Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son coeur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Annick Nsabimana.
Votre qualité principale ?
La détermination et la confiance en moi. Dans une société où, en tant que femmes, on nous apprend plutôt à être réservées, à douter de nous, j’ai appris à être moi-même, de croire en mon potentiel et en mes capacités. Quand je me fixe un objectif, quand je sais où je veux aller et comment y aller, Je ne sais pas me trouver des excuses et rien ni personne ne m’arrête.
Votre défaut principal ?
L’impatience face à certaines situations. Ceci peut brouiller ma capacité de raisonnement et de jugement.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
Il y en a deux :
L’altruisme et l’empathie. J’admire beaucoup les personnes qui se consacrent aux autres sans rien attendre en retour, celles qui ont la capacité à s’identifier à l’autre, dans ce qu’il ressent.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
La méchanceté : Je suis allergique aux personnes qui font intentionnellement du mal à autrui, qui cherchent à nuire, les personnes malveillantes.
La femme que vous admirez le plus ?
Il y en a plusieurs, mais je vais en citer 2 : ma mère : comme pour beaucoup de gens, la personne que j’admire le plus est ma mère parce que je lui dois tout dans la vie. Elle est travailleuse, respectueuse et pleine d’amour. Dès mon jeune âge, elle m’a préparé à affronter les méandres de la vie privée ou professionnelle, à aimer, à partager, à travailler et à respecter les gens.
J’admire Simone de Beauvoir, cette grande théoricienne du féminisme pour les combats qu’elle a menés en faveur des femmes. Par son travail en tant qu’auteure et ses positions affirmées, elle a fait évoluer la condition féminine. Elle est le reflet du combat pour les droits des femmes, que nous ne devrions jamais oublier et que nous devrions suivre. Une de ses citations m’accompagne souvent dans tout ce que j’entreprends. « C’est dans la connaissance des conditions authentiques de notre vie qu’il nous faut puiser la force de vivre et des raisons d’agir ».
L’homme que vous admirez le plus ?
Dr Denis Mukwege, le Prix Nobel de la paix, médecin gynécologue-obstétricien, directeur de l’hôpital général de Panzi, un centre spécialisé dans l’accueil des victimes de viols dans l’Est de la République démocratique du Congo RDC. C’est un champion de la cause des femmes victimes de violences sexuelles dans son pays, mais aussi dans le reste du monde. C’est un homme qui dit au monde la souffrance des femmes victimes de violences sexuelles. Il les soigne, fait tout pour leur réinsertion et réintégration, car les « réparer », les soigner, les opérer ne peut suffire.
Qui aimeriez-vous être ?
Je voudrais rester moi-même, mais continuer à grandir, à travailler à devenir la meilleure version de moi. Discerner le réel et l’illusoire de ce monde en me concentrant sur le réel. Continuer à avancer dans mes passions et mes intérêts, à meubler ma vie comme je le souhaite et surtout et surtout à faire le bien et semer l’amour autour de moi.
Votre plus beau souvenir ?
La grossesse et la naissance de Shima et Shemeza nos fils jumeaux. Je m’en souviens comme si c’était hier. Les porter, les sentir dans mon corps pendant la grossesse et les voir, les toucher, les entendre crier ce mercredi du 8 mars 2006 reste le plus beau souvenir de ma vie.
Votre plus triste souvenir ?
Octobre 1993. J’avais 15 ans. L’assassinat de Melchior Ndadaye, le héros de la démocratie et la crise qui s’en est suivie. J’étais très jeune à l’époque, je ne comprenais pas ce qui se passait, mais j’ai grandi à travers ces atrocités : les tueries, la balkanisation, les déplacements intérieurs et extérieurs des personnes, les dislocations des familles… Cette crise m’a laissé un souvenir amer, un sentiment d’impuissance et une volonté farouche de contribuer, de voir et vivre la réconciliation et la cohésion dans notre société. J’ai eu la chance, 7 ans plus tard de travailler dans une organisation qui avait pour mission de transformer la façon dont les individus, les organisations et les gouvernements gèrent les conflits en s’éloignant des approches de confrontation vers des solutions coopératives tout en agissant sur les points communs. Cette expérience professionnelle a été non seulement une thérapie, mais aussi un moyen de contribuer dans la construction de la paix dans mon pays.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Me retrouver seule, sans famille et aucun ami. En effet, dans ma vie, je me suis retrouvée à plusieurs reprises face à des personnes seules, abandonnées de tous. C’est terrible et impossible à surmonter.
Selon vous, le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
La marche vers l’indépendance pour le Burundi caractérisée par l’éveil de la majorité des Burundais. Quand le Prince Louis Rwagasore a fait vibrer la corde sensible du patriotisme burundais, un patriotisme orienté vers la participation active de tous, chacun en son domaine, à l’émancipation totale du Burundi.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 1er juillet 1962, le jour de l’indépendance du Burundi. Mais j’ai été aussi marquée par les élections de 2005 au Burundi. J’exerçais pour la première fois mon devoir et mon droit de vôte. C’était très significatif et intense pour moi.
