Lundi 23 décembre 2024

Culture

Au coin du feu avec Espérance Nijembazi

15/08/2020 Commentaires fermés sur Au coin du feu avec Espérance Nijembazi
Au coin du feu avec Espérance Nijembazi

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Espérance Nijembazi.

Votre qualité principale ?

Je suis tolérante.

Votre défaut principal ?

Un peu sceptique. J’ai cette fâcheuse tendance d’émettre toujours des doutes, même pour des choses simples.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

L’honnêteté, la franchise.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

Le mensonge, la tricherie. Par-dessus-tout, je déteste les gens adeptes du double langage. Ne dit-on pas que « le mensonge est la mère de tous les vices » ?

La femme que vous admirez le plus ?

J’en admire plus d’une ! Au Burundi, je citerai l’ex-première Dame du Burundi, Denise Nkurunzira. Sa simplicité, son franc parler et ses discours combien éducatifs m’ont beaucoup touchée. Ailleurs, je citerai Ellen Johnson, l’ancienne présidente de la République du Libéria et Hillary Clinton qui fut candidate à la présidence des Etats Unis d’Amérique.

L’homme que vous admirez le plus ?

Sans hésitation, mon père. Un vrai mentor. Un self-made man par excellence. Parti de rien, il a travaillé dur jusqu’à se hisser à la tête d’une entreprise dont il fût un des principaux actionnaires. Je ne manquerai pas de citer Martin Luther King. Son célèbre discours : « I have a dream » reste une source d’inspiration pour moi.

Votre plus beau souvenir ?

Les stages effectués à la RTNB. En 1988, alors étudiante à l’Ecole de Journalisme de Bujumbura, c’était édifiant de se retrouver en face des journalistes chevronnés, à l’instar de feu Laurent Ndayuhurume, Liliane Sebatigita, Perpétue Nshimirimana, Clément Kirahagazwe, Pierre Claver Ndayicariye, Athanase Ntiyanogeye, Anselme Katiyunguruza, feu Antoine Ntamikevyo, Karenga Ramazani, Makambira Athanase, Athanase Ntiruhangura, Kazungu Lozi, etc.

Votre plus triste souvenir ?

Novembre 1995. J’ai quitté le toit conjugal pour effectuer un stage professionnel de 10 mois au Sénégal. C’était par rapport à la santé familiale avec un accent particulier sur la Communication comportementale. A l’époque, mon deuxième enfant était âgé d’une année et huit mois. Je me souviens que dans l’avion, je n’ai pas cessé de pleurer. Ce qui a attiré l’attention de certains passagers. Plus pénible, à quelques jours du départ, ma défunte mère n’arrêtait pas de me décourager : « Aho ugire ute umugabo n’abana ngo ugiye kwiga ? (Tu laisses ton mari et tes enfants à cause des études ?») Cette phrase résonnait souvent dans ma tête…Pour être honnête, il en a fallu de peu que j’abandonne ce stage. Le pire est arrivé à mon retour. Mon fils m’avait oublié. Il était plus attaché à la bonne. Le cœur brisé, je n’en revenais pas ! Heureusement après des jours ensemble, on s’est de nouveau apprivoisé….Oh la séparation est toujours difficile !

Quel serait votre plus grand malheur ?

Partir à la retraite sans avoir planifié mon futur. Je souffre quand je vois des retraités, à longueur de journée tourner les pouces ou jouer aux cartes…

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

Le sacrifice de Bihome. Un signe éloquent de bravoure, de patriotisme…

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

Le 1er juillet 1962, date de la proclamation de l’indépendance du Burundi. Je n’étais pas encore née. J’essaie de m’imaginer la fierté et la joie ressenties ce jour-là.

La plus terrible ?

