Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Balthazar Habonimana.
Votre qualité principale?
L’esprit de responsabilité et l’amour du travail bien fait. Depuis ma prime jeunesse, j’ai toujours été responsable de quelque chose et ai toujours adoré un travail bien accompli. Remplir mes obligations m’inonde de joie et de satisfaction. Par contre, un travail négligé ou inachevé m’empêche même de dormir. C’est pour cela que j’essaie de prendre les dispositions nécessaires pour accomplir de mon mieux un travail ou une mission qui m’est confiée.
Votre défaut principal?
Ma tolérance zéro au moindre retard. Pour moi, la ponctualité est un signe évident d’un niveau de civilisation avancé et de respect de soi-même et du prochain. Malheureusement, cette bonne pratique n’est pas encore suffisamment ancrée dans notre culture. Le temps ici est élastique. Il est important pour tout un chacun de veiller au respect du temps prévu, à l’instar des Britanniques qui affirment sans détour: « Time is money » (« Le temps, c’est de l’argent »). A son tour, un adage français renchérit cette assertion: « Le temps perdu ne revient pas. »
La qualité que vous préférez chez les autres?
Le respect de la personne humaine dans son intégralité, le culte de la vérité et le sens d’Ubuntu. Cette dernière est tout un concept renfermant de nombreuses valeurs humaines et morales qui dénotent une bonne éducation reçue des parents, de différents éducateurs et d’autres canaux de transmission.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres?
Le mensonge et la malhonnêteté. J’ai toujours en horreur la fabrication des prétextes fallacieux pour se soustraire à la révélation de la vérité. Il en est de même du manque de transparence et du non-respect de la parole donnée. Cela dit, une personne coupable d’un tort causé à moi-même ou aux autres est à mes yeux déjà pardonnée une fois qu’elle avoue sa faute et manifeste des regrets.
La femme que vous admirez le plus?
Ma mère qui n’est plus malheureusement de ce monde. C’était une femme très aimable, pleine de générosité, de douceur et de sollicitude. De plus, elle était aussi très laborieuse. En effet, elle se levait tôt pour nettoyer la maison tout en préparant le petit déjeuner pour les enfants qui devaient se rendre à l’école comme moi. Elle se couchait toujours la dernière, après avoir tout arrangé dans notre demeure. Elle aimait particulièrement la propreté autour d’elle. Elle parlait peu et préférait plutôt agir. Elle s’occupait assidûment du travail des champs pour qu’un membre de sa famille n’aille pas un jour faire la manche par manque de nourriture à domicile. Le soir avant le coucher, elle se plaisait à nous réciter des contes dont le contenu constituait toute une école de vie. Le Seigneur nous a fait grâce puisqu’elle nous a quittés à 9I ans!
L’homme que vous admirez le plus?
C’est tout homme revêtu des valeurs d’Ubuntu et d’Ubushingantahe en tout et pour tout. Un tel homme qui se respecte et respecte la vie, la liberté et l’intégrité de ses semblables suscite toujours de l’admiration à mes yeux. Il sait ainsi afficher de la masculinité positive dans le respect, la protection et la valorisation des personnes physiquement plus faibles que lui, en l’occurrence les femmes, les enfants ainsi que toute personne sinistrée, handicapée ou marginalisée. Ce genre d’homme, qui, loin de chercher à inférioriser les autres, s’applique au contraire à élever et à promouvoir ses semblables, attire toujours mon estime et mon admiration.
Votre plus beau souvenir?
J’ai eu plusieurs bons souvenirs dans ma vie. Mais celui qui me reste inoubliable est constitué par le message m’adressé par mon père au terme de mes études secondaires en juillet 1970. C’était 5 ans après les massacres politico-ethniques d’octobre 1965 dans la commune Busagana et seulement une année après le procès de certaines personnalités politiques accusées d’avoir trempé dans la tentative de coup d’état de 1969. Je venais d’être le tout premier élève à terminer avec succès le Cycle complet des humanités gréco-latines sur ma colline de recensement de Mwegera en commune Mbuye.
Très fier de moi, mon père organisa au mois d’août de cette année-là une fête familiale en mon honneur à laquelle il avait convié nos voisins les plus proches. Il savait que j’allais commencer mes études universitaires et me lancer dans une vie nouvelle semée d’embûches en cette période précise de l’histoire de notre pays.
