Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Laurent Rwankineza.
Votre qualité principale ?
L’intégrité. Quand je prends une décision, j’en assume pleinement les conséquences. Aussi, je dirai que je suis quelqu’un d’empathique.
Votre défaut principal ?
Je suis très colérique.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
Le respect de la parole donnée, de ses engagements.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
Le mensonge
La femme que vous admirez le plus ?
Une femme respectueuse de son mari, de sa famille. Soucieuse de l’honneur des siens et de son foyer.
L’homme que vous admirez le plus ?
Un homme qui respecte sa femme, à l’écoute de ses enfants, de ses proches…Plus que tout qui sait reconnaître ses torts en cas de fautes.
Votre plus beau souvenir ?
Lorsque pour la 1ère fois, je suis devenu grand-père. C’était en 2001. Certes, en tant que parent, certes, je m’estimais comblé. Mais, quand j’ai vu ce « petit être » venir au monde, j’ai ressenti une telle joie. Et rassurez-vous, pour un grand-père, il n’y a pas de plus grands amis que ses petits-enfants. Bien sûr, s’ils sont obéissants (rires).
Le pays où vous aimeriez vivre?
Le Burundi. Pour un tas de bonnes raisons : son climat, l’hospitalité des gens…
Le voyage que vous aimeriez faire?
Le Singapour. Je suis émerveillé par son décollage économique.
Avez-vous une devise?
« La meilleure des publicités est un client satisfait ».
Votre plus triste souvenir ?
Les massacres de 1993 qui ont suivi l’assassinat du président Ndadaye. Pour preuve, il suffit de voir combien les séquelles de ces événements restent toujours vivaces.
Quel serait votre plus grand malheur ?
En tant que chrétien, mourir sans me repentir.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
L’indépendance du Burundi. Quoiqu’à l’époque, j’étais encore jeune, l’événement a montré qu’unis, les Burundais sont capables de beaucoup de choses.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 1er juillet 1962, la proclamation de l’indépendance du Burundi. Dans une allégresse sans nom, la population qui chante gaillardement l’hymne national, le drapeau national qui se hisse aux dépens de celui des Belges… Je me rappelle la scène comme si c’était hier.
La plus terrible ?
L’assassinat du Prince Louis Rwagasore (13 octobre 1961) et l’assassinat du président Ndadaye (le 21 octobre 1993). Chaque fois, les conséquences qui s’en sont suivies ont endeuillé le pays.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
Heureusement, je l’exerce. Depuis tout petit, j’ai toujours rêvé de devenir commerçant. Et par la grâce de Dieu, je suis devenu un homme d’affaires.
Justement, comment l’êtes-vous devenu ?
La passion m’a toujours habitée. Déjà, je vous dirai qu’en 1969, j’avais ma petite boutique à Bugarama (sur la RN1). Malheureusement, l’expérience n’a pas duré longtemps. Deux ans après, j’ai fait faillite. Le temps de rassembler un capital suffisant, j’ai travaillé à l’université du Burundi (1971-1975). Il a fallu attendre l’année 1975 pour que j’ouvre mon magasin avec des articles variés. D’ailleurs, c’est au cours de cette année que j’ai acheté mon tout 1er véhicule. Il m’a coûté plus de 610 mille BIF frais de dédouanement y compris. Voyant les affaires prospérer, j’ai commencé à me diversifier dans différents secteurs (stations-service, transports long-courriers…)
Votre passe-temps préféré ?
Rarement, je me repose. Je n’ai pas de passe-temps préféré. Nonobstant, avec le poids de l’âge, prochainement, je compte partir pour de bon à la retraite. Actuellement, je suis en train de clôturer certains dossiers. Le jour de mes 70 ans, à toute la famille, mes proches réunis, officiellement, j’annoncerai que je tire un trait sur ma carrière.
Votre lieu préféré au Burundi ?
Aucune préférence particulière, hormis ma maison. Je me plais bien chez moi. D’ailleurs, il m’arrive rarement que je sois dehors après 18h.
Votre rêve de bonheur ?
Vieillir paisiblement près des miens. Si Dieu me prête encore vie, en m’occupant comme il se doit de mes petits-enfants. Pourquoi pas de mes arrière-petits-enfants.
Depuis que vous êtes un « Born again », qu’est-ce qui a changé dans votre vie ?
Ma manière de penser, ma façon de voir les choses. Plus que tout, mon empathie pour les gens démunis. Ceci pour dire, il y a de ces erreurs ou de ces péchés mignons que je ne commets plus. Dorénavant, j’ai peur du péché. Loin de moi, les appréhensions pour telle ou telle autre personne. Ce sont mes rapports avec Dieu qui me préoccupent.
Votre plat préféré ?
