Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Inès Kidasharira.
Votre qualité principale ?
Je suis authentique
Votre principal défaut ?
Fonceuse à fond, il m’arrive de me cogner contre les murs.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
La franchise
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
L’hypocrisie
Très éprise de la cause féminine. D’où vous vient cette propension ?
Du fond de moi, de mon vécu et de l’entourage. Les femmes autour de moi, qui m’ont éduquée depuis mon enfance sont des femmes fortes. Ma mère, mes grands-mères, mes tantes, etc. Cependant, je trouve qu’elles n’avaient pas la place qui leur revient. C’est ainsi que s’est forgée en moi cette volonté de plaider pour la cause des femmes, ces bâtisseuses souvent dans l’ombre de leurs frères, et maris.
La femme que vous admirez le plus ?
Ma mère, une vraie battante !
L’homme que vous admirez le plus ?
Mon grand-père maternel. Nzikobanyanka de son nom. Il était un vrai Mushingantahe. D’une noblesse d’esprit hors pair, on nous raconte que sa mère avait été « enlevée » par un prince (muganwa) alors qu’elle était enceinte de lui. Un incident qui a fait de sa vie un mélange intéressant. J’espère un jour écrire son histoire.
Votre plus beau souvenir ?
Ils sont nombreux ! Mais celui qui me vient directement à l’esprit, c’est quand j’ai mis au monde mon fils. En le tenant pour la 1ère fois dans mes bras, j’ai senti cette plénitude. C’était à l’hôpital Prince Régent Charles, ce matin -là, j’ai vraiment compris, la signification du nom « muhivu wo mu nda », (le fruit de tes entrailles, NDLR)
Votre plus triste souvenir ?
La mort de ma grand-mère paternelle, elle s’appelait Surwavuba. Un petit bout de femme, pleine d’énergie. Non seulement, elle a élevé mon père et ses frères et sœurs seule après son veuvage, elle s’est débrouillée pour qu’ils soient tous scolarisés. J’étais sa petite fille préférée, faut dire qu’elle m’avait aussi élevée aux côtés de mes oncles et tante quand mon père était parti étudier à l’étranger. Et lorsque qu’on m’a annoncé son décès, j’étais à l’antenne à la radio, j’ai perdu la voix à cause de l’émotion. Sur le coup, je suis rentrée. Tellement, nous étions si proches.
Quel serait votre plus grand malheur de votre vivant ?
Ne pas vivre ma vie selon mes valeurs et mes principes. Ne pas être moi-même.
Chacun doit être libre de disposer de son corps comme il l’entend. C’est votre vision ?
Chaque personne a droit à son intégrité corporelle, doit disposer de son corps sans jugement dans le respect de ses droits et ceux des autres, car toute personne naît libre. Ce principe est réaliste mais sera difficile à atteindre dans notre pays. A cause du simple fait : qu’il y a des « gens » qui estiment encore avoir un droit de regard, voire de décision sur les corps des autres. Par exemple : une femme ne pourra pas avoir un nombre d’enfants qu’elle désire parce que son mari n’aime pas la contraception. Pourtant, elle fait face à la mort à chaque césarienne qu’elle doit subir… Ou bien une femme n’aura pas le droit de porter ceci ou cela parce tel homme estime qu’elle n’en a pas le droit, etc. De simples exemples qui montrent à suffisance qu’au Burundi, la marche est encore longue.
Zéro cas de VSBG (Violences Sexuelles Basées sur le Genre) d’ici 10 ans au Burundi, un vœu pieux ?
Personnellement, je suis découragée, quand bien même, je me dis souvent qu’il faut garder espoir. Ces violences sont tellement ancrées dans notre société. Certains les reproduisent inconsciemment et résistent à toute tentative de changement. Ce qui me fait encore mal, c’est quand des personnes qui pourraient changer le cours des choses (décideurs), sont les premiers à indexer la personne qui ose dire tout ce qui ne marche pas brandissant le prétexte que la culture burundaise est mise à mal.
Les VSBG sont structurelles. Les lois comme le Code des personnes et de la famille, la loi portant prévention, protection des victimes et répression des violences basées sur le genre, les directives nationales pour la santé sexuelle et reproductive pour ne citer que ceux-là. Des lois qui doivent être revues.
Votre réaction par rapport à l’adage rundi : « Niko Zubakwa, (une fois marié(e), il faut tout endurer, NDLR »
Pour moi, cet adage signifie que le mariage est un chantier, un travail parfois difficile pour s’adapter l’un à l’autre, surtout qu’il ne faut pas abandonner à la moindre embrouille.
