Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Gaspard Kobako.
Votre qualité principale ?
Une écoute active. J’aimer écouter les gens. Mais, aussi je pose des questions.
Votre défaut principal ?
Je ne supporte pas que quelqu’un me fasse mal. Et parfois, je réagis au stimulus.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
J’aime que les gens s’identifient à moi. On a tendance à se prendre comme une référence. Chez les autres, j’apprécie l’humilité, la modestie.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
C’est quand quelqu’un pense qu’il est meilleur que les autres, le maître à penser.
La femme que vous admirez le plus ?
La mienne. Comme le disait un de mes professeurs, la belle femme se trouve dans la maison de chacun. Bref, j’admire celle que j’ai choisie.
Quel est l’homme que vous admirez le plus ?
Nelson Mandela. J’ai eu l’occasion de le côtoyer, de l’écouter quand il était médiateur dans le conflit burundais. Il nous a prodigué des conseils. En tant que médiateur, il nous a révélé des choses que personne n’aurait osé dire. Il nous prévenait du danger qui nous guettait si nous ne signions pas l’Accord d’Arusha. Par son sens du pardon, il reste un modèle. Malgré les années passées en prison, il est parvenu à pardonner ses tortionnaires. Ce n’est pas tout le monde qui le ferait.
Votre plus beau souvenir ?
Je suis un peu dubitatif. Entre mes innombrables doux souvenirs de ma tendre jeunesse et lorsque j’ai demandé la main à mon épouse. Après plusieurs années et des hésitations, elle a accepté. Cela nous a marqué. Des fois, on se remémore ce temps, ça nous amuse. Cela a été une persévérance positive pour moi.
Votre plus triste souvenir ?
Lorsque j’ai été amené à reprendre l’année académique 1988- 1989. Non pas parce que j’étais moins intelligent, mais, parce que mon professeur l’avait décidé ainsi. J’étais en 2e licence dans le département de Géographie. Tout le monde savait qu’il ne jurait que par me voir échouer.
Heureusement, je n’ai pas gardé de rancune envers lui. Injustement, j’ai repris l’année académique. A quelque chose malheur est bon, dit l’adage. Je me dis que l’incident a forgé ma personnalité et a contribué pour que je devienne la personne que je suis maintenant.
L’autre souvenir, c’est quand j’ai vu en 1972 deux de mes enseignants à l’école primaire embarqués dans des camions dits « Majelus » pour ne plus revenir. Cette image reste gravée dans ma mémoire.
L’autre, c’est l’assassinat du président démocratiquement élu Melchior Ndadaye. Une perte immense.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Ça serait de quitter cette terre avant que le Burundi ne recouvre la paix, la sécurité et surtout la démocratie. A mon avis, ces valeurs ont été mises à rude épreuve depuis le retour du multipartisme.
Certes, aujourd’hui, il y a un pas franchi. Cependant, nos actuels leaders politiques doivent faire le distinguo. La démocratie ne signifie pas l’existence de plusieurs partis politiques , par contre, un espace politique libre, non verrouillé où les compétiteurs se mettent à l’action en jouissant de leurs droits civils et politiques dans la plénitude, dans la sécurité sans avoir peur d’être persécutés du jour au lendemain.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
C’est le retour de la démocratie. Hélas, elle a duré le temps d’une rosée. Juste une centaine de jours. Cependant, j’avoue que cela a ouvert les yeux des Burundais qui ne pouvaient pas s’exprimer. Aujourd’hui, ce fait a permis un débat contradictoire.
L’autre haut fait c’est l’Indépendance chèrement acquise et au prix du sang. Les Burundais doivent s’enorgueillir. C’est un fait historique reconnu et irréversible. N’en déplaise à ceux qui pourraient dire qu’ils ont fait ça de leur propre initiative.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
C’est la victoire de la démocratie en 1993.
La plus terrible ?
C’est la mort du héros de l’Indépendance, le prince Louis Rwagasore, le 13 octobre 19961. C’est aussi l’assassinat du héros de la démocratie, président Melchior Ndadaye, le 21 octobre 1993.
Le métier que vous auriez aimé faire ? Et pourquoi ?