Je n’ai pas de préférence particulière .Je suis plutôt frugivore. Avec l’âge, on doit tout surveiller. Et les fruits ont des vertus thérapeutiques.
Votre plus grand regret ?
Les années passées sans obéir à Dieu. Dorénavant, je connais Dieu, je crains le péché.
Votre chanson préférée ?
« Kuki wavyemeye ? (Seigneur, pourquoi l’as-tu accepté ?». Malgré qu’elle soit une chanson de deuil (elle a été chantée par un groupe de gospel rwandais rendant hommage à leurs confrères /consœurs décédés dans un accident de la route, NDLR), la chanson me rappelle qu’en un petit laps de temps, tout peut changer. Par conséquent, nous devons chaque jour faire preuve d’humilité.
Quelle radio écoutez-vous ?
Rarement, j’écoute la radio.
Votre souvenir du 1er juin 1993(le jour où le président Ndadaye a été élu) ?
A l’époque uproniste très engagé, j’étais dévasté par la défaite. En tant que businessman, ce sont tous mes pions que je devais replacer. Par contre, son assassinat m’a terriblement attristé.
Après 48 ans de vie commune avec votre femme, s’il vous était permis de (re)faire un choix. Prendriez-vous toujours la mère de vos enfants ?
Ooh que oui! Sans ironie, je n’en vois pas deux comme elle. Et je suis sincère. Ceci ne veut pas dire qu’elle n’a pas de défauts ou qu’elle soit parfaite. Mais avec le temps, j’ai appris à vivre avec. Et le secret n’est autre que le respect mutuel. Je vous dis, il ne faut pas chanter que tu la respectes. Il faut aussi le lui montrer par des actes clairs.
Le problème avec les jeunes gens d’aujourd’hui, ils veulent vivre à 100 km à l’heure. Imbus de leurs personnes, ils n’ont pas le temps de s’asseoir et résoudre leurs différends. Le plus affligeant, dans la plupart des cas, vous trouverez qu’ils se chamaillent pour « de petits riens ».Et quand une semaine passe sans un bonjour le matin, bienvenu les rancœurs, les suspicions…Ma chance, durant toutes ces années ,nous nous sommes toujours donné le temps de nous écouter. Cela nous a aidés parce qu’aucune incompréhension n’a duré deux jours.
Votre définition de l’indépendance ?
La liberté d’un peuple, d’un pays à prendre ses décisions, ses orientations sans diktat aucun. Malheureusement, c’est une notion qui tend à s’éroder qui perd de sa substance. Depuis quelque temps, elle tend à être diluée dans le ferment populiste.
Votre définition de la démocratie ?
La prise en compte des idées, des opinions, des observations de tout citoyen dans leur identité sans pour autant se fier à son appartenance ethnique, à son parti politique d’origine, etc.
Pour vous la justice c’est quoi ?
C’est l’égalité de tous devant la loi sans parti pris ou favoritisme aucun. Si un magistrat est jugé coupable d’un certain délit, qu’il soit traduit devant les instances habilitées et puni conformément à la loi.
En tant qu’homme d’affaires, quels sont les préalables pour relancer l’économie burundaise ?
La politique et l’économie sont interdépendantes. En principe, si le pays est stable politiquement, la sécurité bien garantie sur tout le territoire national, les investisseurs doivent suivre le pas. Et cerise sur le gâteau, le train est déjà en marche. Toutefois, des petits ajustements s’imposent en matière de gouvernance et de lutte contre la corruption …
En tant qu’ancien représentant du peuple, quel conseil donneriez-vous aux nouveaux représentants du peuple ?
Je leur dirais d’être de vrais hérauts. De porter loin la voix de leurs élus. Non pas sur base de leur appartenance politique ou ethnique, mais parce qu’ils croient justes et nécessaires leurs desiderata. Plus que tout, je leur demande d’être exempts de toute forme de corruption.
Un conseil au nouveau gouvernement ?
Oublier le passé et repartir sur de nouvelles bases. Certes, ses membres doivent toujours avoir un œil sur les erreurs antérieures, mais, il ne faut pas qu’ils en soient prisonniers. Pour l’intérêt de la population, ils doivent être intransigeants avec les fauteurs de troubles et prôner la culture du mérite.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Absolument. Il y a de ces personnes qui gardent toujours l’Ubuntu.
Pensez-vous à la mort ?
A mon âge, c’est la chose à laquelle on doit penser. Face à ce passage obligé, on doit planifier. En ce qui me concerne, en bon père de famille, j’ai déjà tout réglé. Tout ce que j’attends, c’est une mort digne, tranquille auprès des miens.
Si vous comparaissiez devant Dieu, que lui diriez-vous ?
Je lui dirais merci pour tous ces bienfaits. Honnêtement, il m’a tant béni!