Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Dr Yves Ndayikunda.
Votre qualité principale ?
Bienveillant et honnête.
Votre défaut principal ?
Parfois je suis impatient quand je vois une affaire qui traîne.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
Honnêteté, respect et bienveillance.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
Malhonnêteté, tempérament instable et individualiste.
La femme que vous admirez le plus ?
J’ai deux femmes que j’admire le plus :
Ma mère : nous avons perdu notre papa au moment où nous étions encore enfants. Avec son métier de secrétaire de direction, elle est parvenue à nous éduquer et à nous permettre de poursuivre nos études. Nous, ses huit enfants, plus les enfants des familles élargies.
La seconde est la femme burundaise en général. Elle est résiliente, forte et occupe beaucoup de fonctions dans les ménages et dans la société quoi que rarement reconnue. Des fois je pense que les sociétés matriarcales sont plus justes. Mais nous devons faire un effort de reconnaitre la bravoure de la femme burundaise dans le développement socio-économique des ménages et du pays.
L’homme que vous admirez le plus ?
Idem pour cette question.
Mon père. Enseignant et Directeur d’Ecole primaire, il a aidé beaucoup d’enfants de sa famille élargie pour faire leurs études malgré ses moyens limités. Il me défie dans mon engagement envers la famille élargie.
Nelson Mandela. Il est l’illustration parfaite d’un visionnaire, d’humanité et de la résilience. Quoi qu’il ait consacré toute sa vie à lutter pour la libération de l’Afrique du Sud, deux de ses gestes m’ont touché particulièrement : le pardon accordé à ses oppresseurs et le fait de céder le pouvoir aux autres dans la paix sans s’éterniser au pouvoir.
Votre plus beau souvenir ?
La naissance de mon enfant. Nous l’avons eu après un temps d’attente. Ce fut un événement inoubliable. En plus sa vie m’enseigne sur ma relation avec Dieu. Voir la manière dont je suis toujours disposé à lui pardonner et à la comprendre, ceci me montre combien nous pouvons croire et faire confiance à Dieu malgré nos faiblesses.
Votre plus triste souvenir ?
La mort de mon père.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Ne pas accomplir ce que Dieu a prévu que je fasse sur terre. Contrairement à ce qu’on pense, notre vie est limitée. Chacun devrait se battre pour la consacrer à son bien, au bien des autres, du pays et des autres. Comme dirait Baden P. Quitter cette terre en l’ayant rendu meilleure que nous l’avons trouvée.
Votre plus grand regret ?
En ce moment, mon père serait à la retraite. J’aurais aimé lui rendre son amour par le respect et le service.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
L’indépendance du Burundi. Bien que nous ayons encore un long chemin à faire pour un vrai développement durable qui nous rend plus autonome, je suis heureux que ce soit les Burundais qui choisissent la manière dont il faut se gouverner et définir nous-mêmes les indicateurs de développement que nous voulons. Prenant l’exemple du Plan National de Développement(PND), je pense que c’est une manière de jouir de notre indépendance en opérant des choix qui correspondent à la vision de développement. Cependant, nous devrions faire plus d’efforts pour éviter les crises et guerres afin de se concentrer sur ce développement inclusif et participatif dont tous les Burundais sont fiers et partie prenantes.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
1er juillet 1962, date de l’indépendance pour les raisons évoquées ci-haut.
La date la plus terrible ?
Toutes ces années où il y a eu de terribles massacres, spécialement 1972 et 1993. Mais nous devrions faire un effort apprendre de l’histoire et transformer ces moments sombres en moments de renaissance pour une réconciliation effective.
Le métier que vous auriez aimé exercer ?
Je le fais déjà : communication et formation. Ces deux pour moi sont importants pour faire une personne équilibrée, éclairée pour ne pas être manipulée et une société de femmes et d’homme qui s’apprécient dans leurs différences.
Votre passe-temps préféré ?
Moment de qualité et voyages.
Votre lieu préféré au Burundi ?
Partout en compagnie de personnes agréables et paisibles.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Le Burundi.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Sydney en Australie
Votre rêve de bonheur ?
Contribuer à la cohabitation pacifique des peuples ; être un canal d’opportunités pour les autres et que mon entourage (ma famille, mes amis, mes collaborateurs) se sente rassuré avec moi.
