Avec ses centaines de ruches, cette association a créé des emplois et préserve aussi la nature ! Alexis Nikiza, 36 ans, directeur national, nous raconte une aventure d’entreprenariat qui compte bien se développer encore.
Pourquoi avoir choisi l’apiculture ?
Le but de notre « Association pour la Protection des Ressources Naturelles pour le Bien-être de la Population au Burundi » est de participer à la sauvegarde de la biodiversité autour et à l’intérieur du parc National de la Ruvubu. Cette commune de Mutumba (province Karusi, collines Rabiro et Mubaragaza) était très menacée par les feux de brousse. Or, en favorisant la pollinisation, grâce aux abeilles, nous permettons la reproduction des plantes dans le Parc et dans les agroécosystèmes. En outre cette activité assure de nouveaux revenus à la population.
Au-delà de son goût, quelle est l’utilité du miel ?
Plusieurs personnes l’utilisent comme médicament contre les brûlures sur la peau dont il favorise la cicatrisation rapide et contre la prévention de plusieurs maladies. Le miel, regorgeant d’éléments nutritifs, guérit la toux, la grippe, les maux de gorge et d’estomac…
Depuis combien de temps vous êtes-vous lancé dans cette aventure ?
L’APRN/BEPB a été agréée 2003 mais nous avons commencé réellement à travailler ici à Mutumba en 2006.
Vous employez combien de personnes ?
Nous sommes en tout une vingtaine : les douze membres de l’association, huit travailleurs permanents avec des contrats à durée indéterminée et des temporaires.
Parlez-nous du processus, de l’installation des ruches à la commercialisation de miel.
Pour commencer, il faut identifier l’endroit où on va installer les ruches traditionnelles ou modernes (ibitiba), un lieu où les abeilles ne seront pas dérangées et auront un accès facile à l’eau et à des fleurs. Ensuite on construit un hangar en matériaux durables avec une toiture en tuiles dans lequel on installe les ruches. D’autres sont laissées en haut des arbres pour la même finalité. Les ruches doivent toujours être tenues propres pour éviter l’intrusion d’autres insectes. Il faut attendre trois jours, trois semaines, voire un mois pour que les abeilles rentrent à l’intérieur des ruches. La récolte a lieu deux ou trois fois l’an en fonction des variations climatiques.
Les cadres contenant les alvéoles de cire (ibimamara), dans lesquelles les abeilles déposent le miel sont alors retirées des ruches et placés dans un extracteur du miel (fabriqué par des centres spécialisés). Il ne reste plus qu’à mettre le miel dans des bouteilles pour le vendre.
A combien vendez-vous un kilogramme de miel ?
1 kg de miel coûte 7000 Fbu. Un prix raisonnable vu le coût du transport de la marchandise, les salaires du personnel, etc.
Votre production annuelle s’élève à combien de kg ?
Tout dépend de la variation du climat. Notre production annuelle varie autour de 1000 kg.
Combien de ruches entretenez-vous ?
90 ruches modernes sur la colline Rabiro, 80 ruches modernes à Kirundo, 60 ruches modernes à Bururi, etc.
J’imagine que vous employez des techniciens compétents …
En effet, la plupart de nos apiculteurs (abavumbi), ont hérité de leurs parents la technique de production du miel. Mais nous organisons des formations pour renforcer leurs capacités.
Avez-vous des clients malgré la présence sur le marché d’autres producteurs de miel ?
Nous avons des clients parce que nous produisons du bon miel. Ils viennent de toutes les provinces du pays.
Toutefois, leur nombre a diminué à cause de la crise actuelle, notamment celui des touristes qui achetaient notre produit à Gatumba où nous avons un point de vente.
Quelles difficultés rencontrez-vous ?
Il arrive que la production baisse à cause des variations du climat. A cela s’ajoute le (manque d’un appui financier qui nous permettrait de bien nous équiper et de renforcer nos interventions.
