Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Gilbert Kanyenkore alias Yaoundé.
Votre qualité principale ?
Je suis pédagogue. Un atout qui m’a permis de durer dans ma carrière d’entraîneur. Rarement vous me verrez en train d’engueuler, de courir derrière les joueurs. Chaque fois, j’essaie de trouver un bon discours pour motiver, rendre les joueurs meilleurs.
Votre défaut ?
Je laisse les autres en dire plus.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
J’aime les gens paisibles. Ces gens qui essaient de transmettre le bonheur, la joie de vivre.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
Le mensonge. Je déteste les gens qui parlent des autres derrière leur dos.
La femme que vous admirez le plus ?
La mienne. Avec mes faiblesses, mes défauts en tant qu’humain, elle reste ma confidente.
L’homme que vous admirez le plus ?
Cet homme qui se soucie du bien des autres.
Votre beau souvenir ?
La naissance de mon 1er enfant en 2004. Une joie et un bonheur indescriptibles.
Le métier que vous auriez aimé exercer ?
Figurez-vous que rien ne me prédestinait à devenir entraîneur. Lorsque je termine mes humanités générales, dans la section économie. Je pars poursuivre mes études en RDC à Kinshasa. Orienté dans la faculté des sciences économiques, option commerce à l’institut de Commerce. Je termine avec brio graduat III. A l’époque, je dois avoir 22 ans. Mais, le responsable d’Education physique, un certain Ndoukuma ne cesse de me dire que je suis fait pour le sport et non l’économie. C’est vrai que j’étais polyvalent et très doué dans toutes les disciplines collectives (basketball, football, volleyball). Mais de là à changer de faculté, non.
A-t-il fini par vous convaincre ?
Après une rencontre de football, il vient me voir. Très sûr de lui, il me lance : « Veux-tu vraiment terminer le reste de ta vie derrière les bureaux avec ton talent ? ». Le jour suivant, il vient pour me faire inscrire dans la faculté de l’Institut d’Education physique. Après l’inscription, j’ai passé un examen d’admission que j’ai réussi. Au bout de 5 ans, je termine ma licence. Sur ces 5 ans, il y a 3 années au cours desquelles, j’ai réussi avec mention distinction.
Mais comment vous êtes devenu coach ?
A la fin de mon cursus, je suis directement rentré à Bujumbura pour enseigner le cours d’EPS au lycée Saint Albert. A l’époque, Vital’o est dirigée par un certain Grégoire Muramira. Il faisait également partie du Conseil d’administration dudit lycée. Après un entraînement avec l’équipe de l’école, M.Muramira m’a demandé si je ne pourrai pas aider Vital’o en tant que préparateur physique. A cette époque, les Mauves et blancs sont entraînés par un certain Edmond. Quelque temps après, l’Algérien Rashid Sheradi débarque. Ne voulant pas être son adjoint, Edmond préfère quitter le navire. Et par la petite porte, l’Algérien me prend sous son aile pour devenir son adjoint. Le début d’une grande aventure. Je ne saurais vous dire combien Sheradi m’a tant appris. En tout cas, je lui dois la moitié de mes connaissances en tant que coach. Nos routes se séparent en 1992. Après la finale perdue, il a été recruté par Africa Sport d’Abidjan, vainqueur de la Coupe.
Plus de 40 ans dans le football, un regret particulier ?
Le fait de ne pas avoir ramené au pays une Coupe continentale.
Votre triste souvenir ?
En 2004, alors coach de l’As Kigali, nous partons pour Rome jouer un tournoi qui rassemble les équipes des capitales. Et vers la fin du tournoi, lors du dernier match, les officiels donnent les primes aux joueurs. Et contre toute attente, dans la soirée, alors que l’on s’apprête à jouer. Je passe dans les chambres pour leur dire de vite se préparer pour l’habituelle mise au point de l’avant-match. A ma grande surprise, aucun joueur ne reste. Tous se sont évaporés dans la nature. Seul le capitaine n’a pas pris le large. J’apprendrai plus tard qu’il est resté parce qu’il venait de se marier.
Qu’avez-vous fait ?
Nous décidons alors d’embarquer pour Kigali. Une fois, à l’aéroport, je trouve tous les journalistes du pays qui m’attendent de pied ferme. La seule question : « Comment tous les joueurs parviennent à prendre le large sans que vous ne soyez au courant, M. le coach ? ». Effectivement, une embarrassante question. Mais, il y avait quelques mois, sept joueurs de l’équipe nationale avaient fait la même chose accompagnée d’une imposante délégation.
Alors, j’ai pris mon courage à deux mains et leur ai demandé : « Si cela a pu se produire alors qu’ils étaient avec des officiels, parmi lesquels des militaires. Moi qui n’ai aucune force contraignante, comment pouvais-je prévenir cela ? ». Depuis, je me suis attiré l’inimitié de certaines autorités de la fédération de football du Rwanda, d’alors.
Votre passe-temps préféré ?
Passer du temps en bonne compagnie avec des amis. Des fois, autour d’un verre.
Votre endroit préféré au Burundi ?
Partout où il y a de la bonne ambiance.
Un pays dans lequel vous aimeriez vivre ?
La ville de Kinshasa. Pour y avoir vécu longtemps, là-bas, la vie est simple. Lorsque quelqu’un a quelque chose à te dire, il te regarde droit dans les yeux.
Votre rêve de bonheur ?
Comme tout père, voir mes enfants grandir. Fonder leurs familles.
Votre plat préféré ?
La pâte de manioc (ubugari) avec une bonne sauce de Mukeke.
