Mercredi 25 décembre 2024

Ils sont venus au coin du feu

Au coin du feu avec Frère Liboire Kagabo

20/10/2018 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Frère Liboire Kagabo
Au coin du feu avec Frère Liboire Kagabo

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Frère Liboire Kagabo.

Votre qualité principale ?

Je laisse à ceux qui me connaissent le soin de me la révéler.

Votre défaut principal ?

L’impatience, peut-être…

La qualité que vous préférez chez les autres ?

L’honnêteté.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

La malhonnêteté et le mensonge.

L’homme que vous admirez le plus ?

Tout homme qui gagne honnêtement sa vie et celle des siens à la sueur de son front, surtout les plus modestes.

La femme que vous admirez le plus ?

Quelle question ! Je suis religieux catholique. Néanmoins, j’admire beaucoup deux femmes: ma mère et ma grand-mère maternelle. Je les ai connues assez longtemps et je leur dois beaucoup.

Votre plus beau souvenir ?

Je dois dire que j’en ai beaucoup et je préfère les énumérer: l’entrée à l’école primaire, la première communion, mes réussites scolaires et académiques, les différentes étapes de mon incorporation dans l’Ordre des Prêcheurs (les Dominicains), dont l’étape de la profession solennelle. Je m’arrêterais cependant sur un souvenir certainement plus marquant que les autres : mon ordination sacerdotale. Je me souviens que c’était dans un cadre magnifique : au sanctuaire de la Vierge Marie à Mugera, le 15 août 1976. C’était donc la fête de l’Assomption de la Vierge Marie. L’Eglise Catholique célébrait en même temps le 75è anniversaire de sa présence au Burundi. La journée était radieuse. Mes deux confrères et moi étions entourés par une foule nombreuse de chrétiens recueillis, de nombreux évêques, de nombreux prêtres, religieux et religieuses, de nos propres parents. Et puis, bien sûr, l’honneur qui nous était fait à travers l’ordination sacerdotale de célébrer l’eucharistie aux fidèles et le sacrement de pénitence était immense…

Votre plus triste souvenir ?

J’en ai bien un que je tais par pudeur.

Quel serait votre plus grand malheur ?

C’est vrai que je pourrais rencontrer de grandes épreuves. Mais je sais que tout mon destin est entre les mains de Dieu. Quoiqu’’il puisse m’arriver, ce serait sa volonté et ça ne serait pas un malheur.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

Cette conjonction de faits culturels, de bravoures, de rencontres, de compromis, qui ont constitué la nation burundaise.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

Celle du recouvrement de son indépendance, le 1er juillet 1962.

La plus terrible ?

Deux dates qui en font une à mon avis: le 13 octobre 1961 et le 21 octobre 1993. La première, c’est la date de l’assassinat du premier Ministre élu démocratiquement au Burundi, le Prince Louis Rwagasore, quelques jours après sa nomination. Elle a installé dans la société burundaise une culture du meurtre politique que nous avons de la peine à extirper de nos mœurs. La seconde correspond à l’assassinat du Président Melchior Ndadaye, premier Président démocratiquement élu au Burundi, à peine trois mois après son élection. Elle a été le début de grands massacres, de grandes destructions et d’une longue période d’instabilité dont nous n’arrivons pas encore à sortir.

Les deux dates indiquent le refus de la démocratie par une frange malheureusement active de la société burundaise. Elles indiquent aussi le refus de la cohabitation, de la tolérance et du développement.

Le métier que vous auriez aimé faire ? Pourquoi ?

C’est celui que je fais. Il est triple : je suis prêtre, religieux dominicain et je suis professeur. Les trois métiers me comblent.

Votre passe-temps préféré?

Lire et écrire. Il ne s’agit pas de fait de passe-temps. Les deux activités remplissent le gros de mon temps et l’occupent.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Je n’ai vraiment pas un coin que je préfère par rapport aux autres au Burundi. J’aime bien parcourir mon pays. L’une des caractéristiques de ses paysages, c’est qu’ils rivalisent de beauté et qu’aucun coin ne ressemble à l’autre.

Le pays où vous aimeriez vivre ? Pourquoi ?

Au Burundi. Simplement parce que c’est mon pays.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Visiter la Terre Sainte. Je ne l’ai pas encore fait.

Votre rêve de bonheur ?

Voir mon pays connaître une paix juste et durable. La prospérité viendra en sus, j’en suis certain.

Votre plat préféré ?

Je n’en ai pas.

Votre chanson préférée ?

Je ne suis pas très mélomane. Mais, juste par chauvinisme, j’aime bien les chansons de Canjo Amissi que je trouve pleines de sens et de sagesse.