A l’école primaire, je m’identifiais à mes enseignants. Chemin faisant, quand je suis allé au secondaire, j’avais toujours l’idée de m’identifier à mes enseignants. Finalement, je suis devenu enseignant. Mais, dans mon deuxième choix quand je me préparais pour entrer à l’Université, j’avais souhaité être journaliste parce que j’écoutais le journal parlé, surtout en français, ça me séduisait. A l’époque, il n’y avait pas plusieurs médias mais ceux qui donnaient les nouvelles à la radio étaient des grands frères. Je pensais que je pouvais être journaliste.
Mais, je ne regrette pas de ne pas être devenu journaliste. Il y a des journalistes tendancieux. Un défaut énorme parce que personnellement je déteste par-dessus tout être influencé par qui ou quoi que ce soit. D’ailleurs, on me reproche souvent d’aimer dire ce que je pense et ce, dans des termes souvent directs.
Votre passe-temps préféré ?
Je suis touche à tout en matière sportive. Jeune, je jouais au football mais comme je n’aimais pas recevoir des coups de pieds, j’ai réalisé que le football n’était pas mon fort. J’ai joué au basketball mais j’étais excellent au volleyball sur tous les numéros.
J’aime la natation et je la pratique avec toute ma famille. Après 34 ans au volleyball et avec mon âge (bientôt la soixantaine) maintenant, je fais de la marche. J’appartiens à un club, « Les amis de la Montagne », le plus ancien club des marcheurs au Burundi et qui est affilié à la fédération africaine des marcheurs.
Votre lieu préféré au Burundi ?
La campagne. Quand je prends mon congé, je me rends à la campagne. Facilement, je peux y séjourner pendant deux semaines. Je pratique les activités agro-sylvo-pastorales sur la colline Mutangaro, à Rutovu, ma commune natale.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Mon pays, le Burundi. C’est un beau pays. Il est la somme des paysages de plusieurs pays africains. Les Sud-africains m’ont dit que le Burundi est le résumé de leur grand pays parce que vous pouvez trouver tous les climats sur un petit espace (27834 km2). Vous y rencontrez cinq régions naturelles différentes. C’est une grande richesse.Plus important, c’est la qualité des produits issus de notre sol. C’est riche et varié. Bien sûr, faut-il bien les transformer pour leur conservation.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Au Canada. Et cela pour deux raisons. D’abord, ce sont les Frères de l’Instruction chrétienne du Canada qui m’ont éduqué les premiers. J’ai gardé un bon souvenir. La deuxième raison, c’est que mon épouse étudie au Canada. Elle y a fait sa maîtrise. Elle vient d’y faire son doctorat ce n’est pas encore conclu. Elle avait souhaité que j’aille assister à sa défense n’eût été cette pandémie du coronavirus. Mais la cause n’est pas perdue.
Votre rêve de bonheur ?
Le bonheur est relatif. Mon bonheur serait de vivre heureux avec ma famille et avec toutes ses ramifications. Voir mes enfants terminer leurs études, fonder leurs foyers, avoir des petits fils et petites filles, même des arrières enfants.
Votre plat préféré ?
Une alimentation équilibrée, contenant des protéines, lipides, lucides tel qu’appris à l’école. Mais eu égard à mon âge, je préfère un repas végétarien. Il est moins tentant. Il est léger.
Votre chanson préférée ?
J’aime la country music. Elle est reposante. Mais, vous savez, il y a certaines préférences qui évoluent avec les époques. Dans mon jeune âge, il y a des auteurs qui m’ont marqué dont les chansons restent en moi. C’est Nana Mouskouri et Georges Moustaki. Quand une de leurs chansons passe et que mon enfant tente de tourner le bouton, je lui dis : « Attendez, ça c’est ma belle époque (rires) ».
Quelle radio écoutez-vous ?
La RFI
Avez-vous une devise ?
Une justice juste. Une justice qui dit le droit. Il ne suffit pas qu’il y ait une justice, mais, faut-il qu’elle soit encore juste. Il faut que le corps de la justice rende la justice aux justiciables.
Votre souvenir du 1er juin 1993 ?
C’est la victoire de la démocratie. Un souvenir de joie. En tant que témoin oculaire et auriculaire, c’était un triomphe des idées nouvelles, un espoir d’un Burundi nouveau à travers les 46 propositions défendues par le Frodebu.
Qu’est-ce qui vous a motivé à quitter le Frodebu alors que vous étiez un militant de la première heure?
