Vendredi 22 novembre 2024

Culture

Au coin du feu avec Gérard Nduwayo

05/10/2019 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Gérard Nduwayo
Au coin du feu avec Gérard Nduwayo

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Gérard Nduwayo.

Votre qualité principale?

L’optimisme. Savoir que pour tout problème, il y a 2 ou 3 pistes de solutions.

Votre défaut principal ?

L’obsession d’indépendance. Qui peut être source de blocages ou de frustrations.

La qualité que vous préférez chez les autres?

L’enthousiasme. Cette capacité de faire tout en bonne humeur et avec détermination.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres?

Pas que je ne supporte pas. Plutôt que je tolère. Les anxieux ou les gens susceptibles par exemple. Ce genre de personnage a la fâcheuse tendance de réduire l’autre à un seul trait. Et pour eux, chaque chose devient un problème. Mais par-dessus tout, j’ai horreur des manipulateurs qui au final ne font qu’alimenter les 7 péchés capitaux (orgueil, avarice, jalousie, gourmandise, envie, paresse, luxure).

La femme que vous admirez le plus ?

Evidemment, la mienne. Celle qui partage ma vie depuis plus de 30 ans. Elle éclaire chaque tournant de cette vie. Et fut le vecteur de la loi divine : «  multipliez-vous ».

L’homme que vous admirez le plus ?

Jésus de Nazareth. Il nous a transportés vers une vie spirituelle qui nous rend notre liberté. Avant lui, il y a eu d’autres. Comme le chinois Sun Tzu qui m’inspire dans les stratégies individuelles. J’aime lire son ouvrage « l’Art de la guerre » ou la capacité de vaincre sans livrer bataille. Il y a aussi un contemporain, mon père, qui a 82 ans et qui semble être sur les traces des 2 hommes, quand il me dit : « Ndaryimare niwe ndaryitere » (la colère est mauvaise conseillère).

Votre plus beau souvenir ?

L’année 1987. Deux dates : 4 mai : le Président Jean Baptiste Bagaza signe un décret qui me nomme conseiller à la présidence à 25 ans, au sortir du Centre d’études des relations internationales (CERI). 5 décembre : mon mariage à la cathédrale Régina Mundi. C’est l’année de grâces. Celle des responsabilités aussi.

Votre plus triste souvenir ?

De vagues souvenirs. Il n’ ya pas plus triste que l’autre. Plutôt, j’ai une molécule de l’oubli qui fonctionne à plein régime dans mon cerveau. Et qui régulièrement fait le tri entre ce qui est positif et ce qui est négatif. Tout ce qui est triste est gommé. Heureusement. Même si parfois il faut agir contre le processus d’oubli.

Quel serait votre plus grand malheur ?

Le conditionnel négatif, ce n’est pas non plus ma tasse de thé. Au lieu d’être un prophète de malheur, je me projette dans le bonheur plutôt. Je raisonne comme W, Churchill : «  Même en traversant l’enfer, surtout continue d’avancer ». Avancer c’est cela qui importe.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

La formation complète du Royaume du Burundi dans ses frontières actuelles avec les conquêtes de Ntare Rugamba. Même s’il a annexé une partie du royaume du Bugesera vers 1800.

La plus belle date de l’histoire du Burundi ?

Une seule : 1er juillet 1962, le jour de l’Indépendance. Le Burundi aux Burundais.

La plus terrible ?

Les unes plus terribles que d’autres. 1961 : l’assassinat du PLR ; 1965 : les crises qui inaugurent les hécatombes ; 1972 : le fléau national qui ébranle tout le pays. 1988 : la crise de Ntega- Marangara ; 1993 : la tragédie qui déchire le tissu social et le système politique. Mais je le répète encore, toutes ces crises sont aussi porteuses de germes de sursaut.

Le métier que vous auriez aimez faire ?

Pas un autre que celui que je mène actuellement. Consultant indépendant. Ça procure un sentiment de liberté et ça vous mène partout, dans presque tous les domaines. Si on me demande de cultiver des choux sur un roc et que j’accepte, je le fais.

Votre passe-temps préféré ?

Musique douce et bonnes lectures. Randonnées pédestres et bains de forêts.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Les hautes terres du Burundi, entre monts et vallées. Surtout ma commune Gisozi qui a une ambition d’être une destination nationale.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Le Burundi toujours. Incomparable. Avec ses mille collines et sa population avenante.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Voyage guidé ou d’études au Singapour. Avec une ambition d’apprendre comment cette « Suisse d’Asie » est devenu un Etat ultra moderne. Une inspiration pour un citoyen, comme moi, venant du Burundi, la «  Suisse d’Afrique ». Un voyage d’apprentissage de la fierté d’un peuple.

Votre rêve du bonheur ?

Voir chaque Burundais fier et heureux. Il s’agit surtout de le vouloir, car c’est une question de perception et d’attentes, malgré les apparences de tempête autour. Je vous invite vous aussi au bonheur facile avec la formule de Mo Gawdat, cet égyptien, ex-ingénieur chez Google qui parcourt le monde entier pour enseigner l’équation du bonheur. Et puis là où il y a volonté, il y a action.

Votre plat préféré ?

Hum….Kurya umwaka. Rappelez-vous : pâte d’éleusine accompagnée de fruits de saison.

Votre chanson préférée ?

Ou bien mon chanteur préféré. Christophe Matata. «Ninyagasambu rirarema», le tube des années 90. Franchement, je tire le chapeau pour les chanteurs actuels du Burundi avec leurs tubes afro-pop ou afro-beat. En plus de leurs paroles de sagesse qui inspirent énormément.