Dans son discours de circonstance, il souligna à mon endroit que la cohabitation harmonieuse et pacifique qui avait toujours caractérisé les Barundi, particulièrement les habitants de notre contrée, était le bien le plus précieux à sauvegarder à tout prix face à «une nouvelle élite assoiffée de pouvoir.» Il me recommanda aussi de ne pas me mêler de la politique parfois source de divisions et de haine. Des propos applaudis par l’assistance présente ce jour-là et qui sont devenus ma boussole morale jusqu’aujourd’hui.
Votre plus triste souvenir?
Mon plus triste souvenir est sans nul doute le jour où j’ai vu pour la première fois au Burundi que des hommes pouvaient oser porter la main sur leurs compatriotes et leur ôter la vie à cause de leur ethnie prise comme prétexte. Je ne savais pas, en effet, qu’une identité ethnique différente de celle de certains ayant pignon sur rue pouvait être un motif nécessaire et suffisant pour supprimer la vie de son semblable, un peu comme on efface un écrit suranné sur un tableau noir! J’ignorais aussi encore que l’inverse pouvait se produire d’autres années plus tard, comme si c’était une revanche tout aussi macabre de l’histoire. Les pages sombres de 1965, 1969, 1972, 1988, 1991, 1993 – 2003 et 2015 rappellent ces tristes réalités d’ « un passé qui ne passe pas »….
Cependant, la perte gratuite d’un de mes neveux du nom de Sindayizeruka Jacques, dans des conditions atroces, avec trois autres compagnons d’infortune au siège de la SRDI à Gihanga en 1996, demeure inscrite dans ma mémoire comme une encre indélébile. Il nous était si cher dans notre famille car doté de nombreuses valeurs humaines comme la gentillesse, la serviabilité, la courtoisie, les bonnes manières, l’amour du travail, etc. Mais en dépit de ce qui s’est passé, nous avons depuis longtemps pardonné. C’était peut-être aussi un sacrifice à consentir, comme plusieurs autres de nos compatriotes en avaient offert tout aussi gratuitement, au cours de ces années d’infortune.
Quel serait votre plus grand malheur?
En tant que chrétien, mon plus grand malheur serait de mourir en disgrâce avec le Seigneur, mon Dieu et mon Sauveur qui a tout fait pour moi jusqu’à ce jour.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise?
C’est la fondation de l’institution des Bashingantahe sous le Roi Ntare Rushatsi Cambarantama, fait qui se situe au 15ème siècle selon certains historiens ou à la 2ème moitié du 17ème siècle selon certains autres. C’est aussi la réunification du Burundi par le Roi Ntare Rugamba.
La plus belle date de l’histoire burundaise?
L’accession à l’indépendance de ce pays le 1 juillet 1962 grâce au sacrifice suprême du Prince Louis Rwagasore qui a payé de sa vie cet acte héroïque. Le Burundi a retrouvé ainsi sa souveraineté nationale qu’il avait officiellement perdue le jour de la signature du traité de Kiganda le 6 juin 1903 par le Roi Mwezi Gisabo.
La plus terrible date de l’histoire du Burundi?
Celle du 29 avril 1972 qui a été le début du massacre de dizaines, voire de centaines de milliers de nos compatriotes dans des conditions inimaginables à travers le pays. Toute une partie de l’élite a été décimée en moins de trois mois dans un Burundi naguère paradisiaque, devenue subitement cimetière suite aux ambitions démesurées et à la cécité de certains de nos dirigeants de l’époque.
Le métier que vous auriez aimé faire?
Je rêvais d’être professeur d’université pour contribuer à la formation de futurs cadres et dirigeants de mon pays, mais aussi leur ouverture sur le monde extérieur. Mais l’homme propose et Dieu dispose.
Votre passe-temps préféré?
J’aime lire des ouvrages portant sur des thèmes qui m’intéressent, suivre l’actualité à travers les organes de presse disponibles, écouter la radio et regarder la Télévision. A part cela, j’ai du plaisir à faire de la marche sportive quand le temps me le permet et être en compagnie agréable d’amis fidèles.
Votre lieu préféré au Burundi?
C’est ma colline natale de Mwegera en commune Mbuye. C’est un lieu idéal pour moi car plein d’agréables souvenirs d’enfance avec mes proches. Je ne me lasse jamais de contempler les belles collines de mon village et des régions environnantes surtout lorsqu’elles sont couvertes par la verdure des champs durant la saison culturale.
Le pays où vous aimeriez vivre?
