Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Jacques Nshimirimana.
Votre plus beau souvenir ?
Quand j’ai rencontré pour la première fois ma femme à l’école sans savoir que nous serons un jour mariés.
Votre plus triste souvenir ?
La mort de mon père, le 7 août 1994, en pleine guerre civile déclenchée en 1993 par la mort du président Ndadaye. Ce qui m’a fort touché, c’est la séparation de mes parents suite à cette même crise ethnique. Mes parents ne partageaient pas la même ethnie et pendant la crise, ils ont été obligés de se séparer, pourtant ils s’aimaient bien.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Voir nos enfants hériter des divisions sociales (ethniques et régionales) que nos ancêtres nous ont léguées depuis la colonisation.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
L’arrêt des hostilités en 2000 suite aux accords d’Arusha et à l’accord de cessez-le-feu en 2003.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 1er juillet 1962, jour de proclamation de l’indépendance du Burundi.
La plus terrible ?
Le 13 octobre 1961, la mort du héros de l’indépendance et le 21 octobre 1993, celle du héros de la démocratie.
Le métier que vous auriez aimé faire ? Pourquoi ?
J’avais le rêve d’être un grand professeur de mathématiques ou un chercheur physicien. J’aimais tellement les cours de science, surtout les mathématiques et la physique. Mon rêve s’est éteint avec l’injustice que j’ai subie quand j’étais en classe à test et qui a fait que je sois orienté en lettres modernes alors que j’avais la note exigée pour être orienté vers la section scientifique A. N’ayant trouvé personne pour plaider ma cause, j’ai accepté cette injustice qui m’a profondément blessé. Mais plus tard, j’ai compris qu’il s’agissait du destin pour que je sois un jour défenseur d’autres enfants qui subissent le même sort.
Votre passe-temps préféré ?
La lecture, le sport, la guitare et échanges avec les amis sur différents sujets de la vie.
Votre lieu préféré au Burundi ?
Quand j’ai mon temps libre, j’aime être à la maison avec ma femme et mes enfants. Quelques fois, je fais la marche au boulevard du 28 novembre, à l’avenue du large ou au bord du Lac Tanganyika.
Le pays où vous aimeriez vivre ? Pourquoi ?
Le Burundi paisible, ambitieux et prospère. J’ai déjà visité plus de 12 pays dans trois continents. Le Burundi reste incomparable du point de vue de la beauté de la nature, de l’hospitalité et de la culture.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Au Singapour pour comprendre comment en si peu de temps, ce petit pays est devenu l’un des pays les plus prospères de la planète et un véritable modèle de réussite économique.
Votre rêve de bonheur ?
Voir les enfants burundais grandir dans un environnement protecteur, dans un Burundi prospère, ambitieux, paisible et respectueux des droits de la personne humaine.
Votre plat préféré ?
Ça dépend des circonstances. Quand je suis chez moi par exemple, mon plat préféré est le Mukeke avec sauce, accompagné de la pâte de manioc. Mais quand je sors avec des amis ou quand je suis dans une fête ou autre évènement, je préfère prendre le sangala meunière accompagné de croquettes de pommes de terre et d’avocat vinaigrette.
Votre chanson préférée ?
Mes préférences portent sur deux chansons : le cantique de louange n°93 (« …Yesu ndacibuka umunsi mwiza nakwemereyeko… ») et « Sagamba Burundi » de Léonce Ngabo, une chanson qui me rappelle toujours la beauté et la richesse de ma patrie.
Quelle radio écoutez-vous ?
Pas de préférence, franchement! Quand le temps me le permet, j’écoute toutes les radios locales et je compare les informations transmises.
Pour l’actualité internationale, je préfère la RFI, la RCI, et la radio CORO FM du Kenya qui traite souvent des sujets en rapport avec la géopolitique et qui s’intéresse beaucoup à notre sous-région.
Avez-vous une devise ?
Solidarité-Paix-Justice-Développement
Votre souvenir du 1er juin 1993 ?
La victoire du parti Frodebu. Un choc profond, le désespoir pour une partie de Burundais et l’extase pour une autre.
Votre définition de l’indépendance ?