Toutefois, il faut nuancer. Vous n’allez pas me dire que c’est « Niko zubakwa », lorsqu’une femme est maltraitée, battue, violée.
Dans ce cas de figure, l’essence de cet adage est déformée. Malheureusement, la compréhension que beaucoup donnent à cette expression prête à confusion.
De plus en plus d’abandons scolaires suite aux grossesses non désirées. Que faire ?
Une approche multi dimensionnelle. D’abord des jeunes, par rapport à la sexualité à la maison, à l’école, à l’église pour ceux qui prient afin qu’ils sachent où demander conseil. Parce que la plupart des fois, ils ont tendance à se tourner vers des sources peu fiables ou font des expériences qui tournent à la catastrophe.
Aussi, il y a ce besoin d’un système de santé accueillant pour la jeunesse quand ils décident d’y aller pour avoir tel ou tel produit ou service, parce que même si nous voulons nous voiler la face, les jeunes sont sexuellement actifs.
La sexualité devrait sortir du tabou si nous voulons vraiment trouver une solution durable.
Que faire pour maîtriser la natalité au Burundi ?
Il faut oser ! Tant que nous n’oserons pas discuter de la limite, de l’espacement des naissances, de la contraception librement, il sera difficile d’adopter une politique claire dans ce sens. C’est vrai que naturellement, les Burundais, nous sommes natalistes, mais il nous faut changer de mentalités. C’est un crime de mettre au monde un enfant alors que pertinemment, tu sais qu’il sera difficile de subvenir à ses besoins, sous le motif que « Dieu s’en charge ». Les naissances doivent être décidées, planifiées, encadrées même si « Havyarimana, c’est Dieu qui aide à mettre au monde »
La femme burundaise est-elle suffisamment représentée dans les instances de prise de décisions nationales ?
Loin de là, et les chiffres sont éloquents En témoigne, une étude faite par l’AFRABU en 2016. Pour tout dire, il y a encore du pain sur la planche. A cette époque, elles étaient environ 17% bien que la classe politique s’efforce d’atteindre les 30% consacrés par la Constitution.
Si vous êtes nommée ministre en charge du Genre, quelles seraient vos trois premières mesures ?
Des mesures ? Je dirais actions :
1.Élaborer un plan sur 5 ans pour l’intégration du genre à tous les niveaux de la politique nationale en insistant sur l’éducation des filles, la représentativité de la femme à tous les niveaux avec des résultats d’étude à l’appui et une campagne médiatique.
2.Mobiliser tous les partenaires qui œuvrent dans le domaine du genre pour des actions cohérentes et efficientes pour un changement social effectif. A ce niveau, il faudrait : remettre sur la table des discussions la loi sur la succession pour que la femme burundaise paysanne, qui au quotidien cultive la terre puisse y avoir accès/ hériter au même pied que son frère.
-plaider pour que toutes les filles qui ont dû abandonner l’école à cause des grossesses non désirées retournent à l’école sans conditions, parce que les laisser à la maison, c’est entretenir un cycle de vulnérabilité et de pauvreté.
Quel est le profil d’un mari idéal ?
Idéal dans le sens absolu des romans à l’eau de rose, non. Il n’existe pas ce prince charmant sur un cheval blanc qui pourfend armées et dragons pour toi !
Cela dit, l’homme idéal pour moi, c’est celui qui non seulement fait le choix de t’aimer mais aussi de travailler avec toi pour que votre relation soit sereine et épanouissante. C’est loin du cliché de l’homme fort qui ne pleure jamais, ne se sent jamais découragé, etc. Cet homme-là dont je parle est vulnérable et n’a pas honte parce que tu es plus intelligente que lui. Car après tout, vous vous complétez finalement.
La dot, faut-il la supprimer ?
A mon avis, il faut la supprimer. Elle consacre la domination de l’homme sur la femme en faisant de celle-ci « sa chose » D’ailleurs d’aucuns disent en rigolant après la dot que tel « a dédouané ». C’est insultant, un être humain n’a pas de prix. Toutefois, je trouve qu’il faudrait garder ce cadre où les familles ont la possibilité d’échanger et de se connaître. C’est toute la beauté de notre culture, c’est en quelque sorte une coutume qui scelle l’union des deux familles. Un moment unique où on se définit quand même comme appartenant à tel clan, telle famille etc.
De plus en plus de divorces chez les jeunes couples, surtout en ville. Votre commentaire.
