Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Eulalie Nibizi.
Votre qualité principale ?
L’empathie
Votre principal défaut ?
L’impatience
La qualité que vous préférez chez les autres ?
Le respect de la parole donnée
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
L’égocentrisme
L’homme que vous admirez le plus ?
Mon beau-père (aujourd’hui décédé)
La femme que vous admirez le plus ?
Ma tante paternelle Njerina
Votre plus heureux souvenir ?
Dans les années 1971-1972, chaque matin, mon père me portait sur ses épaules pour me faire avancer quelques kilomètres vers l’école en attendant le lever du soleil, car j’étudiais à plus de 10 kilomètres de mon domicile.
Votre plus triste souvenir ?
Les derniers moments de vie de mon cher époux
Quel serait votre plus grand malheur ?
Mourir éloignée des miens (elle vit en exil NDLR)
Le plus haut fait de l’histoire
burundaise ?
La conquête de l’indépendance
Le métier que vous aimeriez exercer ?
Médecin
Votre passe-temps préféré ?
Le sport et la chanson. J’aime particulièrement écouter d’anciens morceaux de musique qui me rappellent ma jeunesse.
Votre lieu préféré ?
Les eaux thermales du Burundi
Le pays dans lequel vous aimeriez vivre ? Pourquoi ?
Le Burundi. C’est ma patrie, il y fait bon vivre, son climat et sa verdure reposants ainsi que l’humanisme de sa population, quand la politique ne s’en mêle pas, sont inégalables pour moi.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Mombassa (Kenya)
Votre rêve de bonheur ?
Jouir de ma liberté de citoyenne au Burundi, protégée par la loi et des dirigeants aux mains propres qui respectent le peuple
Votre plat préféré ?
La pâte de maïs grillée et le lait caillé (Amakuyano) ou à défaut, le yaourt (Ikivuguto)
Votre chanson préférée ?
Notre hymne national ‘’Burundi Bwacu’’ qui me met en émoi par nostalgie. J’adore aussi la chanson gospel ‘’Sur le chemin de la vie sois ma lumière’’. Elle me détend et brise ma solitude.
Quelle radio écoutez-vous ?
Isanganiro et la BBC Gahuzamiryango
Votre devise ?
Être utile aux autres et tenir parole
Votre définition de l’indépendance ?
Un peuple souverain, qui utilise ses droits comme élire et révoquer ses dirigeants, demander des comptes aux élus en toute sérénité et par voie de conséquence, respecté et même craint par les élus.
Vous êtes-vous toujours destinée au métier d’enseignant ?
Oui
Comment êtes-vous devenue enseignante ?
Quand j’ai terminé le tronc commun (Cycle inférieur des Humanités), les meilleurs élèves étaient orientés vers l’école Normale. J’étais fière de mon orientation et surtout de mon école, l’école Normale Pilote de Rusengo en province Ruyigi qui, d’après ce que m’en disait mon père, dispensait une éducation de qualité. Je n’ai pas été déçue par ses conseils, car il n’y a pas plus édifiant qu’enseigner et tirer un enfant de l’ignorance pour en faire quelqu’un d’instruit et d’intègre.
Qu’est-ce qui vous a mené au syndicalisme?
Deux grands moments m’ont poussée sur le chemin du syndicalisme :
En 1982, le salaire humiliant de l’un de mes meilleurs enseignants de l’école primaire m’a engagée à faire quelque chose sans vraiment savoir quoi à ce moment-là.
Depuis 1987, quand j’ai réintégré le service, après les études universitaires, j’ai expérimenté la vie dure et la lourde responsabilité des enseignants, qui contrastent avec l’ingratitude des autorités. Je me suis alors engagée à défendre les enseignants qui étaient victimes d’injustice dans mon école et finalement, j’étais sollicitée pour aider dans la rédaction des recours administratifs.
Ces initiatives m’ont valu d’être élue représentante de mon école pour participer au processus de mise en place des syndicats des enseignants avec la naissance du mouvement syndical indépendant. C’est ainsi que j’ai été élue au comité national du syndicat STEB au cours de son 1er congrès national d’avril 1992 et que par la suite j’ai occupé le poste de présidente nationale depuis 1998.
La formation syndicale que j’ai reçue en août 1994 m’a donné des ailes, car elle m’a éclairée sur la formulation des revendications et les négociations syndicales
Que retenez-vous de cette période-là ?
De bons souvenirs liés à la détermination de mes compagnons de lutte et une déception par ceux qui ont en main la destinée de la Nation.
J’ai particulièrement une forte admiration pour le corps enseignant et ses représentants syndicaux de la base qui, malgré les menaces, ont accepté de s’engager pour défendre leur dignité.
Je garde aussi en tête le charisme de l’ancien vice-président et président de la République (2001-2005), Domitien Ndayizeye, qui a accepté des négociations formelles avec les syndicats jusqu’à la signature et au suivi de l’Accord entre le gouvernement et les syndicats signé le 4 juillet 2002 avec les parents comme médiateurs.
Enfin, l’engagement sans faille de la Ligue des droits de l’homme Iteka à nos côtés me fait toujours chaud au cœur. Sans oublier ses interventions pour la libération des syndicalistes détenus illégalement, notamment le 20 octobre 1997.