En politique, il y a une dynamique. Les partis politiques naissent, grandissent et meurent. Ils évoluent et se transforment. Nous n’avons pas quitté le Frodebu, nous avons évolué plutôt vers l’idéologie de Ndadaye.
Votre définition de l’indépendance ?
C’est jouir de ses droits politiques, civils et socio-économiques. C’est aussi ne pas dépendre du colonisateur traditionnel. L’indépendance vis à vis de son compatriote, de son prochain qui affiche des comportements similaires au colonisateur et même pires que lui.
L’indépendance devrait permettre à chaque citoyen de jouir de ses biens, de se sentir libre, libre dans sa pensée, dans sa façon d’entreprendre et de s’associer.
Votre définition de la démocratie ?
C’est un système politique où les citoyens se choisissent librement ses dirigeants. Les citoyens se choisissent librement les programmes et non les individus. Tel que les Grecs l’on définit : la démocratie est un gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple. Ça dit tout. Le peuple se choisit ses dirigeants. Pour le peuple, c’est-à-dire, il en tire profit, le développement. Une démocratie qui ne conduirait pas au développement ne serait pas une démocratie. Les comportements contraires seraient la dictature.
Votre définition de la justice ?
Dire le droit sans contrainte ni distinction aucune ni parti-pris pour autrui. Lorsque deux personnes se disputent un intérêt, la justice doit se mettre au milieu, faire des investigations, pouvoir déterminer que telle est dans le vrai chemin, que telle n’est pas dans le vrai. Non pas en se laissant graisser la patte, non pas en se laissant corrompre, mais en regardant et en disant juste le droit. La justice doit être équitable et impartiale.
Si vous étiez ministre de l’Education, quelles seraient vos deux premières mesures ?
-Je procéderai à la réintroduction des matières qui ont été diluées avec le temps, par l’introduction de l’entrepreneuriat pratique, le relèvement du niveau des éduqués pour qu’ils soient compétitifs comme par le passé, au niveau national, régional et international ; Sans oublier la généralisation des TIC.
-Je ferais la promotion de la culture de l’excellence, en interdisant la gestion du système éducatif à plusieurs vitesses comme cela se fait de nos jours (par le clientélisme, la juxtaposition, l’interventionnisme de l’autorité et syndicale même dans la gestion salariale des fonctionnaires enseignants; l’esprit partisan etc.)
Si vous étiez président de la République, quelles seraient vos premières mesures ?
-J’abrogerais toutes les lois liberticides et réviserais la Constitution de la République pour en faire une Constitution durable à la lumière de celle des USA.
-Je me ménagerais pour que la magistrature soit indépendante avec cette latitude de dire le droit et rien que le droit, avec la tolérance zéro pour ceux qui se font corrompre par des punitions exemplaires, allant de l’emprisonnement à la révocation
-Je ferais en sorte qu’un audit soit réalisé en fin de mandat des dignitaires afin que ceux qui se rendent coupables des détournements en répondent devant la loi en rétrocédant les biens mal acquis et remettent aux ayants droit l’argent et les biens détournés.
-J’opérerais une réforme agraire profonde pour que le gaspillage des terres agricoles s’arrête .Tout cela pour permettre que les terres arables soient reconquises au détriment des constructions envahissantes et anarchiques.
Croyez-vous à la bonté humaine?
Je n’y crois pas tellement parce qu’il y a un adage qui dit « homo homini lupus », (l’homme est un loup pour l’homme). L’homme se comporte souvent de manière bestiale plus qu’un animal. La bonté c’est comme l’honnêteté, elle n’est pas de ce monde. Ce sont des valeurs qui doivent se construire.
Pensez-vous à la mort ?
La mort est là. Elle est inscrite. On naît, on grandit et à un moment donné on meurt. Victor Hugo disait que « L’on meurt comme l’on a vécu ». Mais, ça dépend de comment l’on s’est comporté. Evidemment, les morts ne s’équivalent pas. Il y a des morts subites, atroces. Après un long parcours dans la vie, il faut qu’on se repose. La mort est sur la trajectoire de quelqu’un. « Les morts ne sont pas morts » disait Birago Diop. Cela signifie que l’être humain se perpétue à travers sa progéniture, sa pensée.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
On ne peut pas mentir à Dieu. Je remercierais pour tout ce que j’ai accompli ici-bas sur terre et lui demanderais de me rendre jugement.
Propos recueillis par Félix Haburiyakira