Après l’attentat manqué, Manassé Nzobonimpa reste toujours engagé pour le changement. Pour lui, la guerre reste l’ultime recours. Il veut encore privilégier la paix. Hors du pays, le député a accepté de parler à Iwacu.
Il n’y a pas longtemps, vous avez été la cible d’un attentat à Kampala. Qui serait derrière ?
D’après mes investigations, Godefroid Niyombare, chef d’Etat major de l’armée et Jérémie Ngendakumana, président du parti Cndd-fdd, avaient passé cette nuit à Kampala. Je ne dis pas qu’ils étaient dans le coup. Mais, j’ai des soupçons. Je me demande s’il s’agit d’une simple coïncidence.
Pensez-vous que cet attentat a un rapport avec votre adhésion au Rassemblement des Patriotes pour la Restauration de la Démocratie (RPD-Abanyagihugu) ?
Je ne saurais pas le dire. Toutefois, compte tenu des fonctions que les deux personnalités occupent au pays et des accusations que je porte toujours à leur endroit, il y a lieu de s’interroger.
Où sont les responsables de ce mouvement et quelle force dispose ce mouvement quand on sait que même l’ADC se dit malmené par le pouvoir ?
Je suis moi même malmené par ce pouvoir alors que je ne suis qu’un simple conseiller de ce mouvement. Qu’en serait-il pour ses dirigeants s’ils se prononçaient publiquement ? Je ne peux donc pas vous révéler leur identité. Ce serait mettre leurs vies en danger comme ce qui m’arrive actuellement. Le temps viendra où ils se dévoileront. Sachez tout simplement qu’ils existent sur toutes les collines du pays. Notre force vient de nos idées mises ensemble avec d’autres Bagumyabanga qui n’ont plus de cadre d’expression. Sans oublier les millions des Burundais qui aspirent au changement. Donc notre force c’est le peuple.
Vous aviez déclaré que vous ne quitteriez pas le parti présidentiel. Pourtant, vous venez d’adhérer au RPD.
En réalité, ce mouvement dont je suis d’ailleurs le conseiller principal, a été créé par des militants du CNDD-FDD- Abagumyabanga- qui n’ont plus un cadre d’expression. Il ne s’agit pas d’un parti politique. Depuis qu’ils se sont vus refuser la parole, malmenés et chassés, ils se sont réunis à Teza (Muramvya) pour créer ce cadre. C’est un mouvement constitué par des personnalités qui ont gardé la devise du CNDD-FDD, des gens qui ont lutté pour une cause noble. Nous voulons donc protéger le parti aujourd’hui dirigé par des vautours (Ibisiga) pour empêcher sa disparition.
Quand vous dites des vautours, à qui faites-vous allusion ?
Ceux qui dirigent le parti présidentiel actuellement.
Certains pensent plutôt à une branche armée…
Tous les mouvements ne sont pas armés. Cela dépend des objectifs que les membres se sont fixés. Nous voulons avoir un cadre d’expression pour que les Burundais sachent que ce qui se fait est contraire à l’idéologie et au programme du parti CNDD-FDD. Si vous lisez les objectifs du CNDD-FDD, vous vous rendrez compte que les dirigeants actuels font le contraire. Ils feraient mieux d’adhérer à un autre pour ne pas ternir l’image de notre parti.
Nous avons vu des mouvements naître, certains pour la défense de la démocratie, d’autres pour défendre la cause hutu, par exemple. Précisément, quelle est la plus-value du RPD- Abanyagihugu ?
Notre combat est politique. Il est basé sur la défense de l’idéologie du parti CNDD-FDD, aujourd’hui menacée. Par exemple, il y a 39 résolutions qui ont été adoptées lors du 1er congrès de ce parti tenu du 7 au 8 août 2004 à Gitega, où a été décidée à la transformation du mouvement CNDD-FDD en parti politique.
Pourquoi insistez-vous sur les résolutions de ce congrès ?
L’article 19 du règlement d’ordre intérieur du parti, stipule que tout membre du CNDD-FDD coupable de détournement des deniers publics sera exclu du parti. En outre, précise l’article 31, « il sera vomi et acculé au remboursement des biens volés ». Et selon l’article 29 le parti CNDD-FDD doit lutter pour une bonne gouvernance basée sur le respect du peuple et la promotion des experts animés d’un esprit patriotique. En vue d’être exemplaire, tout membre du CNDD-FDD promu aux fonctions de l’Etat est, en outre, appelé au strict respect de la chose publique, à la lutte contre l’injustice, la corruption, la torture, le mépris de ses administrés. Que les gens fassent alors une comparaison avec les engagements de 2004, ils verront une pure contradiction.