Votre plat préféré ?
Je ne suis pas sélectif. J’apprécie tous les plats du Burundi et ailleurs je m’adapte.
L’engouement pour la faculté de communication va crescendo. Selon vous, quelle en est la cause ?
La communication est une science humaine et elle est transversale. Quel que soit le secteur ou le contexte, la communication joue un rôle important pour vivre en harmonie ; une bonne collaboration au travail. Par exemple, la communication pour le développement est un catalyseur pour asseoir un développement durable, inclusif et participatif. Comme résultats, la population n’est plus bénéficiaire mais partie prenante a son propre développement. En plus, en communication, on note aussi les médias qui sont un canal indispensable pour faire asseoir une démocratie saine et participative. Du point de vue des pays, actuellement une image positive et attractive ne pourrait avoir lieu que par une communication cohérente et bien organisée. Et cela ne peut être fait que par nos professionnels qui fréquentent nos facultés de communication et médias. Bref, l’engouement est justifié par l’ensemble de facilites qu’offre la communication.
Quelle radio écoutez-vous ?
RTNB, Isanganiro, BBC, RFI, Ivyizigiro et les autres lorsqu’il y a une information importante dont je souhaite avoir divers angles avec lesquels les médias la traitent.
Avez-vous une devise ?
En tant que chrétien je vise toujours à vivre en paix avec tout le monde autant que cela dépend de moi. Du reste je me dis souvent ces deux choses : d’une part, j’ai une seule vie à vivre, j’essaie de poursuivre ma passion tout en appréciant et respectant celle des autres. D’autre part, toute personne est importante car tant qu’il est encore en vie, il a droit à un traitement digne et tout est encore possible.
Un souvenir de vos premiers pas en tant que recteur de l’Université Lumière de Bujumbura ?
Prendre le temps de faire connaissance avec mes collaborateurs pour éviter de me faire influencer. J’ai passé presque un mois à faire des rencontres individuelles avec chacune et chacun de mes collaborateurs pour mieux les connaître, les comprendre et me faire une idée d’eux/elles par la manière dont ils se définissent eux-mêmes. Souvent les gens sont privés du droit de se définir et par conséquent les leaders ratent l’occasion de découvrir de grands talents autour de nous.
Votre souvenir du 1er juin 1993(le jour où le président Ndadaye a été élu)?
Chez nous comme ailleurs, il y avait des rumeurs. Ce que j’aimerais souligner c’est l’attitude négative des Burundais face au changement que ce soit en politique, les églises, les organisations locales, en entreprenariat, l’innovation, l’égalité du genre, le mariage, etc. Il y a des gens qui cherchent toujours à mettre en avant les risques du mal et veulent le plébisciter comme si cela va empêcher le changement d’avoir lieu. Bien que nous ayons raté le départ, le 1er juin 1993 reste une date importante dans l’histoire de notre marche démocratique. Il est de notre intérêt, tous comme un seul homme, de se remettre en question, tirer les bonnes leçons et apporter notre pierre à l’édifice pour que cette démocratie soit solide, inclusive, participative et asseoir un Etat de droit où tout Burundais se sent partie prenante au destin du pays. Nous devrions nous rendre compte que le changement fait partie du quotidien et l’embrasser avec une attitude positive. Ce qui importe c’est de voir comment se positionner par rapport à ce changement afin de ne pas en être victime, mais un influenceur et bénéficiaire actif.
Qu’est-ce qu’il faut pour devenir un bon communicateur ?
Il faut d’abord se décentrer et mettre en avant ton interlocuteur. Ce qui produit souvent un échec de communication c’est le fait de toujours penser que tout le monde devrait penser comme vous, avoir le même langage que vous. Au contraire un bon communicateur valorise l’interlocuteur en face avec ses différences en se surpassant pour essayer de comprendre ce que votre interlocuteur veut dire bien que les mots et les gestes utilisés soient différents des tiens. Enfin un bon communicateur ne juge pas mais il cherche à comprendre.
Votre définition de l’indépendance ?
La capacité de se définir comme un peuple et de décider le développement qui vous convient. Bien que cela soit encore difficile, une indépendance effective commence par une indépendance mentale, qui est celle qui vous rend capable de penser librement afin d’assumer avec fierté vos choix et vos actes.
Votre définition de la démocratie ?
