Dimanche 22 décembre 2024

Culture

Au coin du feu avec Eric Biribuze

23/03/2024 1
Au coin du feu avec Eric Biribuze

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Éric Biribuze.

Votre qualité principale ?

Faire du bien ; donner sans rien attendre en retour.  Il n’y a pas plus gratifiant que d’aider quelqu’un, être son mentor lorsqu’il est dans le besoin, au mieux d’en extraire le meilleur de lui-même.

Votre principal défaut ?

Très passionné. Lorsque j’entreprends une chose, je ne fais rien à moitié. Ceci fait que des fois, je veuille imposer mes idées aux autres.

Un exemple ?

Je me rappelle d’un jour quand, avec mes frères et sœurs, nous voulions célébrer le 80e anniversaire de notre maman. Éparpillés partout dans le monde, eux, veulent décaler pour que l’on fasse cela en été. Au regard de l’emploi du temps surchargé des uns et des autres, une explication fondée. Mais, je leur ai dit qu’un anniversaire, ça se fête le même jour.

En tant que meneur d’hommes, votre propension à diriger d’une main de fer, est-ce une bonne chose ?

Je pense que dans la plupart des cas, ceci peut être bénéfique. Car, partout, il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui impulse. Sinon, des gens pourront discuter d’une chose sans pour autant déboucher à un consensus. L’idée, c’est d’être le plus efficace. Ce n’est pas que j’impose seulement, bien sûr, j’écoute les idées des autres. Mais, je maximise le temps.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

Honnêteté, accessibilité.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

Le mensonge. L’autre défaut que je supporte mal, ce sont les excuses. Autant avouer que de chercher de fausses excuses.

Votre nom « Biribuze », ça vient d’où ?

En fait, c’est aussi le nom de mon père. Jeune, il était très court de par sa taille. Et dans l’entourage, tout le monde ne cessait de se demander : « Franchement, ce garçon finira-t-il par grandir ? » Des attributs que j’ai hérités puisque je ne suis pas grand par ma taille.  Mais, les gens aiment me taquiner qu’au moins j’ai fini par grandir au vu de ma carrière professionnelle.

Très motivé, très appliqué en classe dès votre bas âge.  Où avez-vous trouvé cette émulation ?

L’encadrement de mon papa y a été pour quelque chose. Il m’a toujours poussé à me surpasser, à donner le meilleur de moi-même. Je me rappelle qu’à Ngagara, quartier 2, où nous habitions, il y avait un bar, nommé chez Bisu. Très fier, il n’hésitait pas à interpeller ses amis en leur montrant son fils, qui est intelligent. Banal, que cela puisse être, cela me motivait davantage. Toutefois, je dois saluer le rôle de ma mère.

Qu’a-t-elle fait ?

Ses conseils résonnent dans ma tête : « Mwana nta muntu akuruta kandi nta numwe uruta » (fils, personne n’est au-dessus de toi, tout comme tu n’es pas au-dessus des autres en kirundi,). Ces mots m’ont tellement aidé pour m’intégrer durant mon cursus scolaire au CND. Ses conseils m’ont permis d’aiguiser mon esprit de curiosité.

Après la fin de vos études secondaires, à 19 ans à peine, tu pars poursuivre tes études en Chine. Comment s’est passé l’adaptation ?

A la grande surprise de mes parents qui avaient déjà émis l’idée de chercher une autre bourse en Algérie, craignant que je ne puisse m’adapter à cause de la langue. Nous devions, en effet, étudier en mandarin, je me suis vite adapté. Comme je suis fasciné par d’autres cultures, je voulais tout apprendre. Orienté dans la Faculté d’hydraulique, j’ai fini par demander ma réorientation pour embrasser la carrière d’ingénieur industriel.

En 2018, tu remportes le BEYA Award (Black Engineer of the Year) pour l’ensemble de ta carrière. Quel a été votre sentiment ?

