Vendredi 22 novembre 2024

Société

Après la rue, la rue

29/10/2018 Commentaires fermés sur Après la rue, la rue
Après la rue, la rue
Des enfants en situation de la rue dans un centre d’accueil attendent le retour dans leurs familles natales.

Le gouvernement a tenté de réintégrer des enfants en situation de rue dans leurs familles respectives. Que sont-ils devenus après réinsertion ? Iwacu est allé à la rencontre de ces enfants qui ont du mal à revivre chez eux.

Sortir les enfants de la rue, les réinsérer chez eux. Un projet de l’Etat louable. G.N., 14 ans, a retrouvé son toit, chez elle dans la zone Muyira, en commune Kanyosha. Elle a été réinsérée dans sa famille d’origine après un séjour d’une semaine dans un centre d’accueil de la FVS Amade, une Association Burundaise des Amis de l’Enfance.

Orpheline de père et de mère, elle est l’aînée d’une fratrie de 5 enfants. Pour subvenir aux besoins de ses frères et sœurs, elle faisait du commerce ambulant dans la ville de Bujumbura. « Selon les saisons, je vendais des mangues, des avocats ou des bananes ». Elle assure que sa vie et celle de ses frères et sœurs allait bien. Elle évoque son ancienne vie avec un brin de nostalgie.

« Je ne me suis jamais considérée comme un enfant de la rue. Je faisais le commerce pour faire survivre mes petits frères et sœurs. Je suis prête à y retourner pour qu’ils puissent vivre», raconte G.N d’un ton amer, le visage sombre.

Elle dit que tout a basculé le jour où elle s’est retrouvée dans un convoi vers un centre d’accueil, lors d’une rafle des enfants de la rue.

A Muyira, chez elle, la jeune fille n’est pas heureuse. Elle dit qu’elle est prête à retourner dans la rue dès la première occasion. « En ville, je pouvais me faire un peu d’argent et satisfaire les besoins vitaux de mes frères et sœurs ».

Depuis son retour à la maison, la vie de sa petite famille a viré au cauchemar. « J’essaie de me débrouiller avec le petit commerce, mais ici ce n’est pas du tout rentable ».
Son oncle paternel, François Nyabenda, ne peut pas l’aider elle et ses petits neveux et nièces. « Je dois nourrir ma propre famille. Avec cette pauvreté, c’est vraiment difficile de m’occuper de deux familles. Elle doit se débrouiller ».

L’oncle salue l’initiative de l’Etat mais trouve que le gouvernement devrait les aider après leur réinsertion. « Certes, ces enfants étaient en danger dans la rue, mais leur retour dans les foyers ne suffit pas. Il faudrait un suivi et surtout une aide financière pour éviter qu’ils retournent dans la rue».

M. Nyabenda indique que certains de ces enfants mineurs, comme sa nièce, sont obligés d’assumer des responsabilités. L’Etat devrait les sensibiliser à se réunir en associations pour les accompagner dans l’élaboration des petites activités génératrices de revenus(AGR).

Un retour illico

E. N, 12 ans a été récemment réintégré dans sa famille. C’est dans la zone Bwoga de la province Gitega. Ceux qui sont chargés de la réinsertion dans la province de Gitega croyaient qu’il était toujours à l’école. « On lui a donné des uniformes et du matériel scolaire pour qu’il retourne à l’école », raconte Annonciate Niyakire, chargée de la réinsertion au centre de développement familial de la province de Gitega.

C’est lors d’une visite chez le petit garçon que les voisins lui ont appris que depuis une semaine l’enfant est retourné dans la rue. « Il avait tout le matériel scolaire et l’uniforme comme les autres. Mais depuis une semaine, il a disparu, on ne le voit plus».

D’après les voisins, les parents d’Emmanuel se querellent tous les jours et après l’école ce garçon n’avait rien à manger à cause de l’irresponsabilité de ses parents. « Peut-être qu’il en avait marre des querelles de ses parents».

