Lundi 04 novembre 2024

Société

Athanase Karayenga : «Ce code de conduite constitue un outil de répression et de limitation des libertés des journalistes»

20/10/2019 Commentaires fermés sur Athanase Karayenga : «Ce code de conduite constitue un outil de répression et de limitation des libertés des journalistes»
Athanase Karayenga : «Ce code de conduite constitue un outil de répression et de limitation des libertés des journalistes»

L’article 10 stipule que les journalistes ont l’obligation de : «ne pas publier ou diffuser par quelque canal que ce soit, l’internet compris, les résultats provisoires ou définitifs d’une élection autres que ceux annoncés officiellement par la CENI ou ses démembrements. Athanase Karayenga, spécialiste des médias, réagit.

Que pensez-vous de cet article ?

Avant de répondre à cette question, permettez un rappel succinct et important concernant les règles et la conduite qui devraient encadrer et inspirer toute initiative de régulation des médias au Burundi.
Lorsqu’une institution ou une administration de l’Etat, en l’occurrence 0le CNC, élabore une loi, une ordonnance, un code de conduite régulant les médias et les journalistes, il conviendrait qu’elles aient constamment à l’esprit la Sainte Trinité des libertés fondamentales relatives à l’information et à la communication. Ces libertés sont inscrites dans la Constitution, dans les Déclarations, Conventions et Chartes internationaux que le Burundi a signées et intégrées dans sa propre législation.

Lesquelles?

La première liberté fondamentale concerne le droit du citoyen à accéder à des sources diversifiées d’information et d’avoir la possibilité de faire son propre choix parmi ces sources d’information, à savoir les médias écrits, numériques (textes et photos) et audiovisuels.

La deuxième liberté fondamentale porte sur le droit du citoyen à se forger librement une opinion et à pouvoir l’exprimer sans entraves, en l’occurrence au travers d’un bulletin de vote, mais aussi par la voie des médias en période ou en dehors de la période électorale.

Enfin, la troisième liberté concerne le droit des médias à avoir accès à l’information publique et à la diffuser des informations vérifiées et de qualité. Tout en respectant les dispositions pertinentes de la Constitution, de la Loi régissant les médias, du Code pénal, du Code civil, du Code d’Ethique (valeurs morales) et du Code de Déontologie.

Quid du code de conduite du CNC?

Le Code de conduite des médias et des journalistes en période électorale proposé par le CNC et applicable pendant le processus électoral de 2020 ignore ou méconnaît volontairement l’articulation essentielle entre ces trois libertés fondamentales des citoyens, des médias et des journalistes burundais relatives à l’information et à la communication.

En effet, la première violation flagrante de ces libertés fondamentales est inscrite dans l’article 10 de ce Code de conduite qui stipule que les journalistes ont l’obligation de : «ne pas publier ou diffuser par quelque canal que ce soit, l’internet compris, les résultats provisoires ou définitifs d’une élection autres que ceux annoncés officiellement par la CENI ou ses démembrements. »

Dans plusieurs pays africains, comme au Sénégal, la fraude et les tricheries électorales ont été évitées parce que les médias diffusent librement les résultats électoraux au fur et à mesure qu’ils sont comptabilisés et validés par les démembrements de la commission électorale organisant le scrutin dans les bureaux de vote à travers le pays.

Sinon, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), quand elle agrège et comptabilise les résultats finaux, pourrait modifier les données que les communes ou les provinces lui transmettent au fur et à mesure du dépouillement et de la consolidation des résultats locaux.

A part cet article, que pensez-vous de ce code en général?

La deuxième violation flagrante des trois libertés fondamentales du citoyen burundais et des médias relatives à l’information et à la communication se niche dans la disposition du CNC qui interdit aux journalistes de diffuser les estimations ou les tendances électorales fournies par les instituts de sondage avant et pendant le prochain processus électoral de 2020.

En sociologie, dans le marketing commercial, dans le processus de prise de décisions politiques, les sondages constituent un instrument scientifique reconnu et utilisé pour effectuer des enquêtes d’opinion. Les sondages ont des avantages mais aussi des limites.

Aussi, au lieu d’empêcher les journalistes burundais de diffuser les tendances fournies par les instituts de sondages, il vaudrait mieux former ces professionnels des médias à l’utilisation de ces instruments de mesure de l’opinion et à prendre toutes les précautions afin que les estimations des sondages avant les élections ne constituent pas des outils de propagande mensongère et malhonnête pour influencer le vote du citoyen électeur dans un sens ou un autre.