Quelle collaboration y-a-t-il entre l’APRN/BEPB et le ministère de l’Environnement ?
Nous collaborons étroitement avec le ministère. Il nous donne essentiellement un appui technique sur le terrain.
L’Association travaille seulement dans la commune Mutumba ?
Non, nous avons d’autres antennes dans la province de Kirundo, Bujumbura rural et à Bururi.
Comment vous en sortez-vous en tant que Directeur national de l’association ?
Ce n’est pas toujours facile mais je m’en sors très bien. Nous avons un comité exécutif compétent et très actif pour le bon fonctionnement de l’APRN/BEPB. Je suis également en collaboration avec plusieurs autres associations nationales et internationales ce qui me permet de bénéficier de leur expérience.
Avez-vous d’autres projets en cours pour sauvegarder la biodiversité ?
Nous encadrons la population pour qu’elle améliore la protection du sol, en luttant contre l’érosion, en traçant les courbes de niveau, en plantant des arbres (surtout autochtones). Nous la formons pour qu’elle s’adapte aux changements climatiques et qu’elle sache en atténuer les effets en installant des foyers améliorés. Nous stimulons l’exploitation rationnelle des ressources naturelles : vannerie, notamment ; le repeuplement du cheptel, en luttant contre le braconnage ; l’amélioration des moyens de subsistance de la population, etc.
Vos perspectives d’avenir ?
Nous voulons développer la filière miel, augmenter le nombre de nos ruches, renforcer la capacité technique, rechercher d’autres marchés locaux et internationaux et d’autres partenaires.
L’APRN/BEPB est membre de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et préside actuellement son Comité National Burundais composé par cinq organisations à savoir (ABN, FCBN, ATG et ODEB). De par cette position, l’APRN/BEPB compte contribuer efficacement à la mise en œuvre des politiques et stratégies nationales en matière de conservation de la nature. Notamment la restauration des paysages pour laquelle le Burundi s’engage à restaurer 2millions d’ha d’ici 2020. Cette restauration prendra en compte la conservation de la nature et les services éco systémiques qui participent à l’amélioration des conditions de vie de la population.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune entrepreneur ?
Il faut une détermination, un engagement profond, une vision. Il ne faut pas avoir peur de se lancer dans l’entreprenariat. Au cours de l’aventure, il faut échanger, apprendre des autres entrepreneurs pour grandir. Il faut oser entreprendre.
Bio express
Alexis Nikiza a fait le lycée du Saint-Esprit qui est parmi les plus réputés du pays. Il a continué son cursus scolaire à l’université du Burundi dans le département de biologie. Une semaine après la défense de son mémoire, où il a eu 16/20, il a signé un contrat avec l’APRN/BEPB. Assidu, il a pu décrocher des formations, à l’étranger, pour renforcer ses capacités dans son domaine. En Chine, les formations sur entre autres la méthode de culture des champignons et aux Pays-Bas sur l’utilisation des ressources génétiques, etc. Membre de plusieurs associations, M. Nikiza valorise son temps en dehors des heures de travail. Ce père de deux enfants, joue au volley-ball, fait du karaté, aime prier et dirige la chorale qui chante pendant la deuxième messe du dimanche matin à la cathédrale Rgina Mundi.
Témoignages
« Il faut qu’il reste sur le même cap »
Le directeur exécutif de l’Association Burundaise pour la protection de la Nature est fier de travailler avec l’APRN/BEPB.
« Je suis bien placé pour dire que les activités de l’APRN/BEPB sont louables », témoigne Charles Rugerinyange, directeur exécutif de l’Association Burundaise pour la protection de la Nature (ABN). « Compte tenu de la morosité du climat d’affaires je donnerais à M. Alexis Nikiza, une note de 7/10 ». Il est clair, souligne-t-il, que l’association participe à l’amélioration du bien-être de la population. Notamment grâce aux revenus supplémentaires qu’elle lui permet, en plus de ceux qu’elle tire de l’agriculture de subsistance. « Du coup, constate-t-il, les besoins familiaux sont couverts ».
