Vendredi 26 juillet 2024

Politique

Arthémon Simbananiye emporte beaucoup de secrets

25/07/2024 5
Arthémon Simbananiye emporte beaucoup de secrets
La couverture du livre d’Arthémon Simbananiye

Honni par de nombreux Burundais qui lui attribuent, à tort ou à raison, un présumé plan éponyme d’extermination de l’élite hutu en 1972, ce proche du président Michel Micombero n’a jamais fait l’unanimité jusqu’à sa mort, le lundi 22 juillet. Dans son livre, Arthémon Simbananiye nie tout.

Tout ce qui fait référence à cet ancien ministre de la Justice sous Mwambutsa, puis sous Ntare V et même sous Micombero, tombeur de la monarchie burundaise et présumé responsable de ces tragédies, dont celle de 1972, suscite polémiques et controverses.

L’homme a occupé de hautes fonctions. Cet ancien procureur de la République, puis patron des services secrets, secrétaire d’État, ambassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire après la dissolution du gouvernement par le chef de l’État Michel Micombero le 29 avril 1972, a terminé sa carrière en tant qu’ambassadeur du Burundi auprès de l’ONU à New York et auprès de l’OUA à Addis-Abeba sous Bagaza, avant de devenir pasteur.

Et c’est sous cette dernière casquette que cet homme, réputé stratège, a tenté et réussi à se rapprocher du pouvoir du président Pierre Nkurunziza. Mais pas pour longtemps, l’histoire l’a rattrapé, l’obligeant à s’éclipser, à se murer dans le silence avant de prendre le chemin de l’exil pour se consacrer à écrire ses mémoires afin de s’expliquer et de démentir tout ce que l’opinion lui a « collé ».

Les quelques journalistes qui ont essayé d’en savoir plus sur le fameux plan, le « plan Simbananiye », n’ont jamais réussi à le faire parler. L’homme était toujours sur la défensive. « S’agissant de l’interview que j’ai eue avec la BBC en 2008, je voudrais préciser que le journaliste, oubliant toute déontologie de son métier, à savoir la neutralité, s’est comporté plutôt comme un accusateur qui m’interrompait tout le temps pour ne pas entendre ma version des faits, étouffant du coup la vérité », se justifie-t-il à la page 287 de son livre, « Mémoires d’un dirigeant burundais dans une période bousculée (1965-1985) ».

Dans la 5ème parution du Magazine Iwacu consacrée aux événements sanglants de 1972, le Groupe de Presse Iwacu a tenté d’avoir une interview avec le Pasteur Arthémon Simbananiye, en vain. Prudent et méfiant, il voyait des pièges partout.

« Mon vœu était d’être directement contacté par Iwacu »

Bref rappel. En 1972, plusieurs localités du sud du pays, notamment à Rumonge, se retrouvent attaquées par des gens armés essentiellement de machettes et se faisant appeler « Maï-Mulele ».  Ils visent des familles tutsi, et  même Bujumbura n’est pas épargné.

Une répression musclée, disproportionnée, voire aveugle, dirigée à l’échelle nationale contre l’élite hutu de l’époque s’ensuit. L’administration, l’armée, la gendarmerie, la police et la jeunesse du parti au pouvoir, l’Uprona, appelée en renfort, constituent la machine répressive.

Au chapitre de la répression dans le Magazine Iwacu No 5, consacré cette tragédie de 1972, Iwacu écrit que « pour une large opinion, le terrible « Plan Simbananiye » a bel et bien existé, car les événements sanglants de 1972 dépassent une simple répression. Cependant, interrogé par la BBC en 2008, Arthémon Simbananiye a nié toute responsabilité. Contacté par le Groupe de presse Iwacu, il a refusé tout commentaire ».

Pourtant, à la page 286 et à la page 287 de son livre, Arthémon Simbananiye parle des « insinuations du Groupe de presse Iwacu. » Sans vérification et sans preuves, explique-t-il dans son livre, le groupe de presse Iwacu affirme subtilement dans un article d’avril 2012 que le « Plan Simbananiye » a existé.

Avant d’entrer dans le vif du démenti, fait-il comprendre, je fais la mise au point suivante : Je n’ai pas été contacté directement par le Groupe Iwacu mais plutôt par une personne chargée du protocole auprès de l’ancien président Ntibantunganya et qui se disait être parent proche de la personne du Groupe de presse Iwacu qui voulait s’entretenir avec moi au sujet des événements tragiques d’avril 1972.

« J’ai vite compris qu’il y avait là un piège que je devais éviter. Autrement, si j’avais reçu un message du Directeur Antoine Kaburahe, pour lequel j’ai du respect, ou du Groupe Iwacu, j’aurais accepté sans hésiter un seul instant l’invitation », écrit Arthémon Simbananiye.

Interrogé, Antoine Kaburahe indique que les explications de M. Simbananiye ne tiennent pas. « Il aurait pu m’appeler pour vérifier si la personne qui l’a contacté était réellement d’Iwacu, c’est trop facile de se dédouaner comme ça. La réalité, c’est que M. Simbananiye était très difficile à contacter, il évitait les journalistes comme la peste ».

Arthémon Simbananiye se justifie encore :  À la page 30 de ce magazine, il est écrit que : « D’après les enquêtes que le Groupe de Presse Iwacu a menées, du nord au sud et de l’est à l’ouest, la répression s’est faite de façon coordonnée et simultanée. » Et donc, d’insinuer du coup que le « plan Simbananiye » a bel et bien existé.

Qu’il y ait eu répression, poursuit-il, on ne saurait le nier, mais de là à affirmer que la responsabilité m’incombe, c’est tout simplement une accusation sans fondement puisqu’à l’éclatement de la crise le 29 avril 1972 et dans les semaines qui ont suivi, je n’avais aucune responsabilité dans la décision.

