Vendredi 27 septembre 2024

Société

ANALYSE – La réintroduction de la peine de mort : une régression juridique et institutionnelle

18/06/2024 5
ANALYSE – La réintroduction de la peine de mort : une régression juridique et institutionnelle

La menace de réintroduire la peine de mort pour les saboteurs économiques au Burundi, émise par le Président de l’Assemblée nationale, soulève de graves questions juridiques. Cette proposition non seulement contredit les engagements internationaux du pays, mais aussi ses propres lois constitutionnelles, et risque d’aggraver les faiblesses institutionnelles déjà présentes.

En avril 2009, le Burundi avait aboli la peine de mort, rejoignant une tendance mondiale en faveur de l’abolition. Cette décision représentait un engagement fort en matière de droits de l’homme. En novembre 2008, l’Assemblée nationale du Burundi avait adopté le Code pénal abolissant la peine de mort. Les dernières exécutions remontent à 1997, lorsque six personnes avaient été exécutées par pendaison. La réintroduction de cette pratique constituerait une régression majeure, en contradiction avec les engagements pris par le pays, notamment le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). En tant que signataire de ce protocole, le Burundi s’est engagé à abolir définitivement la peine de mort et à ne pas la réintroduire.

La Constitution de 2018 garantit le droit à la vie. La réintroduction de la peine de mort pour des crimes économiques violerait cet engagement constitutionnel. Toute tentative de modifier cette disposition rencontrerait une opposition juridique significative et nécessiterait une révision constitutionnelle complexe.

Le système judiciaire burundais est déjà perçu comme vulnérable à la corruption et à l’inefficacité. En août 2021, le président du Burundi, Evariste Ndayishimiye, a réuni des représentants de la magistrature et a dénoncé fortement ce qu’il considère comme « la corruption » qui gangrène la justice burundaise, la qualifiant de « honte » et l’accusant d’être à l’origine de tous les maux du pays. Réintroduire la peine de mort dans un tel contexte augmenterait les risques d’injustices irréversibles et d’erreurs judiciaires, pouvant conduire à l’exécution d’innocents, érodant encore davantage la confiance du public dans le système judiciaire.

Le Burundi devrait envisager des sanctions alternatives telles que des peines de prison proportionnées, des amendes lourdes et des interdictions professionnelles. Ces mesures peuvent être dissuasives sans violer les droits fondamentaux. Par ailleurs, renforcer les institutions judiciaires et améliorer la transparence et la gouvernance sont des étapes cruciales pour une justice efficace et équitable.

Contacté par Iwacu, Maître Jacques Bitababaje, avocat burundais, a indiqué que la peine de mort ne figure pas dans le Code pénal en vigueur, celui de 2018, ni dans le code précédent de 2005. Pour Bitababaje, « tout ce qui n’est pas prévu par le Code pénal n’est pas une infraction ». La menace de réintroduire la peine de mort pour les saboteurs économiques est juridiquement problématique et risque d’entraîner des conséquences graves pour le Burundi. Plutôt que de recourir à des mesures extrêmes, le pays devrait se concentrer sur le renforcement de ses institutions et l’adoption de sanctions proportionnées et respectueuses des droits de l’homme. Cela permettrait de combattre efficacement la criminalité économique tout en respectant ses engagements internationaux et constitutionnels.

En somme, d’après plusieurs praticiens du droit, la réintroduction de la peine de mort serait une régression sur le plan des droits humains et juridique, et risquerait de compromettre encore davantage la confiance en un système judiciaire déjà fragile. Le Burundi doit donc choisir des voies alternatives pour renforcer la justice et lutter contre la criminalité économique.

La peine de mort en Afrique

Selon les données de 2023 publiées par  des organisations telles Amnesty International ou les rapports des Nations Unies, qui surveillent régulièrement la situation de la peine de mort dans le monde, certains pays pratiquent encore la peine de mort en Afrique.

  1. Botswana : Effectue régulièrement des exécutions.
  2. Égypte : Utilise régulièrement la peine de mort, notamment pour des crimes liés au terrorisme.
  3. Libye : Pratique encore la peine de mort même si le pays est en situation de conflit.
  4. Somalie : Effectue des exécutions, en particulier dans les régions contrôlées par le gouvernement central.
  5. Soudan : Pratique la peine de mort pour divers crimes, bien que des réformes récentes aient tenté de limiter ses utilisations.
  6. Éthiopie : Pratique encore des exécutions, bien que celles-ci soient rares.
  7. Afrique du Sud : La peine de mort est interdite depuis 1995 par une décision de la Cour constitutionnelle.