La plus terrible ?
1972 : Les atrocités, meurtres de masses commis sur des milliers de Burundais. 1993 : L’assassinat du Président Melchior Ndadaye, Président démocratiquement élu.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
Etre écrivain. Coucher mon univers sur des feuilles de papier, raconter, avoir la capacité de suivre et de donner libre cours à mon imagination.
Votre passe-temps préféré ?
La lecture et la cuisine
Votre lieu préféré au Burundi ?
J’aime beaucoup le Burundi. C’est un joyau et magnifique petit pays, mais j’apprécie particulièrement le Lac Tanganyika.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Le Burundi, il n’y a pas mieux que chez soi.
Le voyage que vous aimeriez faire et pourquoi ?
Le pays du soleil levant, le Japon. Il parait que tout y est différent et magnifique: les paysages, l’architecture des anciens monuments, bâtisses rurales et même des buildings, les comportements, la mode, l’alimentation, les temples et j’en passe.
Votre rêve de bonheur, c’est quoi ?
Comme on dit, le bonheur est un état de satisfaction complète caractérisé par sa stabilité et sa durabilité. Il ne suffit pas de ressentir un bref contentement pour être heureux. Une joie intense n’est pas le bonheur. Un plaisir éphémère non plus. Mon rêve du bonheur est de vivre chaque jour, en harmonie avec moi même, en paix avec mon âme, le cœur serein et heureux, en bonne santé et d’avoir la capacité d’apprécier avec moins.
Votre plat préféré ?
Le poisson frais
Quelle radio écoutez-vous ?
J’écoute toutes les radios locales surtout celles qui diffusent les informations. J’écoute aussi les chaînes internationales . Déformation du métier, je pense.
Comme journaliste, quel est l’événement qui vous a le plus marqué et pourquoi ?
Il y a deux événements majeurs : j’ai eu la chance d’assister et de couvrir directement deux grands moments de l’histoire du Burundi. La signature des accords de paix d’Arusha pour le Burundi et la signature de l’Accord global de cessez-le-feu entre le Gouvernement de Transition du Burundi et le Mouvement Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD) . A mon niveau, comme journaliste, j’ai participé et contribué à un grand tournant de l’histoire du Burundi en informant en temps réel sur ce qui se passait.
Votre chanson préférée et pourquoi ?
« Yaramenje “de Kidumu Jean Pierre . Elle est venue à moment fort de notre histoire et reste d’actualité au Burundi. Elle invitait et invite toujours les Burundais à la prise de conscience, à la retenue, à la réconciliation.
Avez-vous une devise ?
‘Ne rêve pas ta vie, vis tes rêves.’ Cela est primordial. Je ne me contente pas d’imaginer une vie meilleure, je passe à l’action pour concrétiser mes rêves.
Votre définition de l’indépendance ?
L’indépendance pour moi c’est cette capacité de pouvoir obéir aux mouvements de sa propre volonté et à exprimer tout haut les vœux de son âme.
Votre définition de la démocratie ?
La question qui se pose est en effet de savoir si l’on peut à tout moment changer le sens d’une notion aussi capitale, au point de pouvoir lui faire dire à peu près ce que l’on veut. A mon avis, il y a une exigence minimale de stabilité dans les définitions des termes utilisés dans des normes juridiques. Concrètement, la démocratie fait référence le gouvernement de tous, c’est-à-dire la souveraineté collective.
Votre définition de la justice ?
La justice désigne avant tout une valeur, un idéal moral. Elle fait référence à l’égalité, à l’équité du moins à l’équilibre dans les relations entre les humains.
Si aujourd’hui vous étiez nommée ministre en charge des médias, quelles seraient vos deux premières mesures ?
Si j’étais nommée ministre en charge des médias, en premier lieu j’organiserai les états généraux des médias afin de permettre au gouvernement, aux professionnels des médias et aux membres de la société civile d’aborder sans faux fuyants la situation des médias au Burundi dans le but d’améliorer le contexte légal, structurel des médias et leur professionnalisation.
En deuxième lieu, je ferai tout pour que les voix des femmes soient entendues dans les médias parce que jusque-là, elles sont sous représentées.
Les médias ont une responsabilité essentielle dans la représentation des rapports sociaux. L’objectivité confère à la fonction journalistique un caractère à la fois technique et professionnel et la parité hommes-femmes dans les médias implique que les hommes et les femmes soient représentés de façon équitable non seulement dans les postes de responsabilités et les emplois disponibles dans les entreprises de presse, mais aussi dans la collecte, le traitement et la diffusion de l’information.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Fermement ! L’être humain est capable de faire preuve de bienveillance active et de rendre réellement les autres heureux. Il faut juste une certaine disposition d’esprit consciente.
Pensez-vous à la mort ?
Oui
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Ainsi soit -il, mon heure est arrivée (rires)
Propos recueillis par Antoine Kaburahe