L’accomplissement, cette reconnaissance que ton travail, tes nuits blanches, n’ont pas été vains. Par-dessus tout, cette consécration a réveillé en moi ce désir de donner le meilleur de moi-même. Au-delà de tout, me rappeler que ce n’est qu’une question de chance quand bien même le travail compte.  Car, rien ne prédestinait un enfant de Ngagara, quartier 2 à devenir ce que je suis devenu. Honnêtement, bien que j’ai été sur mon petit nuage, ce fut un moment de remise en cause.

Récemment, vous avez été primé cette fois-ci pour votre implication dans la communauté. Expliquez-nous.
Après 2018, j’ai créé une fondation sans but lucratif, dénommée STELA Foundation (Science Technology Entrepreneurship Leadership Academy) en 2019.

L’idée, c’est de partager avec les autres, donner cette chance aux autres (ces jeunes) pour exprimer leurs talents. Partant, j’ai lancé un programme pour former les jeunes dans la robotique.  Le programme existe au Rwanda, au Burundi. L’idée, c’est d’initier les jeunes à aimer les sciences et les technologies. Ainsi, grâce à l’appui financier de divers partenaires parmi lesquels la fondation de notre entreprise et autres donateurs, nous avons déjà lancé ce programme à Bururi. Une idée qui a fort agréablement séduit les organisateurs de BEYA. Et pour cette année, le prix va dans le sens de récompenser mon implication dans l’épanouissement intellectuel de la communauté. Et le prix comporte le trophée et la notoriété (visibilité). Contrairement à ce que pensent les gens, il n’y a pas d’argent.

En quoi pareille récompense booste la carrière des lauréats ?

Ce genre de prix est décerné par une grande organisation appelée Career communication Group. Ladite structure fait un focus sur l’épanouissement des Noirs. Ce prix vient alors encourager les gens de la communauté noire américaine pour motiver ceux qui se démarquent afin de montrer aux investisseurs/grandes firmes qu’il y a des talents issus de cette communauté.

Votre point de vue par rapport au secteur éducatif du Burundi ?

C’est la base, la clé pour le développement de tout un pays. A ce niveau, je pense qu’une refonte s’impose.  Il faut plus de moyens, plus d’investissements de la part du gouvernement. Aujourd’hui, il est aberrant qu’un jeune termine le secondaire sans pour autant connaître la capitale du Japon par exemple. C’est vrai que l’idée de former des élèves afin qu’ils soient directement opérationnels sur le marché du travail à la fin de leurs études est bonne. Toutefois, des mesures accompagnatrices s’imposent. Le système éducatif burundais a toujours été l’un des plus compétitifs. Pour ce, j’estime que le ministère de tutelle se doit d’être exigeant avec lui-même.

Plus d’un parlent d’une diaspora burundaise peu soudée, loin de partager les mêmes idéaux. Votre commentaire.
Prenons par exemple des Burundais vivant aux Etats-Unis d’Amérique. Mon constat est qu’effectivement nous sommes peu soudés. Nous avons peu de forums au sein desquels on pourrait échanger. Je ne sais pas si cela est lié aux circonstances dans lesquelles nombreux sont partis. Ce n’est pas tout le monde qui peut voyager comme bon lui semble. Et quand vient le moment d’aider, de contribuer pour le développement du pays, il y a certains qui veulent politiser les affaires. Ce sont donc ces suspicions qui font qu’il y ait manque de cohérence dans l’action. Les initiatives sont là, elles existent. Mais, l’impact n’est pas là à la suite du manque d’organisation.  Comment venir à bout de ce manque d’organisation ? Je pense que les représentations diplomatiques doivent s’impliquer pour une bonne coordination des efforts.

Dans tous les domaines, le Burundi fait face pratiquement à une fuite de cerveaux. Qu’est-ce qui doit être fait pour stabiliser cette « saignée » ?

Il est très normal que chaque personne veuille prester là où son talent est bien reconnu. A ce niveau, il serait important que le gouvernement mette en place un vaste programme de stabilisation des carrières tout en en promouvant la culture du mérite et le reste des règles de procédure (transparence, bonne gouvernance, etc.).