Des hommes armés perturbent la sécurité dans plusieurs localités du pays. Pourquoi d’après vous ?
Je reviens sur le cas du ministre de l’Intérieur. Car c’est lui la cause de cette insécurité. C’est lui qui a facilité les divisions au sein du parti FNL et qui a soutenu ceux qui voulaient le récupérer. Dites-moi, où sont Agathon Rwasa, Léonard Nyangoma, Alexis Sinduhije, Pascaline Kampayano et Manassé Nzobonimpa? Tu ne peux pas persécuter les leaders politiques et penser que leurs membres vont rester les bras croisés. Leur colère peut les pousser à de mauvais comportements.
Mais le gouvernement les considère comme des bandits !
Un bandit ne peut pas attaquer une position militaire ou policière parce qu’il n’y a pas d’argent. Que les Burundais ne les qualifient plus ainsi.Parce que comme vous l’avez suivi, ils peuvent mener des attaques sans rien voler. Donc, il ne s’agit pas de voleurs.
Qu’avez-vous fait pour rassurer ces leaders politiques quand vous étiez encore aux affaires?
Nous avions cherché à maintenir la stabilité politique en collaborant avec différents acteurs politiques pour que le CNDD-FDD soit un parti solide. J’avais soumis la proposition au président Conseil des sages. Ce dernier l’avait acceptée et m’avait confié cette tâche. Demandez à Léonard Nyagoma et à Alice Nzomukunda. Je les avais approchés en 2008 et ils étaient prêts à aider pour construire le pays. Et j’avais fait rapport au président du Conseil des sages. Mais Jérémie Ngendakumana a refusé.
Votre message était destiné aux deux personnalités seulement?
Peut-être que le président du Conseil des sages avait mandaté d’autres ; parce que j’ai rencontré seulement les deux personnalités. Comme c’étaient d’anciens membres du CNDD-FDD, il y avait deux possibilités : soit redevenir membres de notre parti et nous aider dans la gestion du Burundi, ou alors rester dans leurs différentes formations politiques, mais en restant fidèles à l’idéologie du parti CNDD-FDD, puisqu’ils ont évolué au sein du même parti. Cela était de nature à le stabiliser parce qu’ils en sont plus capables que d’autres.
L’ADC-Ikibiri réclame des négociations mais le Président de la République refuse. Trouvez-vous fondées les réclamations de l’ADC ?
Le dialogue reste nécessaire même dans un ménage. Je ne suis pas membre de l’ADC-Ikibiri ; mais je soutiens cette idée. En outre, si des gens souhaitent un dialogue pour arrêter les tueries ou la corruption, cela ne signifie pas qu’on va exiger la démission du Président de la République et de son gouvernement. J’ai été choqué par les déclarations du Président de la République parce qu’il a oublié d’où le CNDD-FFD vient. Pouvons-nous nier que notre parti est ce qu’il est grâce aux négociations ? Mais je suis contre un dialogue qui remet en question les institutions en place ; parce qu’il faut renforcer la démocratie.
Sur quoi porterait alors ce dialogue ?
Sur le bon fonctionnement des institutions de l’Etat, comment mettre fin aux détournements et arrêter les auteurs, l’exécution du programme du gouvernement qui existe déjà mais non mise en application, une justice équitable pour tous. Il porterait également sur le déroulement des élections de 2015. Il faut que cette période arrive en toute sérénité. Il faudrait aussi voir comment faire avancer les projets de développement pour que le pays sorte de cette crise économique.
Comptez-vous déjà à collaborer avec l’ADC Ikibiri ?
Il n’y a aucun problème à travailler avec cette coalition car nous voyons de la même chose la situation du pays. Toutefois, le refus des résultats des élections de 2010 nous oppose. J’ai toujours dit que j’exercerai de la politique mais pas de façon mensongère. L’ADC persiste à dire que les élections ont été volées. Mais je peux témoigner que dans les 17 bureaux que j’ai visités, il ne s’est rien passé. Même les observateurs internationaux n’ont rien constaté. Comment Manassé Nzobonimpa peut-il soutenir la position de l’ADC ? Pourquoi le CNDD-FDD n’aurait pas triché dans la capitale et dans la province de Bujumbura où le parti FNL a raflé presque tous les sièges ? Si l’ADC a des preuves, c’est son droit de le dénoncer.