Avez-vous eu des moments de désespoir ?
Bien sûr. Quand je voyais la fuite en avant des dirigeants qui investissent dans des actes de dénigrement pour affaiblir les syndicats au lieu d’assumer leurs responsabilités inscrites dans la Constitution et les différentes lois.
Le rôle nocif de la politisation des revendications syndicales qui a contribué à la division du mouvement et a fragilisé le suivi et la pérennité des acquis contenus dans différents accords.
Également, la démission des parents d’élèves de l’école publique. Ils faisaient semblant d’ignorer à quel prix leurs enfants sont instruits.
2002 fut un tournant dans votre lutte syndicale. Racontez-nous.
J’étais parvenue à décrocher un accord formel durable entre le Gouvernement du Burundi et les syndicats des enseignants signés le 4 juillet 2002. Une grande fierté pour moi et mes compagnons de lutte.
Cette convention sectorielle est un acte durable sur lequel les syndicats continuent à bâtir leurs revendications 20 ans après sur toutes les questions déterminantes de la condition enseignante, statutaires et non statutaires, en partant du salaire au recrutement jusqu’à la pension avec l’ONPR, l’accès au logement, la gratuité des frais scolaires de leurs enfants jusqu’à la participation dans les processus de décision au sein du système éducatif.
Je tiens aussi à signaler que cet Accord a accouché de la Fondation pour le logement des enseignants (FLE).
En 1997 et 2004, vous avez connu la prison. Que s’était-il passé ?
A chaque fois, les syndicats avaient soumis des revendications pour améliorer la condition des enseignants et le Gouvernement n’a pas donné suite.
Le 20 octobre 1997, je dirigeais une assemblée générale d’évaluation du mouvement de grève qui venait de durer une semaine. La police m’a arrêtée avec mes compagnons de lutte qui codirigeaient la réunion et nous a conduits sous bonne escorte aux cachots de la police de sécurité publique à Kigobe. Nous avons subi un long interrogatoire et accusés d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat. Nous avons été libérés grâce à une mobilisation syndicale internationale et l’intervention locale de la Ligue des droits de l’homme Iteka. Le 9 mars 2004, les enseignants étaient en grève depuis plus d’un mois pour amener le gouvernement à négocier sur le suivi de l’Accord signé le 4 juillet 2002 qui accusait du retard. J’ai été arrêtée avec un camarade président d’un syndicat frère alors que je dirigeais une assemblée générale des membres. J’ai subi un interrogatoire au Bureau Spécial de Recherche (BSR), puis conduite au Service National des Renseignements (SNR) pour un autre interrogatoire. Nous avons été détenus jusqu’à 19 heures où un ordre de la Présidence de la République nous a fait libérer avec obligation de comparaître chaque mardi jusqu’au mois de juin. J’étais accusée d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat.
Que faut-il faire pour revaloriser le métier d’enseignant ?
Respecter les enseignants en changeant le narratif sur les enseignants et leur accorder une place centrale dans tout processus de la politique de l’éducation ;
Mettre en place, en concertation avec les syndicats, un plan de carrière avec des salaires motivants.
Des envies de retour au bercail ?
Très fortes
Si vous étiez ministre de l’Education, quelles seraient vos grandes initiatives ?
Mettre en place le Conseil National de l’Education pour piloter le système éducatif;
Engager le dialogue avec les parties prenantes (Syndicats d’enseignants, professionnels de l’éducation, communautés partenaires techniques et financiers, etc.) pour mettre en place une politique nationale de l’éducation ;
Freiner l’élan de l’évolution de l’école fondamentale jusqu’à l’obtention des moyens humains et matériels pour réussir cette réforme.
Un conseil pour ceux et celles tentés par le métier d’enseignant ?
Enseigner est une profession exigeante, mais très émouvante si on y met amour et énergie. Il demande du sacrifice, mais le succès de chaque élève est une fierté pour son enseignant. C’est une profession qui exige des syndicats forts et capables de négocier des accords durablement bénéfiques pour les enseignants et la nation entière.
Croyez-vous-en la bonté de l’Homme ?
Oui
Pensez-vous à la mort ?
C’est la fin des souffrances, mais aussi un mystère dont le bon Dieu se réserve l’heure et la raison. Nous devons apprendre à la préparer avec sérénité en faisant la paix avec nous-mêmes et en étant utile a l’humanité.
Propos recueillis par Alphonse Yikeze
Oui il faut avoir la sagesse d’écouter sa population, ses professionnels. Le bras de fer ne s’accompagne que par des catastrophes et des pertes finalement inutiles. Nous devrions en tirer des leçons. Quant malheureusement on en arrive à prendre les armes, c’est que c’est trop tard. Le pouvoir actuel en sait quelque chose. Il devrait donc être à l’écoute.
Waouh,une super femme, courage chère Eulalie Nibizi,tu es vraiment un bon exemple pour la nouvelle génération…..
En 2002 il y a eu grève des enseignants pendant un mois et j ai pu regarder la coupe du monde avec des matchs pendant la journée dans la tranquillité totale. J’ai gardé en mémoire que je devais ça à Madame Eulalie Nibizi dont le nom et le prénom me sont restés en mémoire car c’est elle qui passait souvent à télévision. Merci Madame