Plusieurs autres pays africains ont aboli officiellement la peine de mort ou ne l’ont pas appliquée depuis longtemps, même si elle reste inscrite dans leur législation. L’évolution de la situation autour de ce sujet est souvent influencée par les dynamiques politiques, sociales et internationales, et des changements peuvent survenir.

Pays avec moratoire ou sans exécution récente

  1. Guinée équatoriale : Un moratoire de facto, mais la peine de mort est encore dans la législation.
  2. Tanzanie : Pas d’exécutions depuis plusieurs années, mais la peine de mort est toujours en vigueur.
  3. Zambie : Moratoire sur les exécutions depuis plusieurs années.
  4. Ghana : Pas d’exécutions récentes, mais la peine de mort demeure dans la législation.
  5. Kenya : A un moratoire sur les exécutions même si la peine de mort reste dans la loi.

Abolitions récentes

Certains pays africains ont aboli la peine de mort relativement récemment, soulignant une tendance régionale vers l’abolition :

  1. Tchad : A officiellement aboli la peine de mort en 2020.
  2. Guinée : A aboli la peine de mort pour tous les crimes en 2017.
  3. Gabon : A aboli la peine de mort en 2010.

 

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Lavocat

    Si c’est pour pendre et fusiller ceux qui mettent notre pays à terre en le pillant donc les diriegeants voleurs,d’accord pour réintroduire la peine de mort.Mais si c’est pour continuer à tuer des innocents NON.

    • jereve

      @Lavocat, contrairement à vous, je dis aussi NON à la peine de mort pour ceux que vous qualifiez de « dirigeants voleurs ». Par principe, car cette peine est barbare et nie la capacité de l’homme de se reprendre et changer. Ensuite parce que s’il fallait la réintroduire et l’appliquer, une bonne partie des classes d’affaires et des dirigeants seraient balayée, anéantie… il ne resterait que peu de monde autour de notre Président de l’Assemblée Nationale. N’oubliez pas que nous vivons dans un pays classé parmi les plus corrompus de la terre,

  2. Nshimirimana

    Si réellement vous essayez de situer dans quel contexte l’Honorable des Honorables a prononcé « ce qu’il a prononcé », y a-t-il de la matière à produire une telle analyse ? Je trouve que vous cherchez à donner de l’importance un fait qui ne le mérite pas! Est-il sérieux dans ce qu’il raconte ? On n’introduit pas la peine de mort dans son code pénal parce que des hommes et femmes détourneraient du carburant . Du sérieux svp

    • Christian Mugenzi

      Cher/chère compatriote,

      Quand de tels mots sont prononcés par le président de l’assemblée nationale bien sure qu’on doit les prendre aux sérieux. Sinon quel crédibilité pour une telle institution?

      C’est comme quand une autre haute institution avait déclaré aux yeux du monde qu’il faudrait lapider les homosexuels. Un peu de sérieux quand même!

      C’est précisément pourquoi nos dirigeant doivent apprendre à communiquer, et surtout ne pas utiliser un langage de « bistrot » en public.

      Pourquoi se retrouver toujours à rétropédaler ou à justifier l’injustifiable alors que quelqu’un peut juste tourner la langue 6 fois avant de parler? On ne parle pas d’enfants qui raconte des bêtises mais des adultes, des parents, et pour certains des grands-parents!

      Pour moi c’est simplement caractéristique de l’ivresse du pouvoir, et l’histoire nous apprends que la fin n’est pas toujours glorieuse.

      Cordialement

      • Nshimirimana

        Sous d’autres cieux, le propos est grave mais vous connaissez l’homme et ce n’est pas sa première sortie manquée. Si à chaque fois il faudra ouvrir des tribunes pour discourir sur ce genre de propos , on risque de gaspiller son temps et son énergie pour du beurre. Vous d’avis avec moi que parfois, il parle pour parler ou plutôt pour amuser la galerie
        Portez-vous bien

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