Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, avec l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais, au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient et contestaient car, tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Adolphe Ntibasharira.
Votre qualité principale ?
Je suis honnête. Je préfère me taire plutôt que de mentir.
Votre principal défaut ?
Je ne digère pas le mensonge.
Exemple ?
Je n’aime pas cette tendance de mentir au téléphone. Par exemple, un artiste est en retard et quand je l’appelle, il me dit qu’il arrive sans dire sa position.
Qu’elle est la qualité que vous préférez chez les artistes ?
La ponctualité sans oublier la sobriété au travail.
Les défauts que vous ne supportez pas chez les artistes ?
Le mensonge et le non-respect du temps. Quand je travaillais au ministère des Sports, de la jeunesse et de la culture, je me devais d’aller le plus souvent au stade pour les matchs. Le service protocolaire était strict quant au respect du temps et c’est à partir de là que j’ai compris l’importance d’être à l’heure. De même que quand je travaillais à la radio. Arriver quelques minutes avant l’animation donne à l’animateur le temps de souffler.
Très motivé et appliqué dans le métier, où trouvez-vous l’émulation avec un âge aussi avancé ?
J’ai été administrateur communal dans mes premières fonctions. Mais à l’époque, tout le monde connaissait mon salaire. Je vous jure que ce n’était pas motivant du tout et je suis rentré les poches vides. Un administrateur communal devrait voler dans la caisse communale pour avoir quelque chose de remarquable.
Mais, comme ces agissements ne font pas partie de mon étique, je suis rentré sans rien dans la poche à part avoir des connaissances. Mais par contre, avec le métier d’artiste, j’ai pu me construire une maison. J’ai aussi une voiture pour mes déplacements. J’ai également pu avoir de quoi payer les études de mes enfants jusqu’à aujourd’hui.
Quel est votre point de vue par rapport aux artistes d’ici chez nous ?
La grande majorité des jeunes artistes, surtout ceux qui évoluent dans le théâtre, ont tendance à ne pas prendre au sérieux ce qu’ils font.
Certains même s’arrogent le droit de venir jouer en état d’ébriété avec une haleine à vous couper la gorge. D’autres viennent avec des parfums qui indisposent leurs collègues. La première chose dans le métier, c’est la motivation et l’endurance. Le chemin peut être long ou court. Cela dépend. Mais le résultat finit toujours par être satisfaisant.
Votre plus beau souvenir ?
Les souvenirs sont nombreux mais, le point culminant, c’est mon premier enfant, un garçon. Ça a été le plus beau jour de ma vie.
Et dans la carrière artistique ?
Monter dans un avion pour la première fois grâce à l’art en 1978.
Quelle est la femme que vous admirez ?
Une femme souriante
Pouvez-vous expliquer ?
La femme reflète l’image d’un foyer.
Le métier que vous auriez aimé exercer ?
C’est celui que j’exerce maintenant à l’âge de 72 ans.
Votre passe-temps préféré ?
Une bonne discussion avec ma femme. Quand je rentre du travail, à la maison, j’aime comment nous nous adressons des rapports sur les activités de la journée. J’ai aussi une passion pour le sport. Mais mon âge me permet juste la natation.
Votre lieu préféré
Dans les montagnes à l’intérieur du pays.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Dans les pays d’accueil de mes enfants comme la France et le Canada. Mais aussi le pays d’accueil de ma grande amie Marie-Louise Sibazuri, l’Australie.
Votre rêve de bonheur ?
Voir mes petits enfants qui sont à l’étranger.
Votre plat préféré ?
Le maïs préparé avec le haricot « intete ». Souvent, les amis se moquent de moi. Mais j’adore. J’aime aussi la pâte de maïs au lait « gusomera ».
Votre pièce de théâtre préférée ?
La pièce « Uwapfuye ntaco yabonye » que j’ai écrite moi-même.
Pouvez-vous nous en parler ?