A mon avis, la définition de l’indépendance dépend du contexte dans lequel on la définit. Une personne est indépendante quand elle jouit d’une entière autonomie à l’égard d’une autre personne ou de quelque chose, donc quand elle est capable de subvenir à ces besoins fondamentaux.
Un pays est indépendant quand il peut organiser son système de gouvernance (économique, social, politique) en réponse aux besoins de son peuple sans qu’il ne soit soumis à aucun pouvoir extérieur ou à aucune pression extérieure.
Votre définition de la démocratie ?
C’est le fait d’élire nos dirigeants en toute liberté. En retour, la population doit avoir la liberté et la capacité de les démettre en cas de défaillance à leur mission.
Votre définition de la justice ?
C’est tout d’abord un principe moral de la vie sociale fondé sur la reconnaissance et le respect du droit des autres.
Au niveau d’un Etat, la justice est le pouvoir judiciaire qui prend la forme d’une administration publique constituée d’un ensemble de juridictions chargées d’exercer ce pouvoir (tribunaux, cours, etc.).
Si vous étiez ministre des droits de l’Homme, quelles seraient vos deux premières mesures ?
-J’affronterai sérieusement la question des enfants en situation de rue qui constitue une bombe à retardement pour notre nation. Je construirais, d’abord, un centre spacieux d’hébergement temporaire des enfants en situation de rue dans un coin un peu reculé de la capitale avec tout le nécessaire. Puis j’organiserais leur réunification et réinsertion familiale à partir de ce centre et conformément aux règles d’art en la matière. Ensuite, je signerais une ordonnance portant coordination de l’aumône pour éviter des gens mal intentionnés qui s’y cachent derrière pour exploiter les vulnérables et surtout les enfants à des fins de mendicité et par conséquent bloquer le retour dans la rue des enfants déjà réinsérés dans leurs familles.
-En collaboration avec le Ministre de l’Education, je mettrais en place un programme d’Education en droits de l’Homme dans les écoles et universités. Car faire connaître aux enfants leurs droits dès le bas âge, c’est contribuer à la lutte contre les abus de pouvoir quand ils seront adultes.
Si vous étiez ministre de la Justice, quelles seraient vos deux premières mesures ?
-Installer une justice loyale, sans collusion et corruption en plaçant dans le système judiciaire, des magistrats professionnels, intègres, incorruptibles, de bonne foi et capables de servir le peuple sans parti pris. Comme stratégie, chaque magistrat devrait d’abord prester serment devant ses collègues, suivre des formations professionnelles, puis se fixer lui-même des objectifs à atteindre sur une échéance donnée et s’autoévaluer lui-même d’abord, puis son chef hiérarchique. Un magistrat qui ne serait pas à mesure d’atteindre au moins 70% des résultats attendus plus de deux fois, devra être affecté dans la place qui lui est conforme.
-Instaurer dans tout le pays un système de déjudiciarisation des délits mineurs (un dispositif qui fait référence aux mesures visant à traiter les enfants soupçonnés, accusés ou convaincus d’infraction à la loi pénale, sans recourir à la procédure judiciaire).
Ce recours aux moyens extrajudiciaires reposerait sur la théorie selon laquelle toute confrontation au système de justice pénale ordinaire entraîne sur l’enfant des effets plus préjudiciables et l’expose davantage au risque de récidive.
Croyez-vous à la bonté naturelle de l’homme ?
J’y crois dur comme fer.
Pensez-vous à la mort ?
Quelques fois, oui. Surtout quand elle emporte une personne que je connaissais ou quand je suis au cimetière.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Honnêtement, la première chose que je lui demanderais est de pardonner ceux qui ont semé les divisions ethniques au sein de la société burundaise, qu’ils soient étrangers ou burundais. Je lui demanderai également de continuer à révéler à la classe politique de mon pays que le peuple est fatigué par leurs chicaneries interminables qui les empêchent de s’atteler unanimement au développement économique du pays.
Ensuite, je le remercierais de m’avoir permis ce passage sur terre et au Burundi en particulier et surtout de m’avoir accompagné dans mes luttes pour le respect des droits des sans voix dans mon pays.
Enfin, je lui présenterais toutes mes excuses là où j’ai trébuché involontairement ou volontairement et là où je n’ai pas fait ce que je devais faire pour sa gloire.