M. Rugerinyange conseille à M. Nikia de garder le cap, mais de chercher d’autres partenaires financiers. Il ajoute qu’un autre projet, similaire à celui de Karusi, va les réunir dans la province de Bururi. Il s’agira d’un programme en plusieurs volets : l’apiculture, vulgarisation des foyers améliorés, et sensibilisation sur l’importance de la réserve forestière naturelle de Bururi.
« Nous avons sélectionné ce projet»
Le coordonnateur national du fonds pour l’environnement mondial parle d’un projet intéressant qui a été facilement financé.
L’apiculture est une activité très importante, apprécie Philbert Mundanda, coordonnateur national du fonds pour l’environnement mondial/programme des micro-subventions au PNUD. Ce fonds a financé l’achat des machines pour l’APRN/BEPB. « Lorsque l’association a soumis le projet d’élevage des abeilles chez nous, il a été apprécié et sélectionné par le comité de pilotage. »
M. Mundanda reconnaît que les activités de l’association, qui sont orientées vers l’apiculture, participent à la protection des espèces végétales et animales et son miel est bien traité donc de bonne qualité. « Son produit est très apprécié par beaucoup de gens. D’ailleurs, chaque fois que je fais une descente à Karusi, j’achète du miel de l’APRN/BEPB. Sinon je m’approvisionne au siège de l’association. »
Conseils d’un pro
« L’idée de produire du miel est excellente »
Le directeur général du Burundi Business Incubator conseille à l’APRN de viser à l’autonomie financière, plutôt qu’à la recherche de subventions.
« L’idée de produire du miel est excellente » affirme Pierre-Claver Nduwumwami directeur général du BBIN : « Le marché existe et le miel est très recherché surtout en Asie où 1 kg peut se vendre à 500 dollars s’il est de bonne qualité. Et le miel du Burundi est très prisé»
Il souligne toutefois que pour répondre aux normes de qualité de ce produit, une entreprise doit disposer d’équipements performants et des personnels compétents. L’APRN en a besoin aussi. Si ces conditions sont respectées, l’entreprise est prête à faire face à la concurrence d’autres petits entrepreneurs locaux regroupés dans des associations (Umutsama, Coped Bururi, API Miel, les différents diocèses catholiques,…). En effet, ces concurrents de l’APRN produisent également du miel mais n’arrivent pas à satisfaire le marché local ou international pour des raisons de qualité citées plus haut. « Nous sommes en train de tout faire pour mettre en place une chaîne de « valeur miel » (Un label de qualité) pour appuyer ces associations, les aider à s’organiser afin de produire un miel de qualité et en quantité suffisante. »
Pour bien s’implanter, l’APRN doit bien connaître le marché, doit être compétent, doit acquérir de bonnes techniques managériales et un équipement performant. La BBIN affirme vouloir appuyer les apiculteurs entre autres de la province de Cibitoke pour les aider à surmonter les difficultés et à choisir les zones où ils souhaitent travailler.
Il conseille à l’APRN d’éviter de toujours chercher des financements gratuits : il faut penser plutôt à être autonome financièrement en vendant leur produit pour dégager des revenus et couvrir les frais de fonctionnement.
L’apiculture, rappelle-t-il, est un élevage et un métier comme tant d’autres et qui est porteur. Il suffit de bien entretenir les abeilles pour éviter qu’elles tombent malades, mieux les comprendre en acquérant les meilleures pratiques dans le domaine de l’apiculture.
Mr Alexis gagnerait beaucoup en étendant son activité vers certains pays de l’Afrique de l’ouest où presque seuls les batwa vendent le miel produit par des abeilles dans de grandes forêts (aucune ruche). Mais attention la grande quantité de miel consommé dans ces pays, vient d l’Europe et la concurrence risque d’être inacceptable. Mais à quand la coopération Sud-Sud ?
felicitation Mr alexis