C’est dans mon propre pays que j’aimerais vivre en dépit de toutes ses difficultés. J’ai déjà visité, en effet, plus de 55 pays dans le monde. Je vis des sensations inexprimables lors de mon séjour dans le Burundi profond qui regorge d’une nature étincelante. La fraîcheur matinale et vespérale de la campagne burundaise me permet de me détendre et de respirer à pleins poumons l’air frais qui n’inspire que le bonheur de vivre. Elle me rétablit toute l’énergie dispensée au travail durant toute la semaine dans la chaleur d’une ville comme Bujumbura. C’est dommage seulement que je ne trouve ni assez de temps, ni assez de moyens de m’y rendre aussi souvent que je l’aurais souhaité.
Le voyage que vous aimeriez faire?
J’aimerais visiter particulièrement le Japon, la Californie et Israël. Le Japon est un pays dont j’admire notamment la finesse, la culture et la civilisation. Quant à l’Etat de la Californie, ce serait une occasion de découvrir cette région du pays de l’Oncle Sam dont j’entends souvent parler. Enfin, en tant que croyant catholique, Israël est le pays de Jésus durant sa vie sur cette terre.
Votre rêve de bonheur?
Mon rêve de bonheur serait de voir le peuple burundais définitivement uni et réconcilié, un pays où la population serait résolument engagée pour une nouvelle ère de paix et de prospérité partagée, un pays respecté dans le concert des nations. Enfin, en tant que chrétien, mon bonheur c’est de vivre et de mourir un jour dans la voie et la grâce du Seigneur.
Mon plat préféré?
Une bonne pâte d’éleusine accompagnée d’un morceau de viande ou de poisson dans une délicieuse sauce de tomates et d’autres légumes comme on en rencontre si bien de temps à autre à la « dolce casa ».
Ma chanson préférée?
C’est la fameuse chanson à la harpe dite Inanga ya Maconco. C’est une évocation de l’histoire du chien préféré de Mwezi Gisabo et que son gendre Maconco voulait avoir à tout prix comme cadeau. Le roi était disposé à lui donner tout ce qu’il voulait. Lorsque Maconco menaça de se suicider si son vœu n’était pas exaucé, sa femme se leva très tôt un matin pour se rendre dans sa famille paternelle. Elle raconta à sa mère le projet funeste de son mari s’il n’obtenait pas gain de cause. Prise de pitié, elle donna en cachette à sa fille le chien convoité. Ainsi Maconco obtint ce qu’il voulait. Mais un tel acte signifiait en même temps un affront infligé par Maconco au roi, son beau-père, et par conséquent une déclaration de guerre… La suite, on la connaît: une fin tragique de ce gendre qui n’a pas pu se contenter de ce qu’il avait et contenir ses ambitions.
Mes autres chansons de prédilection sont celles de Canjo Amissi. Mais retenons seulement celle qui chante l’homme digne de ce nom qui se bat pour la paix partout où il se trouve : « Umugabo w’ukuri, agwanira amahoro ahari hose. »
Quelle radio écoutez-vous?
Une seule radio ne me suffirait pas et aucune n’a ma préférence. J’écoute toute radio capable de me fournir une information vraie et équilibrée, sans parti pris, particulièrement la Radio Nationale, la RFI et la Voix de l’Amérique ainsi que d’autres radios disponibles.
Votre souvenir du premier juin 1993?
Certes, cette date signifiait, du moins pour un temps, la fin de mon accréditation comme Ambassadeur du Burundi à l’étranger. A cette période, j’étais, en effet, Chef de la Mission diplomatique du Burundi à Bruxelles. A part cette considération d’ordre personnel, cet événement était objectivement une victoire de la démocratie pour le peuple burundais. Il était félicité dans le concert des Nations d’avoir organisé les élections dans la paix et la tranquillité. Il était cité parmi les pays d’Afrique où le processus démocratique avait le mieux réussi, au même titre que le Bénin et quelques autres pays sur le continent.
Lors des discours échangés au dîner d’adieux organisé en mon honneur par les Ambassadeurs du Groupe ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) à la veille de mon retour au pays natal, le Burundi avait été couvert d’éloges pour avoir administré au monde un exemple éclatant d’une démocratie réussie. Je suis donc rentré dans cette effervescence le 19 septembre 1993, après cinq ans de mission bien accomplie aussi bien à Rome qu’à Bruxelles.
J’ignorais seulement que tout ce capital de crédit que notre pays venait d’investir sur l’échiquier international n’allait durer que l’espace d’un matin… Un mois plus tard, plus précisément à partir du 21 octobre 1993, tout bascule. C’est l’éclipse totale, le début de l’horreur et la désolation au pays des mille collines! Quel gâchis! J’épargne le lecteur d’entrer dans le détail des humiliations sans nom qu’a dû subir tout un peuple pour avoir exprimé sa volonté d’élire ses dirigeants en toute légalité à cette période donnée de son histoire….