Le 29 avril 1972 : une des dates les plus sombres de l’histoire du Burundi. Deux tristes évènements en un seul jour : assassinat de Ntare V et le massacre de milliers de personnes. Quand on dit qu’il faut faire attention aux enfants, ce n’est pas anodin. J’étais une écolière de 8 ans. Je me rappelle qu’on nous a arraché un de nos instituteurs en pleine leçon. Dans la classe, c’était la stupeur. Après, on s’est dispersé … Innocents, on ne comprenait rien de ce qui se passait.

Le métier que vous auriez aimé exercer ?

Pour être au service des personnes dont les droits sont bafoués (surtout les femmes, les orphelins), j’aurai bien aimé être avocate.

Votre passe-temps préféré ?

Je consacre mon temps libre à ma famille : on se raconte des nouvelles, des blagues souvent accompagnées des éclats de rire. J’adore aussi m’occuper des travaux ménagers. Je rate rarement les éditions télévisées nationales ou étrangères.

Votre lieu préféré au Burundi ?

J’ai un faible pour l’air frais de l’intérieur du pays, surtout celui de Bugarama est d’une tout autre qualité. Ressortissante de Bukeye, ce lieu me rappelle les souvenirs de mon enfance. Difficile de ne pas y passer quand je monte.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Le Burundi, mon pays natal. En 2008, dans le cadre d’un programme dénommé « International Visitor Leadership Program » on « Edward R. Murrow Program for Journalists », j’ai visité les Etats-Unis d’Amérique. A mon retour, j’ai été surprise par les propos des gens qui s’étonnaient que je sois rentrée au bercail.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Comme chrétienne, j’aimerais faire un pèlerinage en Israël. Ayant déjà visité certains pays d’Afrique, d’Europe et d’Amérique, j’ai une folle envie de fouler le continent asiatique. Et la Chine serait ma 1ère destination.

Votre rêve de bonheur ?

Vivre en paix tout en menant une vie décente.

Votre plat préféré ?

Je n’ai pas de préférence particulière. Cependant, du bon haricot sec mélangé au manioc (doux) me tente. Je raffole également du mukeke (du lac Tanganyika), surtout quand il est grillé.

Votre chanson préférée ?

« Sous le vent » de Céline Dion et Garou.

Quelle radio écoutez-vous ?

Radio Nationale, Isanganiro, RFI et Voix d’Amérique.

Avez-vous une devise ?

Rester soi-même quelles que soient les circonstances.

Depuis le début de votre carrière professionnelle, quel est votre plus grand regret ?

Celui de n’avoir pas encore réalisé mon rêve : créer un journal pour femmes (style « Amina »)

Votre souvenir du 1er juin 1993(le jour où le président Ndadaye a été élu) ?

Je me rappelle la marée humaine dans une joie euphorique à travers tout le pays. La soif du changement était perceptible chez les uns, et la déception chez les autres.

Trouvez-vous les femmes suffisamment représentées dans les instances de prise de décisions du pays ?

Pour les postes concernés par la disposition constitutionnelle en rapport avec le quota de 30%, la femme est prise en compte. Cependant, il y a lieu d’avoir plus. L’essentiel est cette volonté politique manifeste de la prise en compte du genre comme un levier important du développement. En ce qui concerne les autres postes, la sous-représentation des femmes dans les structures publiques et privées reste remarquable. La représentation féminine doit s’accroître dans tous les domaines (politique, économique et socio culturel).

Actuellement, la préoccupation concerne la représentativité des femmes au niveau collinaire. Attendons de voir les résultats des élections du 24 août. Ainsi, nous aurons une vision globale et détaillée de la prise en compte de la femme burundaise dans les élections de 2020.

Revoir une société civile active, soudée au Burundi, est-ce possible?

Pour le moment, l’essentiel est de bien cerner la définition de la société civile. Et ce d’autant plus que devant la loi, la plupart des Asbl ou autres organisations servent la population. Ceci dit, je trouve qu’il est inutile de s’exclure mutuellement. Au cours des dernières élections, par exemple, les organisations féminines ont travaillé main dans la main dans le cadre de la campagne « Aller au-delà de 30% ». C’est un signe éloquent d’un rapprochement vers ce que vous appelez société civile active, soudée. Pour me résumer, je pense qu’il faut laisser le temps au temps, les choses suivront.