Aux Etats-Unis d’Amérique, quel est le secret chez un Noir pour réussir professionnellement ?

La constance, tu dois t’adapter, t’approprier de la culture de travail. Une donne importante parce que ceci suppose qu’il existe des droits et des obligations, une éthique de travail. L’équation est claire : plus tu travailles moins, moins tu gagnes ! Aussi, il faut avoir cette confiance en tes capacités. Cette confiance doit découler de bonnes performances.

La femme que vous admirez le plus ?

Cette femme royale, respectueuse, drôle, qui aime par-dessus tout sa famille.
L’homme que vous admirez le plus ?
Cet homme prêt à se sacrifier, qui met de côté son honneur pour l’intérêt général.  Nelson Mandela en est le parfait exemple.

Votre plus beau souvenir ?

Lorsque j’ai remporté mon 1er prix pour l’ensemble de ma carrière. En tout cas, il m’a ouvert plusieurs portes.  Je ne savais pas combien cela serait impactant pour ma famille, la suite de ma carrière.

Votre plus triste souvenir ?

Le décès de mon père en 1997. Une mort dont j’ai du mal à me remettre. En effet, cette époque coïncide avec la fin de mes études universitaires. A ce moment, pour tous les sacrifices qu’il a donnés, je pensais qu’il était pour lui le moment de jouir du fruit de mon labeur.

Le métier que vous auriez aimé exercer ?

Manager une équipe de football : recruter, bâtir un noyau, impliquer la communauté. J’ai toujours été passionné par cela. J’aurais également voulu être commentateur de grands événements sportifs. Le journaliste sportif Tharcisse Harerimana était mon idole de jeunesse.

Lorsque survient la crise de 1993, vous étudiez en Chine. Comment avez-vous vécu de loin ces évènements ?

Il faut savoir que je me remettais à peine des événements de Ntega-Marangara de 1988. En 1993, c’était comme si le monde s’effondrait. J’ai été très marqué émotionnellement et psychologiquement. Chaque matin, mon obsession, c’était d’écouter BBC et RFI. Je me levais la peur au ventre à l’idée qu’on m’annonce le matin qu’une proche parenté a été tuée. En tant qu’ancien du CND, j’avais du mal à imaginer comment des amis qui dorment sur un même site puissent s’entretuer.

Comment la communauté burundaise vivant aux Etats-Unis perçoit la question liée à l’ethnie ?

En soi, elle n’y attache pas d’importance puisque certains en parlent ouvertement. Néanmoins, sans le savoir, cette problématique est perceptible à travers les différentes amitiés. Ceci ne veut pas dire que les Hutus et les Tutsis ne peuvent pas être des amis. Néanmoins, je suis convaincu que les Burundais au pays sont plus à l’aise quand il faut parler d’ethnie plutôt que les gens de la diaspora.

Des envies de retour au bercail pour y faire carrière ?

J’ai maintenant 55 ans. Petit à petit, j’approche ma retraite. Contribuer au développement de mon pays, c’est mon grand souhait, surtout que de par l’expérience, le Burundi est un pays avec de pleines potentialités. C’est pour vous signifier que je suis tenté par cette idée. Le Burundi a besoin de construire des industries.

Votre passe-temps préféré ?

Courir. A mon actif, j’ai déjà pris part à neuf marathons.  Certes, je le fais pour entretenir ma santé. Mais, il n’y a pas plus beau que de découvrir la beauté d’une ville en courant.

Aussi, j’aime passer du temps à regarder un match de football avec des amis.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Tout le littoral du lac Tanganyika. Passer un bon après-midi autour du lac, c’est revivifiant.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

L’Australie. Culturellement parlant, la façon de vivre en Australie est similaire à celle des États-Unis. Bien plus, ses terres sauvages me fascinent.

Votre rêve de bonheur ?

Accompagner mes enfants dans leur vie d’adulte.

Votre plat préféré ?

Imizuzu (banane plantain), samboussa, beignets

Votre chanson préférée ?

One love de Bob Marley.

Avez-vous une devise ?