Quelle radio écoutez-vous ?

Toutes les radios que je peux écouter. Pour la diversité des lignes éditoriales, des langues ou des émissions.

Avez-vous une devise ?

Par exemple cette sagesse orientale: « Plutôt que de maudire les ténèbres, encore faut-il allumer une chandelle si petite soit-elle. »

Votre souvenir du 1er juin 1993 ?

Sous réserve de ce qui arrivera 4 mois après, je peux dire que ce jour, le Burundi a marqué un point sur la scène internationale. Un changement démocratique inattendu. Et de manière pacifique. Moi qui étais dans une ambassade, cet événement fut un point d’honneur pour mon pays. Une leçon à capitaliser pour les autres. Mais comme je vous l’avais dit, la victoire de juin fut aussi le résultat des frustrations des dates terribles évoquées plus haut et mal gérées. Pour moi le 1er juin ne fut pas une surprise. Je l’avais déjà pressenti.

Votre définition de l’indépendance?

C’est le transfert des pouvoirs de la puissance coloniale aux nationaux. La liberté de choix des nationaux. Ce qui suppose une bonne organisation politique et assez de talent et de savoirs pour mieux assumer les responsabilités en toute souveraineté. L’avons-nous pu ?

Votre définition de la démocratie ?

Comme slogan, c’est le pouvoir du peuple. Facile à dire. C’est l’art qui devient difficile. Comment recruter un personnel politique sans reproches par des élections et nominations ? Comment contrôler l’action des élus de manière efficace ? Comment assurer les droits et libertés de manière à ce que la séparation des pouvoirs ne soit pas un slogan creux ? Autant de questions que toutes les démocraties se posent. Mais au final, c’est le meilleur système politique jusqu’à présent.

Votre définition de la justice ?

D’un côté, des magistrats indépendants. De l’autre, des justiciables informés de leurs droits. Et au milieu une infrastructure de justice qui assure un bon accès aux services et une certaine célérité des procédures. Une gageure.

Si vous étiez président de la République, quelles seraient vos deux premières décisions ?

Ça vient rapidement. Je consulte mon Manifeste de 2015 que certains n’ont pas pu écouter dans le vacarme ambiant des contestations des contre-contestations.

Primo, je convoque des Etats Généraux autour d’un plan présidentiel d’urgence de 2 ans. Ce plan vise l’adoption et l’exécution d’une Stratégie nationale pour un Etat émergent d’ici 2025, avec un programme d’investissement conséquent. Dans cette stratégie, tout y est, de la gouvernance inclusive aux outils d’évaluation, notamment le contrat de performance pour tous les responsables.

Secundo, je lance une initiative présidentielle sur la parité hommes-femmes à hauteur de 50% avec une planification et une budgétisation subséquentes dans tous les secteurs et à tous les niveaux : national, provincial, communal. Chaque ministère serait doté d’une direction genre logée dans les cabinets.

Si vous étiez ministre des Affaires Etrangères, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Premièrement, normalisation des relations diplomatiques avec les voisins et grands partenaires. Deuxièmement, prendre des initiatives concrètes pour faire du Burundi la vitrine de l’Afrique en matière de paix et de sécurité.

Croyez-vous en la bonté humaine ?

Oui, car nous naissons naturellement bons. La corruption vient après.

Pensez-vous à la mort ?

La mort est consubstantielle à la vie. Il ne faut pas vivre comme si on ne va pas mourir et il ne faudrait pas mourir comme si on n’a pas vécu.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

Je lui dirais : merci infiniment.

Propos recueillis par Fabrice Manirakiza

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Bio express

Arrivé 3e après Pierre Nkurunziza et Agathon Rwasa lors de l’élection présidentielle de 2015, Gérard Nduwayo a été candidat présidentiel pour le parti Uprona. Parallèlement à ses activités de conseil au niveau national et international, il dirige le conseil municipal de sa commune natale et préside aussi le Conseil d’administration d’une entreprise publique, la Régie Nationale des Postes. A 57 ans, cet ancien diplomate a exercé plusieurs fonctions aussi bien dans la haute administration que dans la politique nationale ou internationale. Successivement conseiller à la présidence, conseiller d’ambassade puis porte-parole du ministère des Affaires Etrangères, Gérard Nduwayo a servi le parti Uprona, dont il était déjà membre du Comité central, comme porte-parole et secrétaire national aux relations extérieures entre 2002 et 2005. C’est à ce titre qu’il a pris part aux négociations entre le gouvernement et le Cndd-Fdd pour la signature du cessez-le-feu en 2003, ainsi qu’aux pourparlers sur la constitution post-transition de 2005. Il fut aussi membre du Comité exécutif de la Commission de suivi de l’Accord d’Arusha. Après les élections de 2005, il se reconvertit en indépendant et mène une vie de consultant avec une expertise en médiation et résolution des conflits. Sur le plan national, il a travaillé avec les institutions et organisations nationales de la société civile. Sur le plan régional, il a interagi avec les gouvernements africains par le truchement des organisations internationales comme l’UA, la CIRGL, la CEEAC, l’EAC, le PNUD, l’ONUFEMMES, ICTJ, Interpeace etc. Sur le plan international, il a travaillé pour le Département des Affaires Politiques des Nations Unies comme Conseiller Principal en médiation, sur le plan global en 2012-2013, puis en République Centrafricaine en 2014. Historien, il est détenteur d’un certificat post-universitaire en relations internationales et d’un diplôme de 3e cycle en droits fondamentaux. Marié, il est père de 6 enfants.

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