C’est une pièce qui relate ma vie. J’ai joué ma propre vie, ce que j’ai vécu. Dans la pièce, je parle de comment je me suis marié avec beaucoup de difficulté et de la mort de ma mère biologique. La partie qui a beaucoup marqué dans la pièce, c’est la partie qui met en évidence le moment où mon grand frère est venu après l’enterrement de ma mère et que je me fais gifler comme il l’avait fait.
Ce dernier était dans le public avec sa femme. Mais à ce moment de la pièce, il s’est levé et est parti avant la fin. Quand on est allé le voir avec les acteurs chez lui, il est venu vers moi et il s’est agenouillé pour me demander pardon. J’ai fait de même. Ce qui montre combien cette pièce est émouvante.
Votre devise ?
Fait le bien aussi longtemps que tu le peux.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Bien évidemment. Même dans la production du feuilleton « Murikirukuri », qui oppose deux classes de la société, chaque camp a de bonnes et de mauvaises personnes. C’est vrai. Il existe des gens qui n’aspirent qu’à faire du mal aux autres. Mais la bonté humaine existe et j’en suis témoin. Mon grand frère, qui m’a élevé dans ma jeunesse, avait une femme qui n’était pas de son ethnie. Mais, l’éducation qu’elle m’a donnée a fait de moi ce que je suis jusqu’aujourd’hui.
Marie Louise Sibazuri n’est pas de ma famille, mais elle m’a accueilli dans son feuilleton radiophonique célèbre « Umubanyi ni we muryango ». Un autre exemple que je ne manquerai pas de citer, c’est celui d’un ministre de la Culture, de la jeunesse et des sports, de l’époque où j’ai quitté les fonctions d’administrateur communal. Il m’a donné du travail dans son ministère. Il s’appelle Louis Nduwimana. Il y’a aussi Paul Ngarambe qui m’a aidé a intégré l’équipe de la radio scolaire Nderagakura. Donc, tous ces exemples illustrent, parmi tant d’autres, l’existence de la bonté humaine.
Pensez-vous à la mort ?
Le Seigneur lui-même y est passé (rire). Elle est inévitable. Mais je vous assure, je n’en ai pas peur. Beaucoup sont partis avant moi. Enfants, jeunes, moins jeunes. Par contre, j’ai peur qu’elle prenne les miens.
Si vous comparaissiez devant Dieu, que lui demanderiez-vous ?
Je lui demanderais d’ôter la méchanceté dans les cœurs des sujets qu’il a lui-même créés. Tu peux détester quelqu’un qui t’a volé ou fait du mal, mais je trouve toujours aberrant qu’une personne déteste l’autre parce qu’il n’est pas de son ethnie, de sa région ou de son parti.
Propos recueillis par Stanislas Kaburungu
Agé de 72 ans, père et grand-père, Adolphe Ntibasharira est auteur de plusieurs pièces de théâtre et feuilletons radiophoniques. Il fait partie de l’équipe de production du feuilleton radiophonique le plus célèbre et qui est toujours d’actualité « Murikirukuri ». Il a commencé sa vie professionnelle dans l’enseignement primaire, puis dans l’administration comme administrateur communal des communes de l’intérieur du pays, Matongo et Gahombo de la province de Kayanza.
Amoureux du théâtre et des arts en général, c’est au ministère de la Jeunesse, de la culture et des sports qu’il commencera son ascension et affermira sa passion en passant du tambour au théâtre et vice versa. Avant de se lancer dans l’écriture des pièces de théâtre, il jouera comme acteur où il va incarner les rôles de prêtre (Popori) ou de politicien (papa Viva) dans différentes pièces écrites par Marie-Louise Sibazuri. Avec la venue de l’ONG Search For Common Ground, pendant la période où le sida faisait des ravages, il va créer le feuilleton de sensibilisation « Semerera » sous la commande de cette ONG. Maintenant, il travaille avec la Benevolecija dans la production d’un grand feuilleton de sensibilisation à la cohésion sociale « Murikirukuri ».