Dans les défis, il faut toujours voir de nouvelles opportunités.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

Absolument. Ma philosophie : c’est d’abord de faire confiance en des gens peu importe ce que les gens te disent. L’expérience aidant, j’ai remarqué que lorsque tu fais confiance, il est rare que les gens te trahissent. Alors que si tu es méfiant, la personne en face devient méfiante aussi.

Pensez-vous à la mort ?

Des fois, oui. Cependant, je vis ma vie sans regrets. Je maximise mon temps pour être utile aux autres de mon vivant.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

Quoi de mieux que de lui témoigner ma gratitude ? Juste un merci pour m’avoir toujours gâté et comblé de tous les bienfaits.

Propos recueillis par Hervé Mugisha

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. HAKIZIMANA

    Bonjour et toutes mes félicitations à IWACU ! C’est pour la première fois que je lis « Au coin du feu » et je tombe heureusement sur Eric BIRIBUZE (fils de Bisu, petit-fils Masaho, arrière-petit-fils de Sebahoge (frère de Barasukana Joseph, mon grand père maternel), …). Je suis donc très ému par cet entretien et cette école vespérale vient de me renvoyer au coin du feu, chez mon père loin à Kiyagayaga (Burambi) où ma mère (Cousine de Masaho), ne cessait de nous raconter les fables et les histoires ancestrales. J’aimerais un jour être un invité à ce forum « Au coin du feu ».

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Bio-express

Actuellement directeur des ventes mondiales de Corning Automotive Glass Solutions (entreprise pionnière dans la fabrication de la fibre optique et des écrans de smartphone), Eric Biribuze est né au Burundi en 1968. Excellent élève durant toute sa scolarité, ses bons résultats lui permettent de décrocher une bourse d’étude en Chine en 1987. En 1992, il obtient avec brio un baccalauréat en génie industriel suivi d’une maîtrise en concentration de systèmes d'information de gestion (SIG) en 1995 à la Northeastern University. Sa soif d’apprendre va l’aider à poursuivre ses études. Grâce à une bourse universitaire, il va faire une maîtrise en Business & administration à l’Appalachian State University. Eric Biribuze rejoint Corning en 1997. Le début d’une ascension fulgurante. Analyste de crédit international à ses débuts, il va gravir les échelons. L'une des plus grandes contributions de M. Biribuze a été de coordonner le lancement réussi d’EDGE (solution produit permettant à Corning d'étendre sa position de leader sur le marché des centres de données et l'adoption des solutions par des clients mondiaux des secteurs bancaire et technologique ainsi que les agences gouvernementales clés).  L’apothéose de sa carrière coïncide avec 2018. Il est récompensé par le prix d’Ingénieur Noir de l’année 2018 aux Etats Unis d’Amérique pour ses réalisations professionnelles dans la catégorie Industrie (Black Engineer of the Year). Eric Biribuze croit dur comme fer qu’il a la responsabilité de rendre à la communauté ce qu’elle lui a donné.  En 2019, il crée la STELA Foundation (Science Technology Entrepreneurship Leadership Academy). Objectif : créer un impact dans la communauté. Une implication qui lui permettra de rafler pour la 2e fois le prix BEYA, cette fois-ci dans la catégorie des acteurs ayant œuvré pour le changement dans leur communauté. Eric Biribuze est père de deux enfants.

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  1. HAKIZIMANA

    Bonjour et toutes mes félicitations à IWACU ! C’est pour la première fois que je lis « Au coin du feu » et je tombe heureusement sur Eric BIRIBUZE (fils de Bisu, petit-fils Masaho, arrière-petit-fils de Sebahoge (frère de Barasukana Joseph, mon grand père maternel), …). Je suis donc très ému par cet entretien et cette école vespérale vient de me renvoyer au coin du feu, chez mon père loin à Kiyagayaga (Burambi) où ma mère (Cousine de Masaho), ne cessait de nous raconter les fables et les histoires ancestrales. J’aimerais un jour être un invité à ce forum « Au coin du feu ».

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