Coach de Vital’o depuis 1984. Selon vous, quel est le plus grand joueur que vous ayez entraîné ?
Une question difficile. Mis de côté Vital’o, j’ai aussi eu à entraîner l’équipe nationale. Pour dire que durant ma carrière, tellement de bons, moyens et petits joueurs sont passés devant mes yeux. Ceci dit, je ne nie pas qu’il y ait des joueurs au-dessus du lot. A eux seuls, à l’instar de Mbuyi Jean Marie, Malick Jabbir, Albert, Wembo Suche, etc., pouvaient changer une rencontre. Pour revenir à votre question, en tant que tacticien, il me serait difficile de dire que tel était au-dessus des autres. Par exemple, certaines personnes diraient Malick. Mais, défensivement, il était limité. Tout dépend de l’appréciation personnelle.
Votre commentaire sur à l’évolution du football burundais ?
Petit à petit, on essaie de rattraper le retard sur les autres pays. Mais, je dois avouer que si les uns et les autres avaient mis de côté leurs égos personnels, l’appât du gain, ils auraient pu contribuer à la professionnalisation du championnat. Je pense que le Burundi aurait autant d’internationaux voire plus que certains pays de l’Afrique de l’Ouest.
Dans votre carrière, vous avez eu aussi à entraîner au Rwanda. Entre le Burundi et le Rwanda, lequel de ces deux pays regorge de bons joueurs ?
Il n’y a rien à dire là-dessus. Certes, le championnat rwandais suite à sa médiatisation semblerait au-dessus du championnat burundais. Mais, si l’on s’en tient à la qualité des joueurs, les Burundais sont de loin au-dessus des Rwandais. Je dirais que ceci résulte en grande partie de l’histoire. Au cours de la colonisation, beaucoup de Congolais se sont implantés au Burundi. Très bons balle au pied, grâce à ce savant mélange, une génération de bons joueurs, de grands clubs : exemple de Maniema Fantastic, Gilette, Mani Sport, etc., sont nés. Le contraire du Rwanda qui a mis du temps à accueillir des étrangers à accepter ce brassage.
Coach adjoint lors de la belle épopée de 1992 où Vital’o se hisse en finale de la Coupe des Vainqueurs de Coupe (actuelle Ligue des Champions africaines, Ndlr). Qu’est-ce qui a fait que les Mauves et Blancs ne restent pas au sommet ?
A cette époque, un tas d’éléments expliquent le fait que nous n’avons pas pu poursuivre sur cette lancée. Déjà, dans l’effectif, il y a des joueurs qui commençaient à vieillir. Pire, le contexte politique d’alors. Avec la crise de 1993, le sport n’a plus été cette préoccupation pour les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir.
En 2013, contre toute attente, vous remportez la Cecafa Kagame Cup. Quel souvenir gardez-vous de ce sacre ?
Un moment mémorable. Hormis que sur papier nous sommes considérés comme le petit poucet du tournoi. De tous les effectifs que j’ai eu à entraîner, elle était l’équipe la plus moyenne. Compte tenu de tout cela, il fallait que je joue sur la psychologie des joueurs. J’ai su trouver les mots justes. Prendre match après match, et attendre la suite : c’était la devise. L’ironie de l’histoire fera que l’on élimine les deux équipes rwandaises qui faisaient figure de favorites (Rayon Sport et APR FC), respectivement en ½ finale et finale.
Voir le Burundi participer à une Coupe de Monde. Un rêve qui peut devenir réalité ?
Pourquoi pas ? Il suffit de bien planifier, d’investir dans la nouvelle classe montante de jeunes joueurs. Avec 18 ans comme moyenne d’âge des équipes de la Primus ligue A, si les actuels dirigeants en font un objectif. Ce rêve peut devenir réalité. Néanmoins, pour y arriver, la préparation doit se faire de la base au sommet.
Un ou deux conseils aux actuels dirigeants du football burundais ?
Faites-vous bien entourer par des gens qui connaissent le football, qui ont cette envie de travailler pour le bien et l’honneur de notre chère patrie. Tellement, notre jeunesse est pétrie de talents. Je ne doute point que si elle est bien encadrée, d’ici 5 ans, nous serons dans le top 10 africain.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Absolument. Il y a des gens bons, tout comme il y a de moins bons. Mais chaque fois, c’est cette bonté qui prime.
Pensez-vous à la mort ?
Un passage obligé. L’important, c’est de laisser un bon témoignage de notre vivant sur la terre.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Au contraire, qu’est-ce qu’il me dira ? C’est celui qui m’évaluera si j’ai été à la hauteur de la mission qu’il m’a confiée sur la terre.
Propos recueillis par Hervé Mugisha
« […], aucun joueur ne reste. Tous se sont évaporés dans la nature. Seul le capitaine n’a pas pris le large. J’apprendrai plus tard qu’il est resté parce qu’il venait de se marier. »
En août 2018, les tambourinaires, 24 au total, se sont volatilisés alors qu’ils avaient été invités à participer à une rencontre folklorique organisée à Fribourg (Suisse). Seuls trois sont restés pour la prestation burundaise, avant de disparaître à leur tour. Ils sont allés demander asile en Belgique mais la plupart ont été renvoyés en Suisse.
Décidément, dans ce domaine, l’histoire se répète!
@Arsène
Je croyais qu’il n’y avait que les gens du pays le plus pauvre du monde qui fuyaient leur patrie.
Dommage que de simples mots ont eu un impact négatif sur ta relation avec les dirigeants de la Ferwafa