Par Antoine Kaburahe*
Il n’y a pas matière à se réjouir, expliquent les spécialistes après la déclaration du ministre burundais des Finances satisfait des « performances » économiques de notre pays . Pour « preuve », il cite un rapport du FMI. Mais la réalité est moins rose et les chiffres sont sans appel.
« L’économie du Burundi se porte bien même si beaucoup vont dire que les gens sont pauvres. La preuve c’est le rapport du FMI qui montre que nous avons connu une croissance de 3 % », a déclaré le ministre burundais des Finances.
Les propos ont choqué. Il faut rappeler que le ministre des Finances a sorti cette « perle » au moment où tous les indicateurs économiques du Burundi sont au rouge. Le pays est presque complètement paralysé depuis près de trois mois par une pénurie d’essence avec tous ses corollaires.
Rarement, un ministre a fait une telle unanimité contre lui. Même dans son propre camp. Sur les réseaux sociaux, dans les groupes de discussion sur WhatsApp, tout le monde tirait à boulets rouges sur le ministre Domitien Ndihokubwayo jugé « incompétent », voire « indécent ». Aucune voix ne s’est élevée pour le défendre.
Au contraire, certains ont rappelé sa richesse personnelle qui le « déconnecterait de la vraie vie ». Les photos de son bel hôtel à Ngozi étaient partagées sur internet. D’autres évoquaient son parcours académique « d’anthropologue ». Une critique qui ne tient pas : un anthropologue peut être un brillant gestionnaire des finances…
Le tollé suscité par la déclaration du ministre est en réalité facile à comprendre : cette sortie du ministre ne pouvait pas tomber au pire moment. Les Burundais sont fatigués par des discours lénifiants de certains apparatchiki qui célèbrent un bien-être qu’ils sont les seuls à vivre. Les vidéos et photos de véhicules luxueux, des fêtes et autres inaugurations des demeures pharaoniques laissent pantois un peuple chaque jour plus paupérisé.
Que disent les chiffres ?
Bon. Doutons. Prenons du recul. Ne hurlons pas avec les loups. Et si notre ministre des Finances avait des raisons de se réjouir de la situation économique du pays ? Que disent les chiffres ? Je suis allé interroger un brillant économiste burundais qui évolue dans des organisations financières internationales. Le verdict est rapide. Il m’a confié qu’il n’y’a « aucune raison » de se réjouir : « Analysons de près ce rapport cité par le ministre, essentiellement deux variables importantes, le taux de croissance de l’économie et l’inflation, tout en les mettant en perspective avec les dynamiques régionales et sous- régionales. Le ministre a notamment évoqué, avec fierté, le taux de croissance de 3 % pour l’année 2022. Ce taux est le plus faible de la région si on compare le Burundi avec le Kenya, le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie. En effet, le Kenya a connu un taux de croissance de 7,2 % en 2021, le Rwanda 10,2 %, l’Ouganda 5 % et la Tanzanie 4,8 % ». Premier bémol donc.
L’économiste qui suit la situation du Burundi de très près s’est dit exaspéré, ulcéré par cette lecture « simpliste » du ministre. « Plutôt que de célébrer sans raison, il serait plus judicieux pour le ministre de présenter un plan d’action crédible pour le redressement de la situation économique. »
La critique de l’économiste est sans appel : « Même si on compare le Burundi à la moyenne de l’Afrique subsaharienne (4,5 %), il reste largement en deçà de la dynamique de reprise post-covid observée dans plusieurs pays africains. »
Puis, j’ai voulu me faire l’avocat du diable. J’ai rappelé que l’on nous assure que « ejo ari heza » (demain ce sera mieux), ce slogan en vogue. La réponse de l’analyste a été encore une douche froide.
« En qui concerne les taux de croissance attendus en 2022, le Burundi projette encore un taux parmi les plus faibles en Afrique. Il est de 3,6 % au moment où dans la région le Rwanda attend un taux de 6,4 %, l’Ouganda et la Tanzanie 4,8 % et le Kenya 5,6 %. »
Un taux de croissance annuel proche de 10 % pour espérer sortir de l’extrême pauvreté
De ses explications, j’ai retenu que si on prend en compte le fait que le Burundi a connu un taux de croissance de la population de 3,1 % en moyenne ces dernières années[1] , le taux de croissance réel de l’économie est quasiment nul ou même négatif selon les années. Les taux de croissance observés depuis plusieurs années sont profondément faibles pour permettre au pays d’atteindre les objectifs de son plan de développement. Pour rappel, le forum économique de novembre 2021 a mis en évidence la nécessité d’avoir un taux de croissance annuel proche de 10 % pour espérer sortir de l’extrême pauvreté[2] .
