Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Fréderic Gateretse Ngoga.
Votre qualité principale ?
L’optimisme
Votre défaut principal ?
L’impatience, car je suis exigeant avec moi-même et avec les autres.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
La compassion
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
La méchanceté gratuite
La femme que vous admirez le plus ?
Je n’admire pas une seule femme mais plusieurs, à commencer par celle qui m’a mis au monde : ma mère qui est une femme de fer avec un cœur d’or ; ensuite mon épouse et mes sœurs qui sont des « femmes puissantes avec des personnalités bien affirmées », et toutes les valeureuses femmes africaines qui se battent pour un monde meilleur.
L’homme que vous admirez le plus ?
Mon grand-père, Basile Gateretse. Il est mort 23 jours exactement après ma naissance, mais son esprit a fortement marqué de son empreinte l’éducation de ses petits-enfants. Il reconnaissait l’humanité en chaque être humain et détestait l’injustice sous toutes ses formes.
Il a risqué sa vie pour protéger “ibirema vy’Imana” comme il appelait chaque être humain. Il était profondément croyant et ne supportait pas que l’on porte atteinte à la vie d’autrui. Je n’ai appris que plus tard le rôle qu’il avait joué en 1972 en sauvant la vie notamment de feu Président Cyprien Ntaryamira, François Ngeze et Albert Maniratunga, entres autres.
Je porte d’ailleurs toujours sur moi un bracelet qui reprend sa devise : “J’aimerai toujours mon Dieu, ma patrie et ma famille” (dans cet ordre). Mon père, mes oncles et mes tantes nous ont toujours répété que grand-père disait qu’aucun homme n’est supérieur à un autre. Et c’est profondément ancré en moi.
S’il était encore en vie, il serait vraiment triste de voir comment les Burundais sont divisés aujourd’hui, lui qui ne voyait que deux catégories de gens : les nantis et les défavorisés.
Qui aimeriez-vous être ?
Aventurier, gentleman, joueur comme Phileas Fogg, dans le Tour du Monde en 80 Jours de Jules Verne.
Votre plus beau souvenir ?
La naissance de notre fille.
Votre plus triste souvenir ?
La mort de deux de mes cousins assassinés dans les tragédies qu’a connues le Burundi.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Je ne me prononce pas sur mon plus grand malheur, ça reviendrait à l’invoquer.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
Si je remonte dans le passé, ce serait la défaite de Rumaliza, un esclavagiste. Et plus récemment, la qualification d’Intamba mu Rugamba pour la CAN 2019. C’était incroyable de voir le peuple burundais habituellement divisé, ressentir la même fierté d’être burundais. Cela renforce ma conviction que nous pouvons aller au-delà de nos clivages et accomplir des merveilles pour notre patrie.
Nous devons tous rêver et voir grand pour notre pays, notre région et notre continent. Je suis convaincu de l’énorme potentiel de notre population.
Chaque Burundais doit se projeter dans le futur et œuvrer au bien commun, seule voie vers un pays prospère. Cela devrait être inculqué aux enfants dès le plus jeune âge, dans les familles et dans les écoles. Je suis persuadé que nous pouvons aspirer à plus et que nous sommes capables avec beaucoup de travail de surpasser d’autres pays dans la région. Une citation de Nelson Mandela assez pertinente et l’une de mes préférées dit: “Your playing small does not serve the World. Who are you not to be great?” En effet, qui détermine jusqu’où nous pouvons aller sinon nous-mêmes?
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 1er juillet 1962
La plus terrible ?
Il y en a deux : Les assassinats du Prince Louis Rwagasore, le 13 octobre 1961 et du Président Melchior Ndadaye, le 21 octobre 1993 et tous les événements qui en ont été la conséquence. Et je ne parle même pas des autres dates tristes et sombres de notre histoire: 1965, 1972, 1988, 1993, 2015 et j’en passe. Chaque fois qu’un Burundais meurt pour des raisons politiques, nous y perdons tous un peu de notre âme.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
Diplomate, ce que je fais actuellement! Winston Churchill disait que “la diplomatie c’est l’art de dire la vérité sans offenser.”
Votre passe-temps préféré ?