Une question bien complexe…Je ne sais pas s’il faut circonscrire ce problème. Toutefois, cela traduit deux choses : une détresse dans les relations mais aussi cette conscience de l’existence de la loi et des mécanismes qu’elle offre pour sortir d’un mariage défaillant.
-Les jeunes filles et hommes qui ont grandi dans des familles « dysfonctionnelles », mais au vernis impeccable se retrouvent dans des mariages auxquels ils ne sont pas préparés. Certains explosent en devenant violents, en reproduisant les violences plus ou moins similaires -La conjoncture économique exerce aussi des pressions énormes sur les couples. Et lorsqu’ils ne sont pas bien préparés. Il y a ce risque de se rentrer dedans. Car, à ce moment, il leur est impossible de subvenir aux besoins du quotidien. L’adage rundi qui dit « Abasangiye ubusa bitana ibisambo », ceux qui n’ont rien à partager s’appellent des gourmands, ndlr) prend le dessus. Le mari se réfugie souvent dans l’alcool, la femme dans les chambres de prière ou virées entre copines. Et tout part en vrille.
-Il faut aussi ajouter notre « culture du silence » qui affecte nos rapports parce qu’on n’arrive pas à exprimer ou à s’entendre sur nos différends. Et à la longue, c’est l’implosion totale. Enfin, les citadins préfèrent désormais se tourner du côté de la justice (divorce), que les couples en zones rurales. Toutes ces raisons conjuguées expliquent la flambée des cas de divorces.
Un conseil aux futures mariées… (jeunes filles dans l’antichambre du mariage)
Pourquoi aux filles seulement ? Le mariage c’est à deux. Je leur dirais que le mariage est un chantier beau et difficile à la fois, qu’il faut y mettre beaucoup d’amour.
-Autre conseil : je leur dirais qu’il n’y a pas de modèles à suivre dans le mariage, qu’il faudra suivre leur cœur pour éviter de se perdre.
Le métier que vous auriez aimé exercer ?
Celui que je fais maintenant : communiquer pour une cause.
Votre souvenir du 1er juin 1993(le jour où le président Ndadaye a été élu) ?
Des gens en liesse criant de joie à-tout-va, des cris, des chants, des drapeaux dans les rues de Gitega…
Votre passe-temps préféré ?
Ecouter de la musique
Votre lieu préféré au Burundi ?
Les chutes de Mwishanga…sous l’arcade des arbres vers les chutes, c’est merveilleux à regarder.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Le Burundi
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Un voyage dans le temps, parler à mes ancêtres
Votre rêve de bonheur ?
Une maison près d’un cours d’eau, des fleurs à perte de vue, un bon livre sur fond de musique et des rires d’enfants, mes amis, à côté rigolant et de l’amour partout.
Votre plat préféré ?
Ubugali n’indagala ou isombe n’umuceri
Votre chanson préférée ?
« Iwacu haryoha » – de Mudibu
Avez-vous une devise ?
Live and let live (littéralement, vis et laisse vivre)
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Absolument ! Sinon ce serait désespérant de vivre dans ce monde
Pensez-vous à la mort ?
Oui, dans le sens où si je meurs demain, en quoi mes enfants, mes amis, ma communauté seraient fiers de moi. Qu’est ce qui sera mon héritage ? Les mots de Maya Angelou m’inspirent chaque fois : « Les gens peuvent t’oublier, ils peuvent oublier ce que tu as dit mais ils ne pourront jamais oublier comment ils se sont sentis en ta présence »
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Je lui dirais que j’ai cru en lui quand tout me poussait à douter, que j’ai vraiment essayé de faire de mon mieux chaque fois que j’ai pu pour rendre mon entourage vivable, que j’ai aimé les gens qu’il a créés même si certains m’ont déçu, que je me suis battue et défendue ce que je croyais juste, que j’ai surtout aimé mon passage ici-bas !
Propos recueillis par Hervé Mugisha
Inès je ne te connais pas mais tu es adorable.Le Burundi a besoin de plus de jeunes comme toi qui osent dire la vérité sur les dysfonctionnements de la société burundaise,une socièté avec une natalité qui sape tout progrès économique,des traditions parfois violentes envers les femmes qui pourtant sont le socle même du Burundi.Continuons la lutte et parlons de toutes ces choses qui minent notre vie quotidienne tel que la pauvrété qui augmente,la natalité auto déstructive.Pas de tabou tel est la condition sine quanone pour améliorer nos vies individuellement.