Dimanche 22 décembre 2024

Société

ANALYSE | Laissez collecter, traiter et diffuser l’information sur le Burundi

08/05/2024 4
ANALYSE | Laissez collecter, traiter et diffuser l’information sur le Burundi

La nouvelle Loi Régissant la Presse au Burundi a été adoptée ce mardi 5 mai 2024 par l’Assemblée Nationale. Prochaines étapes : la révision par le Sénat, puis la validation des amendements éventuels par l’Assemblée Nationale, et l’envoi pour promulgation à Son Excellence Monsieur le Président de la République.

Par Simon Kururu*

J’ai passé en revue le projet de loi. Et, tout en appréciant les innovations, je ne saurais m’empêcher de suggérer quelques améliorations et ré aménagements, afin de rester en phase avec l’article 51 du projet de loi débattu. Il dispose : « Le journaliste exerce son métier en toute indépendance et en toute responsabilité sur l’ensemble du territoire national du Burundi ». Quant à l’article 52, il précise : « Dans l’exercice de son activité, le journaliste a libre accès aux sources d’informations. Il peut enquêter et commenter librement sur les faits de la vie publique. Toutefois, il est tenu dans l’expression de cette liberté au respect des lois, des droits et des libertés d’autrui ».

Le projet de loi, Article 53 est clair en ce qui concerne la sécurité des journalistes. Ils ont droit, sur toute l’étendue du territoire national, « à la sécurité de leurs personnes et de leur matériel de travail. En dehors des espaces et des objectifs légalement protégés, il ne peut lui être refusé le droit de filmer des événements, de publier et de commenter des informations à caractère public ».

Pour les journalistes des autres pays, l’Article 57 est clair : « Les correspondants de presse et les envoyés spéciaux des organes de presse étrangère ou de l’un des pays membres de la Communauté est-africaine sont libres de couvrir tous les événements se déroulant au Burundi sous réserve des dispositions relatives à l’accréditation ».

En ce qui concerne l’accréditation, l’Article 20  précise les modalités : « Tout journaliste étranger ou ressortissant de la Communauté est-africaine qui souhaite couvrir une ou plusieurs activités sur le territoire national du Burundi doit se faire accréditer auprès du Conseil National de la Communication, sur présentation des pièces constituant des preuves professionnelles et administratives nécessaires à cette fin. Ces pièces sont : le passeport ou le titre de voyage tenant lieu de passeport ainsi que le visa de séjour, sauf s’il en est exempté, la carte professionnelle ou l’attestation de service, l’ordre de mission spécifiant l’objet et la durée de la mission, deux photos format passeport, la preuve du paiement au Trésor public des frais du dossier dont le montant est fixé par l’ordonnance conjointe des ministres ayant respectivement les médias et les finances dans leurs attributions ».

Pour avoir effectué des reportages dans de nombreux pays du monde et remarqué les facilités accordées aux journalistes étrangers, je voudrais plaider pour une simplification des formalités d’accréditation et l’abandon par le Trésor public des frais de dossier.

En ce qui concerne les formalités d’accréditation des journalistes, dans le cadre de l’amélioration du climat de la collecte et du traitement de l’information sur notre pays, elles pourraient être abandonnées. La seule carte de presse délivrée par un organe habilité du pays d’origine étant suffisante pour convaincre les différentes administrations de laisser travailler le journaliste en toute tranquillité. Je sais que dans beaucoup de pays, il y une peur bleu des journalistes, qui sont considérés à tort comme de dangereux personnages.

En réalité, si on veut savoir qui ils sont, ce n’est pas compliqué. Car, à leur entrée et sortie, sur les frontières terrestres, aériennes et lacustres du pays, les journalistes, comme les autres passagers, burundais et nationaux remplissent des fiches qui renseignent sur leur identité et ce qui les amène. Ces informations devraient pouvoir être enregistrées, traitées et partagées aux administrations concernées, qui les exploiteraient dans la plus grande discrétion, pour ne pas troubler la quiétude des visiteurs.

Pour avoir profité allègrement des avantages de la suppression des visas à l’entrée des pays de la Communauté Est Africaine, je serai ravi que les journalistes  de tous les continents soient exemptés des formalités qui ne sont pas du tout productives en termes d’image de marque du pays.  Il faut garder à l’esprit que les diplomates et les décideurs des Partenaires Techniques et Financiers ont les yeux rivés sur ce qu’écrivent ou racontent les médias sur les différents pays du monde. Et certaines décisions sont favorisées par ce que ces médias rapportent régulièrement.

La lourdeur des formalités d’accréditation et de paiement des frais de dossier décourage la couverture de l’actualité burundaise par les organes de presse étrangers. Cela n’est pas un avantage, mais un gros inconvénient.