Comment jugez-vous la situation économique ?
Si rien n’est fait dans l’immédiat, la situation va se détériorer. Les prix de tous les produits ont augmenté. C’est à cause de la corruption, des détournements, de la mauvaise gestion du pouvoir. Les gens ne sont pas au travail parce qu’ils ont faim. Même ceux qui aiment le travail sont découragés par ceux qui sont seulement occupés à construire des buildings alors que d’autres croupissent dans la misère. Il y a aussi l’insécurité dans différentes localités du pays qui ne permet pas aux gens de travailler. Tout cela doit cesser pour que les gens aillent au travail et surtout ceux qui ont fui leur pays doivent rentrer.
Et au niveau de la coopération ?
51% du budget national vient de l’aide de la communauté internationale. Pensez-vous que cette dernière va continuer à nous donner de l’argent de ses contribuables pour construire des maisons de dignitaires du pays? Même ces contribuables risquent de se révolter. La communauté internationale n’a pas encore abandonné le Burundi ; mais je ne pense pas que les relations vont continuer ainsi. Un pays qui ne respecte pas les droits de l’homme, qui ne garantit pas la sécurité de sa population, qui n’a pas de politique économique claire, comment va-t-il continuer à entretenir de bonnes relations avec les bailleurs?
L’Olucome a récemment envoyé au G8 une liste de personnalités impliquées dans les actes de corruption au Burundi. Comment avez-vous accueilli cela ?
Cette organisation de la société civile mérite une médaille. Que le peuple burundais reconnaisse ses actions combien louables. Les associations de défense des droits de l’homme devraient faire de même pour que les coupables soient traduits devant la justice nationale, de la sous-région et devant la Communauté internationale.
Certains leaders de l’opposition étaient en tournée dans la sous-région. Avez-vous eu l’occasion de rencontrer l’un ou l’autre ?
Absolument pas. Je l’ai entendu comme tout le monde. Mais d’ores et déjà, c’est une bonne chose. Il n’y a pas de mal à cela car des gens doivent qu’ils le veuillent ou non négocier.
Certaines sources évoquent des négociations qui auraient déjà commencé dans la clandestinité…
Si des préparatifs il y avait, pourquoi Léonce Ngendakumana, président de l’ADC Ikibiri, les réclamerait-il toujours ? Ou bien encore, pourquoi Pierre Nkurunziza les rejetterait –il catégoriquement ? Si c’est le cas, que le pouvoir l’annonce publiquement pour que le sang des Burundais cesse de couler. Est-il normal que les droits de l’homme continuent à être bafoués ?
Un coup de force est possible au Burundi?
C’est une voie sans issue. Quand bien même, il y aurait cette tentative, pourquoi en arriver là ? Les gens qui créent ce désordre ne sont pas nombreux pour déployer tout l’arsenal. Pour tuer une mouche, faut-il un fusil ou un marteau ? Toutefois, les choses vont tout doucement mais en se dégradant. Des génocides, massacres, etc. commencent tout doucement. Est-ce que le Président rwandais Juvénal Habyarimana avait pensé que la situation allait être pire ? C’est pourquoi pour éviter le drame nous appelons le pouvoir au dialogue. Ce n’est pas pour lui arracher des postes, mais pour la sécurité de tous.
Pour vous, le coup d’Etat n’est pas possible ?
Je suis contre cette voie et contre toute violence. Toutefois, compte tenu de la situation actuelle, s’il advenait que quelqu’un vienne en sauveur du peuple avec du sang nouveau, capable d’arrêter les tueries, le vol, les violations des droits de l’homme, etc., nous l’accueillerions favorablement. Le pouvoir doit comprendre que même si nous sommes dans la démocratie, le peuple ne l’a pas élu pour lui donner les pleins pouvoirs de le malmener. Il fait le contraire des principes démocratiques.
Si le gouvernement continue à refuser les négociations, que peut-t-il se passer?
Laissez-moi vous dire une chose. Par rapport à la situation d’il y a trois mois, il y a plus d’armes. Et cela va s’aggraver encore. Le porte-parole de l’armée burundaise a parlé de militaires qui partent pour une destination inconnue. Pensez-vous qu’ils vont cacher leurs armes ou bien ils vont les utiliser?