L’économiste, comme pour mettre fin à toutes les illusions, a évoqué l’inflation. Le Burundi exhibe le taux le plus élevé dans la sous-région, « traduisant ainsi une forte dégradation du pouvoir d’achat de ses citoyens ». Cela, il ne faut pas être économiste pour le constater...
Apparemment, le calvaire qui attend le Burundi est encore long. Ce n’est que la première station peut-être. « Au vu du ralentissement économique causée par la pénurie du carburant sur tout le territoire national depuis plusieurs mois, il est à craindre que le prochain rapport du FMI sur les perspectives économiques mondiales prévues en octobre 2022 ne dresse un constat beaucoup plus négatif sur la situation du pays. Une forte contraction économique est à craindre. »
Notre économiste, n’est-il pas en train d’exagérer? Me suis-je demandé. Et je suis allé fouiller du côté du FMI, justement. Mais hélas, les chiffres sont sans appel.
Des rapports à lire entre les lignes
Dans sa déclaration désormais célèbre sur les « performances » de notre économie, notre ministre des Finances se « couvre » donc avec un rapport du FMI. Les experts que j’ai interrogés expliquent que ce genre de rapport, il faut le lire « entre les lignes et saisir les nuances pour comprendre la vraie portée du message. »
Une de mes sources à Washington m’a fait remarquer que « le rapport souligne notamment la nécessité d’un ensemble de politiques ambitieuses et diverses pour faire face aux vulnérabilités de la dette et aux déséquilibres extérieurs, ainsi que de réformes pour remédier aux racines de la fragilité, débloquer les goulots d’étranglement et assurer une croissance inclusive. »
Voilà ce qu’on lit dans ce rapport notamment. Relisez bien le paragraphe précédent. Vous remarquerez que vous connaissez tous les mots, mais comme moi vous n’avez pas compris grand-chose, n’est-ce pas ? Cela s’appelle un langage "d’experts". J’ai demandé la « traduction » en langage normale, à la portée des simples citoyens que nous sommes. Cela signifie plus ou moins ceci : Le Burundi est à un niveau de risque de surendettement élevé, ce qui l’empêche de pouvoir contracter des dettes auprès des bailleurs multilatéraux, limitant ainsi sa capacité à avoir accès aux financements importants pour ses besoins de développement.
Finalement, cette « croissance économique » évoquée par le très comblé ministre des Finances qui cite pour « preuve » un rapport du FMI gêne plutôt les spécialistes.
Le petit peuple n’est pas dupe non plus. Dans la vraie vie, aucun rapport des institutions de Brettons Woods, même le plus élogieux, ne calmera jamais un enfant qui pleure de faim devant une assiette vide…
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[1] Voir Banque Mondiale, Indicateurs de Développement dans le Monde (base de données)
[2] Le Burundi a un revenu par tête d’habitant de 240$ par an. Le Kenya est à 2.010 $, l’Ouganda à $840, Rwanda à 850$ et la Tanzanie à 1140$.
Le taux de croissance de l’économie du Burundi (3,1%) EST INFERIEUR A CELUI DE L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE (4,5%).
« La croissance en République démocratique du Congo (RDC) a connu un net rebond, passant de 1,7 % en 2020 à un taux estimé à 6,2 % en 2021, soit bien au-dessus du taux de 4,5 % enregistré en Afrique subsaharienne….
Dans le cadre d’un programme appuyé par le FMI, les autorités ont adopté des mesures qui ont contribué à modérer l’inflation et à stabiliser le taux de change, tandis que les prix des produits de base ont favorisé l’augmentation des exportations, des recettes et des réserves internationales… »
https://scooprdc.net/2022/08/16/economie-la-rdc-a-affiche-62-de-taux-de-croissance-en-2021-fmi/
Un bon exemple pour l’Afrique.
Si on veut s attaquer a la corruption, on commence par le haut.
Exemple donné par un président footballeur.
Un bon dirigeant ne doit pas nécessairement avoir beaucoup de diplomes.
https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220817-liberia-sous-pression-george-weah-l%C3%A2che-ses-proches-sanctionn%C3%A9s-par-les-%C3%A9tats-unis
1. Vous écrivez:« [2] Le Burundi a un revenu par tête d’habitant de 240$ par an. Le Kenya est à 2.010 $, l’Ouganda à $840, Rwanda à 850$ et la Tanzanie à 1140$… »
2. Mon commentaire
Au lieu de déclarer tout simplement: « L’économie du Burundi se porte bien même si beaucoup vont dire que les gens sont pauvres…. », Monsieur le ministre des finances DEVRAIT DEMONTRER QU’EN EFFET, LES BURUNDAIS SONT RICHES AU CONTRAIRE (avec ses propres chiffres à l’appui).
Cher Stany.