J’ai agréablement remarqué que l’Article 65 du Projet de Loi Régissant la Presse maintient la disposition comme quoi : « Les organes burundais de presse et de communication bénéficient d’un fonds de promotion dénommé Fonds d’appui aux médias, (FAM) », en sigle. L’Article 66 indique que la gestion du FAM est assurée par un comité de gestion composé d’un représentant Ministère en charge des Médias, un représentant du bureau exécutif du Conseil National de la Communication, un représentant du Ministère en charge des finances, un représentant des médias publics, un représentant des médias privés, un représentant des partenaires les plus impliqués dans le secteur et un représentant de la Maison de la Presse du Burundi.

Il devrait être envisagé de confier à la Maison de la Presse du Burundi  la mission d’assurer l’accueil et l’encadrement des journalistes étrangers, ce qui était envisagé lors de la mise en place de cette organisation dans les années 1996.

Maintenir le pays dans un environnement qui n’est pas favorable à la fois aux médias nationaux et étranger est comparable à l’opération de scier la branche d’un arbre sur laquelle on est assis. Laissons les journalistes collecter, traiter et diffuser l’information en toute liberté et sérénité. Les retombées seront positives.

*Simon Kururu, journaliste senior est consultant et formateur en Journalisme et communication.

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. Gacece

    Mieux vaut prendre des précautions même si on ne peut tout prévoir. Loi de Murphy oblige!

    Malheureusement et malgré votre optimisme qui frôle la naïveté, il existe des journalistes mal intentionnés (ou qui ignorent les réalités locales) qui profitent d’une facilité qui leur est offerte pour diffuser de l’information erronée ou qui se laissent manipuler, sciemment ou aveuglément, par des politiciens nationaux ou étrangers ayant des visées égoïstes… qui n’ont rien à voir avec la liberté de la presse, mais avec leurs « sales » intérêts.

    Sans toutefois aller jusqu’à les bloquer dans l’exercice de leurs fonctions, il reste nécessaire d’exercer un certain contrôle pour limiter les dégâts que la diffusion des mensonges et des informations résultant de manipulations peuvent avoir sur les populations locales. S’assurer d’identifier ces journalistes, eux et leurs employeurs, reste l’étape crucial pour pouvoir les responsabiliser et pour dissuader ceux qui pourraient se croire intouchables une fois sur le territoire national.

    • Mon frère

      Avec le développement exponentiel des technologies de l’information et de la communication, la censure, la restriction de la circulation des journalistes est une illusion.

      Il vaut mieux ouvrir les portes. Comme cela, on sait à qui on a affaire.

      Dans le passé cet surtout après 1972, le Burundi s’est enfermé sur lui-même et son image s’est fortement noircie.

      Quand Bagaza est venu au pouvoir, il a ouvert les portes aux journalistes les premières années et les financements ont suivi.

  2. Jean-Claude NDORERE

    Je n’ai pas lu cette nouvelle Loi Régissant la presse pour savoir les améliorations dont Kururu a parlées. Cependant, en lisant les 2 articles que notre senior vient de mentionner et souligner les inquiétudes, j’ai eu froid au dos. Dans un pays comme le Burundi, un pays qui a déjà goûté à la saveur de la liberté de la presse et d’expression, dans un monde actuel des réseaux sociaux, il est absurde/je pèse mes mots/de vouloir miner le terrain pour empêcher le monde de savoir ce qui se passe au pays. C’est vraiment unitile de vouloir contrôler à ce point la parole. Un seul indicateur de liberté de la presse, peut fermer ou ouvrir la voie au redémarrage de l’économie, déjà en faillite. Nous avons des partenaires financiers qui ne demandent que le pays fasse des efforts pour reprendre la coopération et le soutien, tant nécessaire. Oui, il y a cette petite musique de souveraineté qui se fait entendre depuis un moment, mais rien n’a pu remplacer le soutient de nos partenaires malgré les multiples promesses d’autres partenaires qui ne se soucient pas de la démocratie ou des droits humains. Cette nouvelle loi reflète une image d’un pays qui semble presque rompre avec la transparence démocratique. Cependant cette manœuvre de restreindre la liberté de la presse pourra réussir à renforcer les doutes quant aux acquis démocratiques, de la part de nos partenaires financiers mais ne pourra en aucun cas empêcher le monde savoir ce qui passe au pays. Le Burundi est un pays petit, avec des moyens très limités pour contrôler une population dont tout le monde connaît tout le monde par des liens complexes tisés par la vie sociale et la réalité sociétale!

    Si le Sénat est réellement un organe indépendant et capable d’anticiper les conséquences, je les exhorte de retirer cette loi parce que même l’actuelle était liberticide, à mon avis.

    • Monsieur Ndorere,

      Laissez-moi vous donner un exemple:

      Le Burundi a déclaré l’état de catastrophe avec la montée vers eaux du lac Tanganyika. Si des journalistes étrangers ne viennent pas constater les faits et les rapporter aux opinions publiques des pays donateurs, nous recevrons des aides au compte goutte

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