité. Je devrais aussi encourager la formation des journalistes en cours d’emploi. Il faut que le journaliste ait une formation continue, cela relève la qualité de son travail.

Croyez-vous à la bonté humaine?

Oui. Tout le monde naît bon. C’est la société qui corrompt. On rencontre des gens mauvais, injustes, bref, des personnes de toutes les qualités. On doit s’ajuster pour vivre dans la société. Sinon la bonté humaine, elle est là. On naît bon, mais on ne grandit pas nécessairement bon.

Si vous comparaissez devant Dieu que lui direz-vous?

Je lui dirais merci d’abord pour m’avoir créé, pour avoir vécu, pour avoir fait mon métier, pour avoir vécu en harmonie avec les autres. Je lui ferais tout un tas d’éloges.
Propos recueillis par Emery Kwizera

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1 réaction
  1. Pablo

    De Rohero puis Gisozi et finalement Buyenzi !! : Bonne combinaison des lieux!!

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Bio-express

Jean-Claude Kavumbagu est un journaliste né en mairie de Bujumbura en zone Rohero en juin 1965. A trois ans il monte avec ses parents pour vivre en commune Gisozi, dans l’actuelle province de Mwaro. Il reviendra 5 ans plus tard pour fréquenter l’école primaire de Buyenzi. Il a terminé ses études secondaires à l’Athénée de Bujumbura. Il sort de l’université en 1993 avec une licence en Histoire. Il fonde l’agence Net Press en 1996. Jean Claude Kavumbagu a connu la prison à plusieurs reprises à cause de son métier. Il a été président de la Maison de la Presse et l’a représentée dans la Ligue des droits de la personne humaine dans la région des Grands Lacs. Il est lauréat du prix Percy Qoboza de 2011 à Philadelphie aux Etats-Unis d’Amérique.

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  1. Pablo

    De Rohero puis Gisozi et finalement Buyenzi !! : Bonne combinaison des lieux!!

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