Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Abbé Dieudonné Niyibizi.
Votre qualité principale ?
J’aime le travail et y suis très assidu.
Votre défaut principal ?
Parfois, je laisse derrière moi certains de mes amis sans le savoir. Je suis assez compartimenté. Probablement que je m’attache à l’aujourd’hui jusqu’à laisser progressivement de côté le passé.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
La ponctualité. C’est bien quand on tient aux engagements, on gagne du temps pour autre chose. C’est malheureux de se rendre compte que l’autre n’est pas là souvent sans motif valable.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
L’ironie. On raconte que les Burundais ne sont pas francs, qu’ils savent cacher leurs sentiments même profonds. C’est regrettable de voir quelqu’un développer une rhétorique romantique et altruiste alors qu’au fond de son cœur, il te déteste. C’est du mensonge.
La femme que vous admirez le plus ?
Les prêtres aiment généralement deux femmes les plus célèbres au monde. Maman, ma mère naturelle et Marie, la mère céleste. Je voudrais les aimer davantage, en toutes circonstances.
L’homme que vous admirez le plus ?
Le Pape François. Je l’ai suivi de près depuis le 13 mars 2013. Il n’est pas Ratzinger, il n’est pas Wojtyla, il est vraiment différent : simple et pauvre de cœur.
Avez-vous toujours voulu devenir prêtre ?
Toujours ? Ça serait trop dire. Toutefois, quand j’étais à l’Ecole primaire, je me rappelle qu’on rivalisait avec d’autres enfants arguant que coûte que coûte, on deviendra prêtres. Des vœux de petits gamins, dirais-je. Mais, je suis devenu servant de messe puis je suis entré au Petit Séminaire. Pour le reste, j’ai pris la décision en personne adulte.
Votre plus beau souvenir ?
Le jour de mon ordination sacerdotale, le 12 juillet 2008.
Votre plus triste souvenir ?
L’annonce de la mort simultanée de ma sœur et de mon frère. C’était pénible. Déjà, lorsque c’est un des tiens qui meurt. C’est insupportable. Quand c’est deux, ça fend le cœur.
Quel serait votre plus grand malheur de votre vivant ?
Rater le bonheur d’être au service du Seigneur à travers les hommes.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
L’engagement du Burundi pour le multipartisme et donc l’ouverture au système démocratique.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
La signature des accords de fin des hostilités. La guerre est le mal par excellence.
La plus terrible ?
L’assassinat du Président Ndadaye. C’est un grand échec national. Plusieurs vies innocentes ont péri suite à cela. Ce fut une erreur grave.
Le métier que vous auriez aimé exercer ?
J’ai toujours eu une certaine préférence pour l’électronique (informatique). Probablement, un engouement que je tiens de mon père, lauréat de l’ETS Bujumbura.
Votre passe-temps préféré ?
J’aime voyager et découvrir les paysages multicolores. Sinon, c’est la lecture et la musique.
Votre lieu préféré au Burundi ?
J’habite Bujumbura depuis des années, mais je dois avouer que j’ai une certaine préférence des endroits où il fait plus frais.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Le Burundi. Et pour avoir connu différentes facettes diversement teintées d’une vie en dehors de mon pays, une vingtaine d’années. Je sais ce que je dis.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Je voudrais visiter l’Amérique latine, un peuple qui m’a impressionné de par quelques amis rencontrés lors de mon parcours académique.
Votre rêve de bonheur ?
Être bon prêtre, dans tous les sens…
Votre plat préféré ?
L’Ubugari bien entendu…et je n’ai pas dit umutsima ! Et si vous l’accompagnez des feuilles de manioc bien préparées (Isombe), c’est encore exquis…
Quelle radio écoutez-vous ?
J’aime plutôt lire les journaux en ligne plus qu’écouter la radio.
Avez-vous une devise ?
« Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! » (Lc 1,49). C’est vrai.
L’Eglise catholique impliquée dans la vie politique. Une bonne chose, selon vous ?
