Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Fidélité Ishatse.
Votre qualité principale ?
La franchise.
Votre défaut principal ?
L’impatience.
La qualité que vous aimez chez les autres ?
La transparence.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
L’hypocrisie.
La femme que vous admirez le plus ?
Pas une, elles sont nombreuses. Ce sont ces femmes inconnues des projecteurs, mais auxquelles la société doit beaucoup. Un nourrisson sur le dos, panier sur la tête, elles sillonnent Bujumbura tout au long de la journée sous un soleil de plomb à la recherche des clients pour leurs fruits et légumes, afin de subvenir aux besoins de leurs familles. Les enfants qu’elles élèvent à la sueur de leur front sont l’avenir du pays. En soutenant leurs efforts, nous contribuons à la réduction du nombre d’enfants en situation de rue ou toute autre forme de délinquance juvénile.
L’homme que vous admirez le plus ?
J’admire toute personne de sexe masculin sensible au genre. Quand le Burundi aura beaucoup d’hommes sensibles aux questions relatives à la promotion du genre, j’ai la ferme conviction que le principe d’équité et d’égalité en matière de droits entre homme et femme sera un acquis.
Votre plus beau souvenir ?
La naissance de mon fils aîné.
Votre plus triste souvenir ?
Le 8 octobre 2016, j’ai été arrêté à Rutana, au sud du pays, comme une criminelle en plein exercice de mon métier.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Etre obligée de faire quelque chose allant contre ma conscience.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
Un pays qui pleure l’assassinat du héros de l’indépendance en 1961. Paradoxalement, ses orphelins et sa veuve disparaissent dans des conditions mystérieuses non encore éclaircies jusqu’à nos jours.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 28 août 2000, lors de la signature de l’Accord d’Arusha. Ce jour-là, le Burundi a franchi un pas de géant vers la réconciliation à travers une politique inclusive.
La plus terrible ?
Le 22 octobre 1993. Comme d’autres milliers de Burundais, ma famille du côté maternel a été décimée.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
Je suis journaliste et c’est ma passion.
Votre passe-temps préféré ?
La lecture ou un film.
Votre lieu préféré au Burundi ?
La région de Mugamba. L’air frais, les montagnes et la verdure me poussent à remercier Dieu de nous avoir donné un beau pays.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Aucun, le Burundi me plaît. Certes, je voudrais qu’il y ait plus de stabilité sur le plan sécuritaire, politique et économique, que ce soit un pays qui offre une égalité de droits et d’opportunités. En dépit de tout cela, aucun autre pays au monde ne me donnera davantage la sensation d’être chez moi.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
L’Egypte. Etre au cœur de la grandeur de sa civilisation antique.
Votre rêve de bonheur ?
Le jour où la Burundaise aura le droit à la succession au même degré que son frère, tel que stipulé dans l’article 13 de la Constitution : « Tous les burundais sont égaux en mérite et en dignité. Tous les citoyens jouissent des mêmes droits et ont le même droit à la protection de la loi. Aucun citoyen ne sera exclu de la vie sociale, économique ou politique de la nation du fait de sa race, de sa langue, de sa religion ou de son origine ethnique. »
Votre plat préféré ?
La patte de manioc et le mukeke.
Votre chanson préférée ?
A tous ceux qu’on aime de Fréderic François.
Quelle radio écoutez-vous ?
RFI et les stations locales ayant une couverture nationale et qui ont le service de rédactions dans leur cahier de charge.
Avez-vous une devise ?
Trouver toujours la lumière au bout du tunnel.
Votre souvenir du 1er juin 1993 (jour de l’élection de Ndadaye) ?
A l’époque, je n’étais qu’une gamine. Je n’ai pas beaucoup de souvenir, sauf qu’en grandissant j’ai pu découvrir les réalisations de Ndadaye à travers les livres, les documentaires et les témoignages de ceux qui l’ont fréquenté. Parmi les choses qui m’ont marquée, c’est le fait qu’il fut le président le plus féministe que le Burundi ait jamais connu. A l’époque la Constitution était muette sur la place de la femme dans le gouvernement. Cela ne l’a pas empêché de nommer une femme Premier ministre. La première femme gouverneur a vu le jour sous Ndadaye. Il a aussi brisé le tabou en autorisant l’accès des filles à l’ISCAM. A voir ces réalisations en trois mois, je me demande quelle place occuperait aujourd’hui la femme au Burundi, si on lui avait laissé la chance de terminer au moins un mandat.
Votre définition de l’indépendance ?
Être capable de détecter ce qui est le mieux pour soi et le pouvoir de faire des choix personnels dans le respect des droits d’autrui.
Votre définition de la démocratie ?
L’interaction entre le peuple et le gouvernement. D’une part, c’est le pouvoir du peuple qui met en place ses dirigeants, qui contrôle leurs actions, qui décide de les maintenir à leurs postes en cas de mérite ou de les destituer dans le cas contraire. D’une autre part, c’est quand les dirigeants sont conscients qu’ils sont au service du peuple auquel ils doivent rendre compte.
Votre définition de la justice ?
C’est un concept qui se rapporte au respect du droit, d’égalité et d’équité. Ces principes resteraient des idéaux, aussi longtemps que le judiciaire serait sous la coupe de l’exécutif.
Si vous étiez ministre en charge des Médias, quelles seraient vos deux premières mesures ?
Initier un cadre d’échanges permanant entre les professionnels des médias et les autorités administratives, notamment les porte-paroles, pour asseoir un climat de confiance, perdu après la crise de 2015.
Au Burundi, les sourds-muets n’ont pas de place dans la presse audio-visuelle. Si j’étais ministre de l’Information, je sommerais les responsables des médias de mettre sur pied un programme d’interprétation pour que les sourds-muets aient accès à l’information.
Si vous étiez ministre du Genre, quelles seraient vos deux premières mesures ?
Sortir des tiroirs et actualiser le projet de loi sur la succession jeté dans les oubliettes.
Initier un projet de loi contraignant les services publics et privés à prendre en compte les quotas des femmes prévus dans la Constitution.
Qu’est-ce qui vous a marquée dans votre parcours de journalisme ?
La noblesse et la délicatesse de ce métier. Nous sommes la voix des sans voix, nous sommes un pont entre le pouvoir et le peuple. C’est toujours un plaisir de faire un reportage et d’être un témoin de son impact dans la société. Toutefois, le journalisme est une arme à double tranchant. Il peut être au service de la paix et la réconciliation ou devenir un instrument de division qui attise la haine. Et la région des Grands Lacs en est témoin.
Pensez-vous à la mort?
J’y pense souvent et cela m’amuse. La mort est parmi les rares faits du monde conçus dans le principe d’égalité. Bourreau ou victime, riche ou pauvre, paysan ou citadin, blanc ou noir… personne n’y échappera. Chacun partira, quand son tour viendra.
Si vous comparaissiez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Merci pour ta patience et ta miséricorde envers l’humanité.
Propos recueillis par Clarisse Shaka