Alors que la nouvelle Constitution n’impose plus le gouvernement de coalition, elle ne l’interdit pas non plus.
Par Pr. Stef Vandeginste*
Confiné à la maison à Anvers en Belgique, j’essaie de suivre la campagne électorale au Burundi. Malgré la distance qui me sépare du terrain, j’essaie de m’informer, d’analyser et de comprendre. Je me réjouis de lire que mon collègue, le Professeur Julien Nimubona, dresse «un bilan plutôt positif» de la campagne électorale telle qu’elle s’est déroulée jusqu’ici. En même temps, il signale des problèmes et des risques inquiétants, entre autres au niveau du fichier électoral et d’une éventuelle manipulation – soit réelle, soit perçue comme tel – des résultats.
Alors que le nombre de candidats à l’élection présidentielle et le nombre de candidats députés présentés par plusieurs partis politiques sont élevés et qu’il serait injuste de réduire le scrutin à une compétition à deux, il est clair que les candidats présidentiels Evariste Ndayishimiye et Agathon Rwasa et leurs partis respectifs sont les plus visibles durant cette campagne et que leurs meetings rassemblent d’énormes foules de Burundais. Il en découle une sorte de bipolarité, d’autant plus que d’autres partis (comme le FNL de Jacques Bigirimana, pour n’en citer qu’un) se sont alignés derrière l’un ou l’autre candidat.
De plus en plus, la campagne électorale me semble, par conséquent, marquée par la mentalité du ‘zero sum game’ (le ‘jeu à somme nulle’): je perds ce que gagne mon adversaire (et vice versa); pour que je gagne, il faut que mon adversaire perde (et vice versa). Ainsi, sur les réseaux sociaux (mais pas seulement là), au lieu de se concentrer sur les mérites de leur propre programme, les pro-CNDD-FDD accusent le CNL, tandis les pro-CNL dénoncent entre autres le comportement des acteurs sécuritaires et administratifs qui soutiennent le CNDD-FDD. Comment briser ce cercle vicieux et potentiellement dangereux d’antagonisme de plus en plus agressif au niveau du discours (et au-delà du discours)? Jetons d’abord un coup d’œil sur le cadre normatif et, ensuite, sur ses conséquences pour le comportement des ténors aux élections.
La nouvelle Constitution du 7 juin 2018 a fait monter les enjeux des élections du 20 mai 2020. Les pouvoirs présidentiels sont renforcés. Au parlement, une loi pourra être votée à la majorité absolue (au lieu d’une majorité des deux tiers requise sous la Constitution de 2005). La Constitution ne garantit plus que chaque parti obtenant 5% des votes pourra faire partie du gouvernement. Suite à la réforme constitutionnelle, une victoire et/ou une défaite électorale a donc des conséquences encore plus importantes que par le passé. En effet, contrairement à ce qui était le cas depuis 2005, la nouvelle Constitution permet au parti obtenant 50% des sièges non seulement de contrôler le parlement et mais aussi d’envoyer tous les ministres au gouvernement coordonné par un Premier ministre qui peut être issu du même parti que le Président de la République. L’enjeu est donc bien de taille.
Toutefois, il est admis de lire le nouveau cadre institutionnel autrement. Alors que la nouvelle Constitution n’impose plus le gouvernement de coalition, elle ne l’interdit pas non plus! En d’autres mots, la nouvelle Constitution permet toujours que le vainqueur des élections préfère l’inclusion au lieu de l’exclusion, même si elle ne l’y oblige plus. Rappelons d’ailleurs ce qu’a fait, au moment de nommer son Premier ministre, le Président Melchior Ndadaye après son énorme victoire électorale en 1993.
On ne doit pas attendre l’annonce des résultats électoraux pour donner des signaux dans ce sens. Est-il naïf d’imaginer que, dans les jours prochains les deux ténors de cette campagne fassent une promesse? Qu’ils annoncent tous les deux que, quelle que soit l’ampleur de leur victoire, ils vont réserver des places au gouvernement à l’adversaire pour refléter son appui électoral et tenir compte de son électorat? Un tel gouvernement de coalition ‘par volontarisme’ (et non par obligation constitutionnelle) créerait même une énorme opportunité. Il permettrait aux partis CNDD-FDD et CNL de négocier un programme de gouvernement au-delà du simple calcul du partage des postes. Que fera le nouveau gouvernement en matière de santé, d’infrastructures, d’éducation, d’économie, de relations internationales, etc.? Ils pourraient même découvrir que leurs programmes dans toutes ces matières diffèrent peu. Et que, surtout pour les Burundais, qu’ils soient pro-CNDD-FDD ou pro-CNL, collaborer serait plus rentable que continuer à s’opposer.
Si Evariste Ndayishimiye et Agathon Rwasa ne font pas une telle annonce de leur propre initiative, est-ce qu’IWACU ou les collègues de la Radio Isanganiro ou des autres médias pourraient leur poser la question?
*Stef Vandeginste
Professeur à l’Université d’Anvers (Belgique)