Vendredi 22 novembre 2024

Culture

Au coin du feu avec Innocent Ndayiragije

06/03/2021 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Innocent Ndayiragije
Au coin du feu avec Innocent Ndayiragije

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Innocent Ndayiragije.

Votre qualité principale ?

Certains de mes amis trouvent que je suis quelqu’un de généreux, une âme sensible aux problèmes d’autrui.

Votre défaut principal ?

Je suis intolérant vis-à-vis des gens qui éprouvent du plaisir en faisant du mal aux autres. Aussi, dois-je ajouter que je supporte peu les gens oisifs.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

L’humanisme (Ubuntu).

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

Je me sens mal à l’aise au contact des personnes qui contribuent à promouvoir des situations de haine.

La femme que vous admirez le plus ?

Cette femme qui fait preuve de son intelligence sociale, qui fait un minimum d’efforts pour comprendre l’autre sans trop répondre par ses émotions et les on-dit. Bref, cette femme qui valorise et conseille son époux dans l’amour et le respect.

L’homme que vous admirez le plus ?

Un homme qui aime et respecte sa femme. Un homme qui cherche et combat loyalement et même durement, pour faire vivre dignement sa famille, développer sa communauté et son pays.

Votre plus beau souvenir ?

Ma rencontre avec un Algérien, dont le nom m’échappe malheureusement. C’était en 1997 en France, juste après « l’hécatombe » de Buta en 1997. Bienveillant, cet ami de fortune a pris soin de moi. Lors de nos adieux, il m’a offert un petit appareil photo solaire. Au fil du temps, un cadeau qui se révèlera être d’une estimable valeur.

Une rencontre édifiante ?

De retour au Burundi, en 1998, grâce à cet appareil photo, j’ai pu démarrer deux grands studios photos le « Miroir » et « la Grâce ». Cet appareil a changé ma vie. D’un orphelin vulnérable, je suis devenu un jeune entrepreneur résilient, altruiste et oblatif puis un adulte volontaire engagé, productif et humanitaire que je suis aujourd’hui.

Votre plus triste souvenir ?

La nuit du 30 avril 1997. Lorsque à Buta se déroula une scène macabre et horrible qui emporta la vie de 40 jeunes séminaristes hutu et tutsi, qui moururent dans l’amour et la fraternité.

Quel serait votre plus grand malheur ?

Le fait d’avoir perdu mes chers parents quand j’étais encore petit adolescent. Je suis resté avec mes sœurs. Après, nous avons été obligés de quitter notre toit familial et de nous séparer pour aller vivre chez nos familles restreintes.

Une nouvelle vie, loin d’être facile.

Cette situation a fait que le 2 juillet 1992 après la 7ème année réussie avec brio, je passe la nuit dans la rue. La cause : je n’avais pas pu avoir les frais de déplacement pour quitter Gitega et rentrer chez moi à Vyanda pour les grandes vacances. Une situation que je ne voudrais pas que quelqu’un vive.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

Je trouve que l’événement de Buta du 30 Avril 1997 a marqué l’histoire du Burundi. En acceptant de mourir dans l’amour et la fraternité, les jeunes élèves morts et ceux rescapés ont posé un « geste extraordinaire » dans l’histoire du Burundi. Et ce malgré les différences ethniques, régionales et les origines sociales. A mon avis, c’est un geste positif et basique qui devrait faire partie intégrante de l’histoire. Il a montré que la réconciliation entre frères burundais est possible.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

Le 28 août 2000, le jour de la signature de l’Accord d’Arusha. Un acte fondateur. Les Burundais ont compris que le vivre ensemble est possible en se mettant d’accord sur la gestion sociopolitique du pays dans l’esprit de réparation et du plus jamais ça !

La plus terrible ?

Le 21 août 1925 quand le colonisateur a initié une réforme administrative et ethnicisante de la société burundaise qui a détruit l’Etat-Nation. A mon avis, le début des crises sociopolitique qu’a connues le pays et dont je fus victime.

Le métier que vous auriez aimé exercer?

La psychiatrie.

Votre passe-temps préféré ?

Le jeu de cartes. Je transforme ce jeu en un outil d’éducation des jeunes socialement et économiquement au lieu qu’il soit un passe-temps pour les jeunes.