Par ailleurs, le code de Conduite en période électorale élaboré par le CNC prétend que les médias seront libres pendant la période électorale de 2020 alors qu’il interdit de citer les résultats des sondages lesquels constituent une source d’information. Les instituts sont d’ailleurs régulés par un code de déontologie spécifique. Le CNC ne propose pas vraiment un code de conduite cohérent. Il est plutôt contradictoire car il affirme une liberté qu’il anéantit ensuite dans les faits.

La troisième violation flagrante des trois libertés fondamentales du citoyen burundais et des médias relatives à l’information et à la communication se trouve dans le fait que plusieurs médias privés burundais ont été bannis, détruits, incendiés et que des centaines de journalistes burundais ont été poussés à l’exil. A l’évidence, le Code de conduite proposé par le CNC n’accorde aux médias en exil absolument aucune chance pour couvrir les élections de 2020. Ce code est en plus superfétatoire.

Comment ?

La régulation du domaine de l’information et de la communication est déjà régie par de nombreuses dispositions légales contenues dans la Constitution, la Loi régissant les médias, le Code d’Ethique, le Code de Déontologie, le Code pénal, le Code civil et les instruments internationaux. Tous ces documents constituent la source du droit des médias au Burundi.

Fallait-il vraiment en rajouter et édicter encore un autre instrument de régulation qui, à l’évidence traduit plutôt la méfiance et la crainte que les pouvoirs publics nourrissent à l’égard des journalistes et des médias burundais ?

Pour autant, il est tout à fait légitime et même louable que les institutions, organes et administrations de l’Etat et en l’occurrence le CNC, attirent l’attention des médias et des journalistes burundais sur la situation délicate et hautement sensible des périodes électorales.

Mieux, le CNC, devrait aider les médias et les journalistes afin qu’ils assurent une couverture professionnelle de grande qualité à tout le processus électoral. Celui-ci a déjà commencé d’ailleurs et s’achèvera après les élections de 2020.

Que faut-il faire?

Ainsi, le CNC, comme le ministère de la Communication, seraient mieux inspirés en organisant d’ores et déjà, une série d’ateliers de formation pratique et concrète à l’intention des journalistes politiques qui, dans leurs médias respectifs, assureront la couverture de ce processus électoral.

Des programmes de formation similaires ont été organisés dans le passé. A titre d’exemple, grâce au soutien de l’UNESCO, nous étions une équipe de journalistes internationaux à avoir organisé des ateliers de formation en faveur de 120 journalistes burundais provenant de tous les médias et ayant assuré la couverture des élections de 2005.

En outre, grâce à l’ONG hollandaise, La Benevolencija, et un financement du DFID, un organe de la coopération du Royaume Uni de Grande Bretagne, une équipe de 16 journalistes expérimentés, provenant des médias privés et publics, écrits, numériques et audiovisuels a été formée en matière de couverture d’un processus électoral de 2010. J’ai été sollicité, en tant que consultant, pour coordonner la formation de ces collègues et je sais combien ce genre de programmes de formation est efficace et apprécié par les journalistes burundais.

Au cours de ces ateliers de formations, des spécialistes permettent aux journalistes d’explorer et de maîtriser la loi électorale, la structure de la Commission Nationale Electorale, le vocabulaire des élections (bulletin, vote, scrutin, etc.), les enjeux politiques, économiques, écologiques, sociaux, d’éducation, de santé, de production et de sécurité alimentaire, les enjeux de la création des emplois, et des entreprises, du chômage, etc. Tous les enjeux majeurs que les partis politiques inscrivent généralement au cœur de leurs programmes électoraux.

Ensuite, les journalistes préparent et effectuent des reportages sur le terrain à travers le pays, interrogent les citoyens et les acteurs politiques sur ces sujets, rédigent des articles ou produisent des programmes audiovisuels qui sont, ensuite, corrigés et finalisés au cours de séances collectives avant d’être diffusés dans les médias respectifs.

Le CNC devrait plutôt privilégier ce type d’action concrète et réaliste. En outre, les ateliers de formation ont l’avantage de permettre aux journalistes burundais de maîtriser progressivement la complexité du processus électoral et d’intégrer sans peine et crispation les dispositions légales qui régissent les libertés fondamentales des citoyens et des médias burundais en période électorale et aussi dans la vie normale du pays.

Propos recueillis par Fabrice Manirakiza

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