C’est presque la même histoire chez C.N., une jeune fille rencontrée au centre-ville de Bujumbura. Il est 18h 30, dans le centre-ville, tout près du lieu communément appelé « Palais des Arts ». Une jeune fille trimbale les cartons qui servaient d’emballage aux produits de beauté. Insouciante, elle s’amuse au milieu de la route, grâce aux feux rouges qui empêchent les voitures de l’écraser.

La fondation Stamm, une association burundaise à but humanitaire qui soutient les personnes vulnérables et les enfants, l’avait aidé à retourner dans sa famille. Originaire de Bubanza, la fillette est vite revenue vers la rue. « Je ne pouvais pas rester à la maison alors que mon père ne me donne pas à manger ».

Sa vie est triste. Elle est née d’une mère malade mentale qui a failli l’égorger à la naissance n’eût été l’intervention d’une voisine. Cette dernière l’amène dans un orphelinat. À 7 ans, l’orphelinat va la remettre à sa famille. Son papa refuse de l’accueillir arguant que ce n’était pas son enfant.

Finalement, après des conseils des voisins, son père vient la récupérer. Mais la fillette n’a personne pour s’occuper d’elle. Elle passe son temps à errer dans son village natal. Elle finit par s’accrocher à un camion en route pour Bujumbura. « Il faisait presque nuit quand j’ai atterri dans cette ville. Je me suis vite familiarisée avec un groupe de jeunes filles que j’ai rencontré ici. »
Pour elle, la vie dans la rue est meilleure que ce qu’elle a connu après avoir été refoulée de l’orphelinat. « Ici, je quémande et je parviens à avoir l’argent pour m’acheter de la nourriture alors qu’à la maison je ne trouvais pas à manger ».

Toutefois, elle admet que vivre dans la rue est une rude épreuve. « Parfois, on subit des harcèlements sexuels. Mes deux amies sont déjà enceintes. Mes consœurs ont aussi des soucis quand elles ont leurs règles suite au manque de serviettes hygiéniques ».

La jeune fille admet qu’elle ne voit pas ce que lui réserve l’avenir, mais se résigne à vivre au présent et à s’amuser tant qu’elle peut. « Je mène une vie solitaire et misérable, mais je n’ai pas d’autres choix».

« Il faudrait une préparation minutieuse »

Pr Joseph Ndayisaba : « Ils n’ont nulle part où aller si ce n’est que la rue, leur maison, finalement.»

Selon le professeur Joseph Ndayisaba, orthopédagogue, le retour dans la rue de ces enfants est inévitable. « Ce qu’ils ont fui dans leurs familles demeure».

Ce professeur d’université précise que beaucoup d’enfants fuient la misère qui sévit dans leurs familles. « Selon une étude faite par des étudiants en 2014, les enfants de la rue fuient d’abord la misère. Certains parents ne sont pas capables de faire face aux besoins élémentaires et vont même jusqu’à exiger à ces enfants de pourvoir aux besoins de la famille ».

Selon lui, il faudrait une préparation minutieuse des familles afin que la réinsertion soit durable. « Pour réinsérer l’enfant, il faut une préparation méticuleuse afin d’améliorer la situation qu’il a fuie».

Selon l’universitaire, « il faudrait élaborer un plan à long terme pour éradiquer ce phénomène ».
M. Ndayisaba déplore que les enfants qui naissent dans la rue soient des candidats à la rue. Ils ne sont sous aucun contrôle, ni celui des parents, ni de tous ceux qui veulent s’occuper d’eux. « Ils n’ont nulle part où aller si ce n’est dans la rue, leur maison, finalement ».

Pour lui, il y a toujours un défi vu que l’Etat n’est pas à mesure de prendre en charge ces enfants. « Si la famille est incapable de prendre en charge l’enfant, l’Etat devrait prendre la relève ». Néanmoins, cette tâche n’est pas facile, elle est même presque impossible dans une société qui s’est monétarisé. « C’est pourquoi malgré les rafles, on voit toujours des enfants qui sont dans la rue », conclut-il.

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