Votre plus grand regret ?

Je regrette le fait qu’il y ait des gens qui continuent de perpétrer la haine ethnique. Je regrette qu’il y ait des gens qui ne croient pas à la réconciliation effective. Je regrette qu’il y ait des gens qui globalisent encore par rapport aux faits et événements historiques.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Vivre dans les montagnes où il fait frais (dans le Mugamba par exemple) et y effectuer des projets de développement communautaire.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

J’ai eu la chance de voyager dans les pays européens et même africains, et j’ai réalisé que le Burundi reste mon pays préféré. Il y fait bon vivre malgré quelques difficultés contextuelles qui se filtrent au fil des années.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Me prélasser sur les plages de la côte Atlantique.

Votre rêve de bonheur ?

En tant qu’orphelin, je ne voudrais pas qu’il y ait un jeune de ma connaissance signalé être au bord du gouffre sans que je puisse l’assister en fonction des moyens disponibles. Mon bonheur serait de pouvoir être à la hauteur de répondre aux besoins des jeunes et des parents pour la promotion de la résilience des jeunes de manière personnelle, familiale et communautaire. C’est d’ailleurs dans cette optique que j’ai créé une association pour la protection de l’enfance et le développement communautaire (APEDEC). Le but est d’aider les enfants et les jeunes à risque de vulnérabilité grave à développer des initiatives de réponses personnelles et communautaires.

Votre plat préféré ?

Un plat simple qui répond bien à ma santé: une pâte de maïs avec des légumes bien préparés.

Votre chanson préférée ?

« SIKO YARI » de B-Face. Elle parle de l’orphelin et de ses malheurs. Cela me rappelle des moments similaires et parfois, je dois avouer que je pleure.

Quelle radio écoutez-vous ?

Souvent, c’est la radio Isanganiro. Parfois, Buja FM et la radio nationale pour certaines de leurs émissions.

Avez-vous une devise ?

« Etre une lumière pour les autres ».

« Notre cœur serait mort si nous n’avions pas pardonné », dit Père Zacharie Bukuru. En tant que survivant du massacre du Petit Séminaire de Buta. Avez-vous aussi pardonné à vos bourreaux de cette fatidique nuit du 30 avril 1997 ?

Oui, la main sur mon cœur, je peux certifier que je leur ai pardonné. Nous avons eu le temps de prendre conscience des origines de ces comportements de destruction mutuelle. Par la grâce de Dieu, notre compréhension a précédé la volonté de nous libérer de la haine et de ses conséquences afin d’aborder l’étape d’aide aux Burundais à se référer au « Bon Geste de fraternité de Buta » et de promouvoir le « vivre ensemble » avec tout le monde.

Des séminaristes qui auraient été « sauvés » par des rebelles. Est-ce vrai ?

Nous sommes nombreux à avoir vécu cette horreur. Toutefois, il peut arriver que tel ou tel n’ait pas vu ou entendu la même chose que l’autre a vu ou entendu. Je me souviens avoir vu un homme avec une kalachnikov. Il courait derrière un jeune de la 9ème année. Une fois, arrivé au bout du dortoir, il l’a sommé de se cacher en lui disant : « Moi, je ne te tue pas, je suis chrétien.» A notre grande surprise, cet homme nous a vus, mais il n’a pas tiré. N’est-ce pas qu’il a sauvé des vies par ce comportement?

Votre commentaire par rapport à ceux qui brandissent la carte ethnique pour exclure ou faire du mal aux autres ?

Que ceux qui ont encore recours à la carte de l’ethnie cessent de la brandir, car l’ethnisme fait partie d’une décision des colonisateurs à une époque donnée. De nos jours, rester enchaîné par l’ethnisme veut dire respecter la politique et l’esprit du colon. Etant en 2021, cela serait un retour en arrière de plus de 60 ans.

Jusqu’aujourd’hui, aucune autre action en justice n’a été intentée contre cette « hécatombe du Petit Séminaire de Buta». Une peine perdue ?

L’affaire de Buta s’inscrit dans une logique historique, il y a d’autres affaires similaires qui n’ont pas eu la faveur de la justice depuis les années 60. Alors quand cette heure viendra, nous osons espérer que les survivants de Buta auront enfin gain de cause.