Me référant à sa définition d’origine, la démocratie est un gouvernement du peuple par le peuple. Cela ne devrait pas être pris comme un idéal mais comme un objectif. Définie autrement, la démocratie devrait se caractériser par un système de gouvernance qui met en avant une participation active et inclusive de toutes les couches de la population. Ce modèle ne devrait pas être limité à la politique seulement mais aussi aux associations et toute organisation qui souhaite créer un lieu de travail ou de collaboration bon à vivre.
Votre définition de la justice ?
Sans faire appel au dictionnaire, la justice devrait se permettre que toutes les classes de la société jouissent de leurs droits et exercent leurs devoirs sans s’inquiéter.
Si vous êtes nommé ministre de L’Education nationale, quelles seraient vos premières mesures ?
D’abord je reconnais avec satisfaction les initiatives et engagements pris par l’actuel ministre de l’Education allant dans le sens d’améliorer la qualité de l’éducation. Mon apport serait de renforcer un cadre légal harmonieux de l’assurance qualité dès le primaire jusqu’a l’université.
Actuellement le monde entier semble tourner vers les enseignements à distance (e-learning), quels sont les préalables pour que le Burundi rattrape le retard sur les autres pays ?
Le Burundi suit ces nouveaux développements car il y a déjà un cadre légal sur l’enseignement à distance. J’en profite pour dire déjà que l’Université Lumière de Bujumbura est très avancée en la matière car nous avons déjà commencé à enseigner à distance, il y a plusieurs années. Et même actuellement nous organisons des formations à distance. Cependant, ce mode d’enseignement n’est pas encore vulgarisé au Burundi.
Quels sont les obstacles à sa vulgarisation ?
Pour rattraper ce retard, il faut travailler, en priorité, sur deux aspects. D’un côté il faut un changement de mentalité des enseignants, des gestionnaires des institutions d’enseignement et des parents pour qu’ils croient en la qualité de l’enseignement à distance au même titre que le mode présentiel. De l’autre, il faut que le ministère de l’Education, en collaboration avec celui des Finances, accorde des facilités aux institutions qui ont déjà compris l’importance de ce mode d’enseignement. En l’Etat actuel, les infrastructures numériques coûtent cher. Il faut qu’on intègre rapidement les TIC non seulement pour suivre le développement actuel mais aussi pour anticiper d’autres situations qui risquent de ne pas faciliter les mouvements.
En outre, vu que la force des universités réside dans leur collaboration avec d’autres institutions et que les voyages sont de plus en plus compliqués, l’enseignement à distance devient le moyen incontournable pour que les enseignants étrangers interviennent dans nos universités, que ce soit en enseignements, lors de la défense des travaux de fin d’études, ou lors des conférences. Il est donc urgent que le gouvernement se penche, en collaboration avec les institutions d’enseignement, sur les voies d’accélération de ce processus d’intégration des TIC à l’enseignement surtout universitaire.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Enormément alors. Bien que l’Homme montre des fois un niveau d’animosité incroyable, je crois que beaucoup de gens sont bons sur terre. Par exemple, je ne crois pas en ces idées qui veulent diviser les Burundais par leurs ethnies en cherchant à faire croire aux gens que tel ou tel autre groupe est méchant. Personne n’ignore que les survivants de toutes les crises que le Burundi a connues ont bénéficié de la bonté des amis et des voisins de l’une ethnie différente. Je pars du principe que si la bonté humaine collective fait défaut, ayons la bravoure de montrer la bonté individuelle. Sûrement que la somme d’engagements individuels fera la différence.
Pensez-vous à la mort ?
Rarement car je suis très occupé avec ma vie et ma contribution au bien des autres. Les gens qui ont été utiles aux autres durant leur vie continuent de vivre dans leurs cœurs quand bien-même ils ne sont plus de ce monde. Plutôt que de perdre du temps à se préoccuper de la mort qui est certaine, nous devrions nous consacrer à faire de notre vie une bénédiction pour les autres.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Merci Seigneur pour le privilège de t’être révélé à moi étant sur terre car ton amour et ta bonté m’ont été d’une grande force pour avancer dans la vie et valoriser la vie des autres.
Propos recueillis par Aubin Hicuburundi
Ne serait -il pas métis ??
Uratanguye ivanguramoko ari wewe?