L’Eglise catholique ne s’est pas impliquée dans la vie politique, elle fait ce qu’elle doit faire comme guide et éclaireur de conscience des fidèles en général et de ceux engagés en politique, en particulier. Sinon, si la politique est l’engagement dans la gestion de la cité, l’Eglise catholique est la pionnière par sa présence dans l’éducation, la santé, la culture et dans d’autres secteurs.
De plus en plus de divorces dans les couples. D’après vous, quelle serait la cause ?
Pour paraphraser Zigmunt Baumann, je dirais que la société devient de plus en plus liquide, l’homme perd les repères moraux, sociaux et spirituels. Les valeurs s’effritent. Et c’est la modernité qui est mise au banc des accusés.
Votre souvenir du 1er juin 1993 (le jour où le président Ndadaye a été élu) ?
J’avais seulement 17 ans. Je me souviens qu’on parlait d’un grand changement au Burundi car un nouveau Président venait d’être élu. Au Petit Séminaire de Rwesero au Rwanda où j’étudiais, je me rappelle que des condisciples rwandais nous disaient qu’il était alors temps de rentrer chez nous…
Si vous redeveniez un jeune fraîchement sorti du Petit séminaire, orienteriez-vous votre vie dans la prêtrise ?
Les raisons qui m’ont poussé à entrer au Grand Séminaire pour discerner si ma vocation était vraiment sacerdotale restent encore intactes en moi : chercher la vraie essence de la vie, aider les prêtres qui souffraient dans les confessionnaux et prêcher l’amour dans un Burundi déchiré par la haine. Vous comprenez qu’il faut pour cela un contrat à durée indéterminée !
Votre commentaire par rapport aux récentes révélations concernant la pédophilie dans le corps clérical ?
L’homme est faible, il avance avec des hauts et des bas sur le chemin de la sainteté. Il n’est donc pas question de nier des cas qui se seraient révélés dans le passé de notre famille chrétienne. Mais quels sont les faits réels ? Ce qui est déplorable, c’est l’acharnement qui se déchaîne contre l’Institution, le tapage médiatique globalisant qui manipule l’opinion et la couverture des cas similaires mêmes plus graves dans d’autres institutions sociales ayant la même autorité morale. On sent qu’il y a anguilles sous roche.
Pensez-vous que l’Eglise catholique aurait un jour un pape noir ?
Rien ne l’empêche, ni le droit ni le contexte. Seulement cela n’est pas un souci pour l’Eglise.
Pensez-vous que l’Eglise pourra un jour, autoriser le mariage des prêtres ?
Je ne crois pas parce que cette institution date de plus de 10 siècles et qui l’embrasse y est suffisamment préparée. C’est une vocation, c’est un choix. Qui n’y arrive pas peut demander de sortir et de se marier. Je n’ai pas encore entendu un prêtre qui réclame le mariage.
Si tel est le cas, quel avenir des enfants nés des prêtres ?
Ils ont le droit à la paternité. C’est de la responsabilité des pères de prendre en charge leurs enfants. L’Eglise va dans cette direction.
Votre définition de la démocratie ?
Système de gouvernance qui donne la chance aux citoyens de dire ce qu’ils pensent de la manière dont ils sont gouvernés.
Votre définition de la justice ?
Faire ce qu’on doit faire à chacun et à Dieu aussi.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Ce n’est pas le mal qui domine le monde mais le bien. Des hommes bons, sages, intègres, généreux, j’en ai connu dans ma vie et l’histoire nous en fournit beaucoup de modèles. Ça donne le courage de faire du bien.
Pensez-vous à la mort ?
Absolument, ça traverse mon esprit de temps en temps. C’est une réalité que nous vivons. J’ai vu des gens mourir, je suis souvent dans les hôpitaux. Ça m’arrivera aussi.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Je ne vois pas. Je vais le regarder, le contempler.
Propos recueillis par Hervé Mugisha