Selon vous, qu’est-ce qui manque pour que le Burundi se réconcilie avec lui-même ?

Les Burundais sont prêts à se réconcilier. Toutefois, il manque cette volonté active, autorisée, qui encourage cette dynamique au sein des individus et de la communauté.

Votre point de vue sur le travail de la CVR ?

Je n’ai pas un point de vue particulier car c’est une institution de l’Etat avec un mandat. Elle a sa façon d’aborder les questions de l’histoire, l’essentiel est d’œuvrer par tous les moyens pour que les Burundais arrivent à une réconciliation effective. A bien d’égards, une mission difficile,  car elle exige une certaine neutralité par rapport aux faits du passé et un certain dépassement de soi au profit du bien commun.

Votre souvenir du 1er juin 1993 (élection du président Ndadaye?)

Un espoir qu’au Burundi advienne une nouvelle ère par rapport à la gouvernance sociale et politique.

Votre définition de la démocratie ?

La participation de la population dans le choix de ses responsables à tous les échelons. Ce , par le biais d’un système d’alternance suivant l’appréciation du peuple des compétences du leader à qui confier la vie du pays et non par un certain fanatisme lié à l’appartenance régionale, familiale, ethnique ou politique.

Votre définition de la justice ?

La justice comme la vérité est une valeur sociale. La justice est une démarche et même un mécanisme qui fait respecter la loi et les règles sociales. Elle protège les plus faibles et fragiles et sanctionne ceux qui enfreignent la loi. Là où il y a absence de justice, la vie ne marche pas.

Quelles mesures phares prendriez-vous une fois ministre de la Jeunesse ?

Les mesures phares reposeraient sur la philosophie JAPE qui consiste à promouvoir une Jeunesse Active, Productive et Engagée. C’est aussi ma vision relative à la jeunesse aujourd’hui qu’elle soit scolarisée ou déscolarisée. Entre autres mesures :
Promouvoir la scolarité pour tous
Organiser le cadre formel et informel d’apprentissage des métiers
Promouvoir le sport et les valeurs olympiques chez les jeunes
Encourager l’esprit entrepreneurial et les entreprises communautaires tenues par les jeunes
Prévoir des visites-écoles des jeunes dans les pays où la jeunesse est plus active et entrepreneure
Soutenir les jeunes entrepreneurs qui se démarquent et les utiliser comme des modèles/références.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

Oui j’y crois fermement. Je suis ici et suis qui je suis grâce à la bonté humaine. J’en ai profité, et elle a changé ma vie positivement. Seulement, par les temps qui courent, elle se raréfie au moment où on en a besoin.

Pensez-vous à la mort ?

Oui, bien sûr. Je sais qu’un jour je mourrai mais cela ne m’empêche pas de vivre autant que je peux et de profiter de chaque beau moment, pour augmenter la joie de vivre et de rendre vivable le milieu autour de moi.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

Je lui dirai d’abord merci pour ses interventions miraculeuses à différents moments de ma vie.

 

Propos recueillis par Hervé Mugisha

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Bio-express

Né à Ntunda, commune Vyanda en province de Bururi en 1976, Innocent Ndayiragije est licencié en Psychologie clinique et sociale. Ancien du Petit Séminaire de Buta, il est rescapé des massacres perpétrés sur cet établissement le 30 avril 1997. Avec une expérience professionnelle de plus de 15 ans, il a travaillé dans plusieurs organisations locales en tant que chercheur et responsable de projets (HealthNet TPO, Fondation Kalorina, COPED, ALM-BUTA, etc.). Très épris de la condition des enfants vulnérables, il a créé l'’Association pour la Protection de l’Enfance et le Développement Communautaire (APEDEC). Membre fondateur de l’Association Lumière du Monde de Buta (ALM-Buta) qui oeuvre pour la réconciliation communautaire. M. Ndayiragije assure la coordination des activités de justice transitionnelle et de bonne gouvernance dans le Programme BBB Dutsimbataze amahoro dans six provinces du pays. Marié, Innocent n'a pas encore d'enfant biologique. Toutefois, il éduque et aide en père de famille directement et indirectement plus d’une centaine d’enfants et de jeunes.

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