La lecture. Je lis en ce moment “Africa – Altered States, Ordinary Miracles” de Richard Dowden. Ce livre me parle car il raconte la résilience du peuple africain dans son ensemble et de l’énorme potentiel humain que renferme le continent.
Votre lieu préféré au Burundi ?
Les plages du Lac Tanganyika! Je suis un enfant de l’Imbo, de Bujumbura en particulier, et ce lac est symbole de bonheur, de rires et de merveilleux souvenirs d’enfance.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Le Burundi, car “there is no place like home”!
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Visiter toutes les extrémités du continent : le Cap de Bonne Espérance, l’île de Gorée, Gilbratar, Ras Hafun en Somalie.
Votre rêve de bonheur ?
La paix entre les hommes.
Votre plat préféré ?
L’isombe et les bananes plantains.
Votre chanson préférée ?
Il y en a plusieurs, mais il y en a qui une me vient à l’esprit: “Ewe Burundi” de Canjo Amissi
Quelle radio écoutez-vous ?
Plusieurs mais avec une préférence pour Africa n°1.
Avez-vous une devise ?
Deux « Allier le pessimisme de l’intelligence avec l’optimisme de la volonté », Bergson et « Ma seule tribu, c’est l’humanité » c’est de moi.
Votre souvenir du 1er juin 1993 ?
J’avais 13 ans. La maison du directeur de campagne du candidat du FRODEBU était voisine de la nôtre et j’ai eu l’occasion de serrer la main du Président Ndadaye. Un grand moment pour un gamin et surtout le souvenir d’un homme que j’aurais aimé connaître car on sentait chez lui un amour sincère pour son pays et son peuple.
Votre définition de l’indépendance ?
La capacité pour les Burundais de décider de leur destin et de surtout apporter leur contribution à l’aventure humaine dans son ensemble.
Votre définition de la démocratie ?
Le gouvernement du peuple par le peuple dans le respect des droits et devoirs de tout un chacun envers la collectivité.
Votre définition de la justice ?
La lutte contre l’impunité qui gangrène notre pays depuis des décennies et qui empoisonne les relations entre les burundais. Elle a entraîné des replis identitaires néfastes qui nous empêchent d’avancer. Il est vital de faire la lumière sur TOUS les crimes qui ont été commis au Burundi depuis l’indépendance à nos jours. Cela permettra de combattre les solidarités négatives qui se sont créées. Je trouve que toutes les douleurs se valent. Je reviens à ce que disait toujours, mon grand-Père, Basile Gateretse: “Nta muntu asumba uwundi. Murundi ababaye tubabara twese.
«
Si vous étiez ministre des Affaires Etrangères, quelles seraient vos deux premières mesures ?
Le lancement d’un programme de renforcement des capacités des diplomates burundais et d’amélioration leurs conditions de travail.
Orienter notre ministère davantage vers la diplomatie économique afin d’attirer les investissements étrangers pour créer des emplois pour nos jeunes qui en ont tant besoin pour leur épanouissement.
Au-delà de ces deux mesures, ma philosophie générale en tant que ministre des affaires étrangères s’inspirerait de cette phrase de Winston Churchill « jaw-jaw is better than war-war » (il vaut mieux discuter que d’en venir aux poings).
Si vous étiez ministre de la Défense, quelles seraient vos deux premières mesures ?
Une bonne armée doit disposer d’une excellente formation ouverte à tous indépendamment de leur origine, de bons équipements à la pointe et faire preuve d’un patriotisme à toute épreuve. J’insisterais particulièrement sur la nécessité d’une idéologie basée sur le bien commun et la sécurité humaine. D’un point de vue pratique, je privilégierais :
Un programme d’apprentissage des langues et cultures régionales afin d’améliorer l’insertion des forces armées dans le tissu local et régional, et même international.
Doter le Burundi d’une nouvelle doctrine stratégique au regard des nouvelles menaces auxquelles nous faisons face, et de nos engagements internationaux et panafricains.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Oui. Mais je n’oublie jamais Confucius : « La nature humaine est mauvaise.»
Pensez-vous à la mort ?
Oui, de temps en temps.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
« J’ai fait de mon mieux, pardonne-moi ».