Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Donatien Bihute.
Votre qualité principale ?
La résilience. A la veille de mes 80 ans, je suis toujours actif et ne cesse de penser à la reconstruction de mon pays qui maintenant traverse une période de cataclysme.
Votre défaut principal ?
La crédulité. J’ai souvent cru que dans le monde des affaires, mes compatriotes se comporteraient avec la logique que j’avais observée dans les pays industrialisés.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
L’honnêteté et la franchise. Je crois que lorsqu’on promet ou on doit quelque chose à autrui, on doit respecter sa parole ou être prêt à reconnaître son échec, demander pardon ou chercher un compromis.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
La simplification des choses compliquées telles que la classification des ethnies burundaises, ou l’origine des conflits du Burundi, et la complication des choses simples comme la recherche des solutions aux crises politico-ethniques que connaît notre pays depuis des décennies.
La femme que vous admirez le plus ?
Au risque de paraître subjectif et égocentrique, j’admire ma mère qui, veuve à l’âge d’environ 45 ans à Gitebe en Commune de Nyeshenza, s’est débattue pour nous mettre à l’école à Bujumbura, loin de Gitebe et de Rugombo, et plus tard s’est installée à Gihanga pour être près de nous.
L’homme que vous admirez le plus ?
Nelson Mandela pour son sens de l’Etat, et sa détermination à réunir un peuple profondément divisé par la ségrégation raciale, à panser les plaies creusées par la haine, promouvoir la réconciliation en donnant lui-même l’exemple par le pardon accordé à ses bourreaux.
Qui aimeriez-vous être ?
Un explorateur et visiter des territoires encore inexplorés, par exemple en RDC ou dans la forêt de l’Amazonie, pour connaître notamment comment les populations qui y vivent classent leurs échelles de valeurs.
Votre plus beau souvenir ?
Lorsque, après l’adoption de la Charte de l’Unité Nationale le 5 février 1992, j’ai participé à une marche des dizaines de milliers de personnes dans les rues de Bujumbura, mains dans les mains souvent avec des inconnus, car j’avais l’espoir que les démons des divisions ethniques venaient d’être exorcisés.
Votre plus triste souvenir ?
Récemment, la mort de mon grand-frère qui me restait et que je ne pouvais pas enterrer.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Mon plus grand malheur serait que je meurs avant que le Burundi ne sorte de sa régression économique, de sa dérive autoritaire et de l’appauvrissement de sa population.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
L’Indépendance du Burundi le 1er juillet 1962
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
La victoire des troupes du Roi Mwezi Gisabo contre les esclavagistes dirigés pas le fameux Rumariza.
La plus terrible ?
La nuit du 22 au 23 octobre 1993 où, de la terrasse de ma résidence de l’Avenue Belvédère, j’ai assisté de loin, avec une profonde tristesse et révolte, au pilonnage du palais présidentiel du Président Melchior Ndadaye par les militaires putschistes. Je me souviens avoir dit à ma femme « ça y est, le Burundi va plonger dans une tragédie humaine sans fin. »
Le métier que vous auriez aimé faire ?
Le métier d’Explorateur des continents pour rencontrer d’autres peuples et apprendre de leurs cultures, notamment comment ils classent leurs échelles de valeurs.
Votre passe-temps préféré ?
Marcher le long des rivières ou dans les parcs aménagés.
Votre lieu préféré au Burundi ?
Rugombo où je suis né et dont j’admire la beauté des paysages environnants, particulièrement dans la magnifique vallée de la rivière Rusizi pleine de nombreux souvenirs d’enfance.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Au Burundi pour y finir ma vie.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Voyager à travers la Russie sur le train Transsibérien Express entre Moscou et Vladivostok.
Votre rêve de bonheur ?
Assister au mariage d’un de mes petits enfants au Burundi, et recevoir le couple dans le jardin de ma résidence.
Votre plat préféré ?
Sangala en papillote, recette telle que préparée par ma femme.
Votre chanson préférée ?
Mamou, une chanson de Franco, alias Luambo Makiadi.
Quelle radio écoutez-vous ?
De temps en temps la RPA
Avez-vous une devise ?
Ne jamais laisser tomber les bras.
Votre souvenir du 1er juin 1993 ?
Souvenir de joie et d’espoir pour le Burundi, de voir un homme que j’estimais pour son charisme et sa vision du Burundi dont il m’avait fait part, prendre le pouvoir à travers des élections démocratiques.
Votre définition de l’indépendance ?
Indépendance égale responsabilité des nouveaux dirigeants d’œuvrer pour garantir la liberté de parole, le respect de la chose publique et la prospérité à leurs concitoyens.
Votre définition de la démocratie ?
Comme le disait Feu Président Houphouët Boigny pour la Paix, pour moi, la Démocratie n’est pas un mot, mais un comportement des dirigeants et du peuple. Elle n’est pas seulement exprimée lors des élections, mais surtout pendant la gestion quotidienne des affaires de l’Etat par la classe politique au pouvoir.
Votre définition de la justice ?
Que personne ne doit être au-dessus de la Loi, à commencer par les dirigeants politiques au pouvoir, leurs parents et amis.
Si vous étiez ministre des Finances, quelles seraient vos deux premières mesures ?
Sous réserve de la restauration de la sécurité totale des personnes et des biens, je proposerais au Gouvernement (i) une réforme de la fiscalité burundaise pour attirer les investissements privés régionaux et mondiaux et ensuite, (ii) une réforme du Code des Investissements pour favoriser les entreprises qui exportent, qui créent des emplois et utilisent les technologies de pointe.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Oui, je suis un adepte de Jean Jacques Rousseau qui a dit : « L’Homme est généralement bon ; c’est la société qui le corrompt.»
Pensez-vous à la mort ?
Oui évidemment et, à mon âge, je dois m’y préparer.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous
Je lui demanderai de me pardonner pour mes péchés, mais je serai également prêt à répondre à la question que Dieu me posera probablement à savoir, non pas la fortune que j’aurais accumulée pendant ma vie, mais le bien que j’aurais fait pour la communauté dans laquelle j’ai vécu.
Propos recueillis par Antoine Kaburahe