Peut-être qu’ils ne vont pas déstabiliser le Burundi parce qu’ils ne sont pas si nombreux que cela…
Ah bon! Un seul fusil peut déstabiliser un pays. Je pars de l’expérience que j’ai vécue. Ce n’est pas dévoiler un secret. Je suis resté dans la Kibira au moment où d’autres combattants rejoignaient d’autres localités. J’avais seulement quatre fusils, quatre-vingt cartouches pour quatorze combattants et six parmi eux souffraient de malaria. Pouvons-nous dire que l’armée burundaise est prête pour mener ce combat ? Croyez-vous que les militaires sont naïfs au point de sortir des blindés et d’autres armes contre des bandits? Souvenez-vous des armées égyptienne ou tunisienne. Elles étaient fortes mais vous avez vu comment les présidents ont été chassés. L’armée rwandaise était forte dans la région et la population soutenait le président. Mais où sont-ils pour le moment? Moubutu avait des militaires formés en Israël, des commandos qui avaient subi la formation dans la forêt équatoriale Et il avait beaucoup d’argent. Vous avez vu qui étaient à son enterrement. Souvenez-vous de Laurent Gbagbo. Vous avez vu comment il a été capturé. Même s’il dirige mal le Burundi, je ne souhaite pas que cela arrive à Pierre Nkurunziza.
Une certaine opinion vous croit de mèche avec ceux qui perturbent la sécurité…
Franchement, je n’ai pas envie de faire la guerre. J’aime mon pays. J’ai combattu pour mon pays. J’ai fait la guerre pendant neuf ans et je connais ses méfaits. J’estime donc que le combat doit être politique. Mais tant que le gouvernement burundais enverra ses sbires traquer de simples citoyens ou poser des actes qui incitent les gens à prendre les armes, je ne dirais pas que la guerre est impossible.
Votre mandat à l’Assemblée Législative Est africaine va bientôt prendre fin. Que comptez-vous faire ?
Je crois en Dieu et la Bible nous interdit de nous venger. Savoir si je vais rentrer au pays alors qu’il y a ceux qui veulent me tuer ? Je n’ai pas encore pris cette décision. Car ma logique n’est pas la confrontation, mais la pluralité des idées. Mais quand les Burundais estimeront que la seule voie de sortie de la crise que connait le Burundi est la guerre, je ne tergiverserai pas une seconde. Je franchirai directement les frontières pour aller prendre les armes. Et à ce moment-là, cela ne sera pas la décision de Manassé, mais celle des Burundais.
Comment savoir si les Burundais vont opter pour cette voie ?
Mais il y beaucoup de membres du CNDD-FDD qui ne sont pas contents de la façon dont le pays est géré par les prétendus vrais membres de ce parti. Il y a beaucoup de Burundais qui sont contre ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays. Il y en a même dans les corps de défense et de sécurité qui sont mécontents ; en témoignent les désertions de ces derniers jours. Si la majorité des membres du CNDD-FDD et de Burundais nous disent que c’est la seule voie, on le fera. Et puis n’oubliez pas que la guerre constitue la dernière option.
Sommes-nous alors à cette phase de la guerre?
Nous sommes sur le point d’entrer dans cette phase. Mais j’ai toujours l’espoir que les dirigeants actuels de ce pays, surtout le Président de la République, vont changer les choses. S’il ne le fait pas, les Burundais n’accepteront jamais cette insécurité perpétuelle, la faim ou tout simplement la mort. Ils verront que même des négociations ne sont plus possibles, que la voie de la guerre reste le dernier recours pour sortir de cette crise. Et s’ils m’appellent pour combattre, je répondrai volontiers.
Quelle chance donnez-vous à la paix ?
En politique, l’espoir est toujours permis. Nous avons un Président élu. Je demande aux Burundais de combattre politiquement, par le débat, dénoncer à haute voix ce qui ne marche pas. Il faut qu’ils luttent pour la démocratie et les droits de l’homme. Et si tous ces combats ne réussissent pas, tout le monde comprendra alors la guerre s’impose comme seule voie de sortie.
Que pensez-vous de ce qui se passe aujourd’hui à l’UPD ?
C’est Jérémie Ngendakumana qui en est responsable. Il veut que tous les partis soient divisés pour renforcer le sien. Mais il se trompe. Un parti est fort par rapport à d’autres en compétition. Comment peut-on dire qu’une formation est forte en face de quelque chose qui n’existe pas ? Il y a une peur qui s’installe déjà au sein du CNDD-FDD.
A quoi serait-elle due ?
Quelques autorités ont déjà senti qu’elles vont terminer mal. C’est pourquoi elles volent, pillent, tuent sans s’inquiéter.