Une femme comme président de la République, un vœu pieux?

Difficile à dire. Toutefois, nous devons nous féliciter du pas franchi. Nous avons déjà eu une femme à la tête de l’Assemblée nationale, une femme comme 2e Vice-Présidente et une autre au poste de premier Ministre. Actuellement, une femme fait partie du bureau de l’Assemblée nationale. Je reste donc optimiste. Cela prendra quand même du temps, mais « quand on veut, on peut », dit-on. Espérons que cette heure viendra.

En tant que représentante légale du Cafob, trouvez-vous opportun le fichage ethnique dans les ONG?

Tout dépend de l’objectif. Que les différentes ethnies, sensibilités politiques soient prises en compte dans les différents secteurs, c’est vraiment une bonne chose. A ce niveau, la Loi fondamentale est notre guide. L’esprit de l’Accord d’Arusha ne doit pas s’éteindre.

Votre définition de l’indépendance ?

Que chaque citoyen se sente libre de vivre dans la sérénité, de jouir pleinement de ses droits et de ses biens, de vaquer à ses occupations quotidiennes sans peur aucune.

Votre définition de la démocratie ?

Liberté de faire un choix politique sans contrainte aucune.

Votre définition de la justice ?

Lutte contre l’impunité, procès équitable, droit de se faire assister par un avocat, indépendance de la magistrature, etc.

Si vous étiez ministre de la Planification, quelles seraient vos mesures urgentes?

Exiger de tous les décideurs de la vie publique l’élaboration des programmes qui prennent en compte les principaux besoins de la population.

Si vous deveniez ministre de la Communication, quelles seraient vos premières mesures ?

-Améliorer le processus de recrutement dans les médias. Et ce, en faisant passer des tests de façon transparente.

-Régulièrement organiser des stages de recyclage à l’endroit des journalistes afin qu’ils restent à jour par rapport aux règles et déontologie du métier.

-Mettre en place des mesures permettant la prise en compte du genre dans les instances de prise de décision au sein des médias (si c’est possible 30% pour les postes non électifs.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

Bien sûr. Il existe des personnes bénies, sensibles aux souffrances des autres. S’il n’y avait pas de bonté humaine, on vivrait l’enfer.

Pensez-vous à la mort ?

Avec l’apparition des maladies comme la Covid-19, on peut s’attendre à tout. De toute façon, c’est un passage obligé, l’essentiel est de mourir dans la dignité.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

Mon Dieu je vous aime tant !

Propos recueillis par Hervé Mugisha

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Bio-express

Native de la zone urbaine de Nyakabiga (à l’époque Fonds d’avance), Espérance Nijembazi est née le 8/9/1963. Très passionnée par le journalisme, l’ancienne élève de l’ENF de Gitega délaisse l’enseignement pour se consacrer à sa nouvelle passion. Le temps de se perfectionner à l’école de Journalisme de Bujumbura où elle décroche un diplôme de niveau II, elle est déjà sollicitée. Productrice des émissions variées, Mme Nijembazi bifurquera dans le domaine de la communication pour le changement comportemental. Responsable du service multimédia au Centre d’Information, Education et Communication en matière de Population et Développement (CIEP), un des départements du Ministère de la communication. Tour à tour, membre de la Commission Gouvernementale des Droits de la Personne Humaine (actuelle Cnidh de 2000 à 2003), membre du Conseil National de la Communication (CNC) de février 2008 à février 2011). Très éprise de la cause de la société civile, l’ancienne présidente de l’Association des Femmes Journalistes du Burundi (AFJO) de 2004 à 2008 et Secrétaire Générale de l’Observatoire de l’Action Gouvernementale (OAG) de mars 2014 à 2017, elle est actuellement la représentante légale du Collectif des Associations et ONG Féminines du Burundi (CAFOB). Mme Nijembazi est mère de quatre enfants.

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