« Je n’étais ni le président de la République, ni le chef d’état-major de l’Armée nationale, ni membre du Conseil suprême de la révolution. Je venais juste, ce jour fatidique du 29 avril 1972, d’être révoqué comme tous les membres du gouvernement. » Mais c’est ce même jour qu’Arthémon Simbananiye sera l’homme de confiance de Micombero qui le nomme ambassadeur extraordinaire et ministre plénipotentiaire.

Sylvestre Ntibantunganya : la répression était planifiée

Interrogé dans le cadre de ce magazine consacré à la tragédie de 1972, l’ancien président Sylvestre Ntibantunganya n’y va pas avec le dos de la cuillère.

Selon lui, il n’y a pas à douter, le « Plan Simbananiye » est une triste réalité. «Tout ce qui a été dénoncé par le Commandant Martin Ndayahoze, Hutu, ministre de l’Information sous Micombero, va arriver en 1969 :  Il y a une tentative de coup d’État dans laquelle sont impliqués des hommes politiques et des officiers hutu dont les commandants Charles Karorero, Nicodème Katariho et le capitaine Bazayuwundi. Le procès est prononcé, ils sont exécutés ».

Dans ce magazine, l’ancien président Ntibantunganya se rappelle aussi de cette tentative de renversement des institutions de 1971. Cette fois-ci, l’ancien chef d’État raconte qu’elle était l’œuvre des Tutsi de Muramvya. Parmi eux, Lazare Ntawurishira, Jérôme Ntungumburanye, Marc Manirakiza, etc. « Toutefois, ils seront graciés par Micombero ».

Dès le 30 avril 1972, raconte-t-il, il y a les premières arrestations qui s’accompagnent d’exécutions de hauts responsables au niveau de l’armée et du gouvernement. Il témoigne avoir vu de ses propres yeux une fosse commune à l’endroit appelé « Ku Mahwane » à Mugera.

Le président Ntibantunganya dit ne pas comprendre cette attitude d’arrêter des Hutu jusque dans les écoles primaires avec des listes préétablies. Et de s’interroger : « Qui les a élaborées ? Sont-elles tombées du ciel ? »

Pas de « Plan Simbananiye »

D’autres personnalités, dont l’historien et spécialiste de la région des Grands-Lacs Jean-Pierre Chrétien et l’ancien chef de la diplomatie burundaise sous la monarchie et retraité de l’ONU, Marc Manirakiza, -condamné à mort puis gracié dans l’Affaire Ntungumburanye -, affirment ne pas connaître ce « Plan Simbananiye » et qu’il n’a jamais existé : « Je n’ai jamais vu un tel document écrit, structuré. Mais ce qui est sûr, c’était l’impunité totale pour tuer un Hutu. Un Tutsi qui tuait un Hutu ne risquait rien. On peut appeler cela comme on veut, mais telle était la réalité ».

Signalons que lors de la présentation du rapport de la Commission Vérité et Réconciliation devant les deux chambres du Parlement en 2021 sur la tragédie de 1972, le président du Sénat, en même temps pasteur Emmanuel Sinzohagera, a demandé à cet ancien proche du Président Michel Micombero de se repentir : « En tant que Pasteur, j’appelle le Pasteur Arthémon Simbananiye, cité dans différents rapports, à demander officiellement pardon aux Burundais. Il aura ainsi libéré beaucoup d’âmes qui ne cessent de se plaindre contre lui ».

 

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Gugusse

    Si je croyais en Dieu, je dirais que ce personnage ignoble aille rôtir en Enfer. Qu’il ait pu vivre aussi longtemps, en paix, avec tant de crimes sur sa conscience me laisse pantois. Pasteur de me deux!

  2. Rukaramu

    Il( Simbananiye) n’évitait pas les témoignages, tout seulement le climat n’est pas encore favorable.

  3. PCE

    Tous des menteurs ces politiciens! Et Simbananiye et Ntibantunganya! Tous dans le même panier. Je me demande à quoi servent les « Mémoires » des dirigeants africains et en particulier des Burundais. Demandez à Ntibantuganya si le plan d’extermination des tutsi à la mort de Ndadaye était prévu ? Il vous dira certainement non! Ajoutez y s’il a un jour parlé de  » jedebu  » en 1993 lors des funérailles de Feu Président Ndadaye ? Il vous dira non . Je n’accorde pas la moindre confiance à aucun politicien burundais pour nous donner les faits et rien que les faits lorsqu’il écrit ses mémoires . Je n’accorde de confiance qu’à ceux qui ne parlent pas , au moins eux se taisent et refusent de raconter des bobards. Et même le livre de Feu Pierre Buyoya , j’ai refusé de le lire car je savais d’avance que ca n’était ques des « mémoires » pour défendre sa politique. Qu’on défende sa politique au moment du pouvoir, ce n’est pas mon problème . Mais après le pouvoir il faut savoir « évaluer » sa politique pour dire que la « mission était impossible » . Par ailleurs faut il vraiment dire la vérité au Burundi et surtout en tant qu’ancien homme d’Etat ou politicien ? Ce n’est certainement pas ce que je conseille . Les Burundais ne sont pas murs pour cet exercice . Et tant pis pour eux ils ne sauront jamais la vérité.

    • Kiburundi

      D’abord tu refuses de lire des mémoires et tu viens applaudir ceux et celles qui refusent de parler, ensuite. Mec, tu fais partie du problème du genre un cancer incurable.

      • Kabingo dora

        @ Kiburundi
        Et vous donc , que proposez vous ? Pce est plutôt réaliste mais vous , vous brassez le vent . Salut l’hypocrite .

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