Quelle radio écoutez-vous ?

RFI.

Avez-vous une devise ?

Faire le bien parce que c’est le bien et pour la gloire de Dieu.

Votre souvenir du 1er juin 1993 ?

J’étais à l’extérieur du pays, au Canada. Comme j’étais occupé toute la journée, Je suis allé voter à 18 heures locales (il était minuit au Burundi) alors même que les tendances de l’élection étaient connues au Burundi. J’avais été informé par fax.

Votre définition de l’indépendance ?

La possibilité pour une nation de s’autodéterminer et d’avoir une place dans le concert des autres nations. C’est en même temps une responsabilité énorme. Il ne suffit pas qu’un pays soit reconnu par les autres, qu’il ait son drapeau, un territoire, des institutions et même des dirigeants. Encore faut-il que ses citoyens jouissent de suffisamment de liberté, d’épanouissement et de bien-être pour contribuer à raffermir cette indépendance.

Votre définition de la démocratie ?

Un régime politique dans lequel tous les citoyens ont des droits égaux, sont consultés pour les décisions qui concernent le pays et dans lequel les responsables désignés acceptent d’être soumis au contrôle de l’ensemble des citoyens ou de leurs représentants.

Votre définition de la justice ?

Le respect des droits de chaque personne et de l’ensemble de la société.

Si vous étiez ministre de l’Education quelles seraient vos deux premières mesures ?

Garantir un enseignement de qualité à tous les enfants du pays qui leur donne des chances absolument égales. Créer un cadre d’excellence pour les meilleurs d’entre eux.

Si vous étiez ministre de l’environnement, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Entreprendre des travaux importants de nettoyage et de curage du lac Tanganyika et des autres lacs du pays de tous les déchets nuisibles. Prévenir en amont toute pollution future de ces lacs notamment en créant des stations d’épuration efficaces, en interdisant d’en faire des déversoirs d’autres déchets et en réprimant sévèrement les contrevenants.

Croyez-vous à la bonté naturelle de l’homme ?

Oui, absolument.

Pensez-vous à la mort ?

Oui, bien sûr. Comme à une intruse, mais aussi comme à un ami qui vient me rappeler constamment ma finitude et aussi mon ouverture à l’infini de Dieu.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

Je le remercierai d’abord pour tout le bien qu’il m’aura fait dans cette vie présente, pour m’avoir créé pour partager le bonheur avec Lui, pour tout ce qu’il aura fait pour moi pour que j’y parvienne. Je le remercierai également de m’avoir placé dans ce beau pays qui s’appelle le Burundi, avec tous ses habitants et leurs différences, avec toutes les vicissitudes de son histoire. Je lui demanderai pardon pour tout le mal que nous nous faisons subir et que nous avons fait subir à ce pays, pour l’avoir défiguré au lieu de continuer à le configurer à son image. Je pense que nous avons une responsabilité collective et donc une culpabilité collective dans tout le mal que subit notre pays et ses habitants. Nous aurons chacun et chacune à en répondre. Au moins devant Dieu !
Propos recueillis par Léandre Sikuyavuga

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Bio- express

Frère Liboire Kagabo est né le 31 mars 1947 dans l’actuelle commune de Ndava, en Province de Mwaro. Il a fait ses études primaires principalement à Kibumbu, ses études secondaires au Petit Séminaire de Mugera et au Séminaire Moyen de Burasira. Il est entré chez les Dominicains après ses études secondaires en 1968. Il a fait ses études universitaires à l’Université de Butare au Rwanda, de Fribourg en Suisse, au Grand Séminaire de Bujumbura et à l’Université Catholique de Louvain. Il est porteur d’une licence en philosophie de l’Université de Fribourg, en Suisse, et d’un Doctorat en Philosophie de l’Université Catholique de Louvain, à Louvain-la-Neuve. Il a été ordonné prêtre dans l’Ordre des Frères Prêcheurs (Dominicains) le 15 août 1976. Il a enseigné la philosophie à l’Université du Burundi depuis 1976 comme assistant et ensuite à partir de 1988 jusqu’en 2017 comme chargé de cours et professeur. Il est Professeur émérite de l’université du Burundi depuis 2017. Il a également enseigné à temps partiel dans les Grands séminaires de Bujumbura et Burasira et dans quelques universités privées. Il est membre fondateur et représentant légal de l’Université de Mwaro depuis 2001. Parallèlement à sa carrière d’enseignant, il a eu beaucoup de responsabilités dans sa congrégation religieuse et à la Conférence des Evêques Catholiques du Burundi.

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