Votre définition de l’indépendance?
La liberté pour le peuple de se choisir ses dirigeants pour se tracer la voie à suivre pour son avenir, pour son destin et pour son propre développement, et cela sans contrainte et sans chicotte d’une puissance étrangère hostile derrière soi. Mais une indépendance politique sous dépendance économique est aussi un leurre. Tout dirigeant responsable d’aujourd’hui ou de demain doit en être conscient et s’organiser en conséquence pour gagner le pari du développement avec le concours de tous ses concitoyens.
Votre définition de la démocratie?
La démocratie est pour moi la manière de gérer, dans un esprit de responsabilité et pour l’intérêt de tous, la cité commune qui confie périodiquement le pouvoir à ses élus appelés à rendre régulièrement compte de la façon dont ils accomplissent la mission leur confiée.
Votre définition de la justice?
C’est un mécanisme de gestion de la vie des citoyens, dans un esprit de droiture et d’équité, conformément à la loi établie et dans le respect des droits et des devoirs de chacun.
Si vous étiez ministre de la Justice, que seraient vos deux premières mesures?
J’initierais des lois contraignantes et suffisamment persuasives pour mettre fin à l’arbitraire, à l’impunité ainsi qu’à la corruption qui gangrène tous les échelons de la vie nationale, allant du plus grand au plus petit. Je prendrais également toutes les dispositions nécessaires pour dissuader la culture du mensonge dans le domaine judiciaire, en faveur du culte de la vérité qui favorise la paix, la sécurité et l’harmonie sociale. Pour que tout cela se traduise dans la réalité, une de mes options prioritaires serait la promotion de l’indépendance de la magistrature qui devrait être guidé par ce principe sacré: dire le droit et rien que le droit, afin de juger en âme et conscience.
Si vous étiez ministre des Affaires étrangères, que seraient vos deux premières mesures?
Je définirais promptement une politique à proposer au Gouvernement pour mettre fin à l’isolement politique du Burundi et favoriser en même temps sa plus large ouverture sur la scène régionale et internationale.
J’initierais également des mesures de nature à contribuer à redorer l’image de notre pays par le rétablissement des relations de bon voisinage et de reprise de la coopération aussi bien bilatérale que multilatérale pour son développement intégral. Des mesures d’accompagnement au niveau de la politique intérieure du pays seraient également nécessaires pour refléter et consolider une telle option.
Croyez-vous en la bonté humaine?
Absolument! Car je suis conscient qu’elle est fortement influencée par son environnement humain et naturel qui peut la déformer ou l’enrichir en fonction de son milieu de vie. Par ailleurs, en tant que chrétien je suis conscient que l’on est victime du péché originel hérité d’Adam et Eve, mais que la voie d’en être libéré nous a été aussi tracée. Dans d’autres religions, cultes et croyances, différents modèles de vie ont été aussi proposés comme voies de salut.
Pensez-vous à la mort?
Oui, bien sûr! Je sais que chaque chose a toujours un début et une fin. Il en est de même de l’être humain. Il a une date de naissance et celle de sa mort est aussi inscrite dans le Registre de l’Etre Transcendant. Mais curieusement, la mort n’est pas une grande préoccupation dans ma vie. Ce qui me préoccupe le plus, c’est de voir comment vivre sur cette terre dans la justice, l’honnêteté et la droiture. Pour ce faire, j’essaye, au-delà de mes faiblesses inhérentes à la nature humaine, de m’organiser sur le plan spirituel et moral pour avoir le moment venu une fin heureuse. Je souhaite de tout cœur qu’elle soit alors le début d’une vie nouvelle qui survit d’âge en âge. L’autre souci est enfin celui de travailler de mon mieux pour laisser, sur le plan moral, des traces positives de mon passage sur cette terre. De cette manière, à ma mort, je partirais comblé. Puisse Imana, ce Dieu de nos ancêtres, m’accompagner et m’apporter son secours pour accomplir ce vœu!
Si vous comparaissiez devant Dieu, que lui diriez-vous?
Je lui rendrai grâce pour sa bonté et sa miséricorde infinie. Ce serait aussi une excellente occasion de lui exprimer de vive voix toute ma reconnaissance pour m’avoir compté parmi ses élus alors qu’au départ je n’en étais pas digne.