On se demande souvent ou ont étudié, qu est ce qu ils ont étudié, certains de nos dirigeants. Nous savons que le Burundi est l un des pays les plus pauvres et les plus corrompus au monde. That is a fact.
Et les chiffres (des organismes qui certainement ne nous haissent pas) le montrent. D ailleurs ces augustes institutions ne travestirent pas des statistiques pour un pays insignifiant comme le Burundi.
La question pour un champion est donc la suivante: . Pourquoi y a t il des gens qui nous miroitent des contre vérités?
Vivent ils , ces gens, tellement dans des tours d ivoire au point de ne meme pas voir la misere ou croupissent les barundi? Je pense que non. Allons chercher ailleurs les explications
1. Vous écrivez:« Il n’y a pas matière à se réjouir, expliquent les spécialistes après la déclaration du ministre burundais des Finances satisfait des « performances » économiques de notre pays . Pour « preuve », il cite un rapport du FMI… »
2. Mon commentaire
En effet, comme le produit intérieur brut (PIB) du Burundi ETAIT DEJA TRES BAS, il suffit de quelques milliards de francs burundais (BIF) de plus dans l’économie burundaise pour avoir cette croissance de 3%. LA MISERE AU BURUNDI SERA PRESENTE POUR LONGTEMPS.
« Low base effect in business and economics is the tendency of a small absolute change from a low initial amount to be translated into a large percentage change.[1][2].. »
https://en.wikipedia.org/wiki/Low_base_effect#:~:text=Low%20base%20effect%20in%20business,into%20a%20large%20percentage%20change.
Je ne peux que saluer la croissance n’en déplaise aux jaloux. J’etais en vacance et les burundais se portent mieux, ils sont dans une émancipation palpable
@Odilrak
Tout dépend des burundais que tu as croisés pendant tes vacances, si tu as le courage de regarder en entier ce film, on pourra discuter par la suite: https://www.youtube.com/watch?v=IWZcJn1Fpaw
Bon film!
Et si ces différents chiffres qu’on nous balancent à tout vent étaient techniqués pour la plupart? Et pourtant je ne suis pas complotiste!
Combien de tonnes de haricots, de petits pois secs, de petits pois verts, de soja, de manioc, de maïs, de blé, de riz, de colocases, de bananes, de légumes, de fruits, d’arachides, de sorgho, d’eulésine, d’huile de palme, de coton, d’arachides,…. par an ? Quelle valeur en Francs Bu ? Est-ce que ces données existent quelque part ? Et le sous-sol ? Et l’industrie ? Et l’artisanat ? Calculs éceconomique?
@Lucien
1. L’on pourrait chercher les plus récentes données publiées par l’Institut de Statistiques et d’Etudes Economiques du Burundi (ISTEEBU).
2. Voici ce que j’ai pu trouver dans un vieux rapport. Je crois que c’est la production en tonnes.
« Tableau 87: Evolution des productions des cultures vivrières selon les cultures
Culture 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Maïs 115507 117681 120379 126412 128484 151748 162417 127829 160713 243740
Blé 7987 8094 8583 9034 9789 3857 6 422 5628 0 –
Riz 70911 74492 78432 83019 91415 64629 41 456 67377 38674 146633
Sorgho 85565 79818 81176 83023 86856 31525 31 452 22354 19868 29665
Eleusine 10741 10742 10846 10846 10777 5468 1 806 3084 0 –
Petit pois 32557 30938 37316 31532 31222 16717 23 132 12389 0 –
Igname 9901 9901 5644 3114 3107 6411 447 0 0 –
Pomme de terre 26693 28900 10615 9320 8838 47860 122899 664217 123711 145687
Patate douce 873663 900415 484207 303432 299900 659596 839 717 181209 580848 726048
Manioc 558557 577063 235369 187901 159743 1244597 2233790 2242352 2757583 2394982
Colocase 58125 58341 44502 18480 18317 92970 136 184 115391 0 –
Banane 1700597 1759961 620028 136564 132012 1145229 2 235 698 1362837 865571 299 896
Haricot 205196 189661 202934 201551 199072 205945 225 004 251761 282978 371892
Arachide 0 0 0 0 0 0 0 9296 12776 7345
TOTAL 3756000 3846007 1940031 1204228 1179532 3676552 2519553 5065724 4842722
https://www.isteebu.bi/wp-content/uploads/2020/05/Annuaire-agricole-2016-.pdf
Merçi à Bellum.
Très Bonne analyse blasée.
Il y a une vidéo virale qui circule sur la toile, de l’un de nos plus grands ministres actuels .
Avez vous vu quel chateau? Quel luxe insolent au pays le plus pauvre et le plus corrompu au monde?
Comme du temps de Mobutu!!!.
C’est bien loin de notre Saint Julius Nyerere de la Tanzanie
Je me joins à Ririkumutima (bizarre pseudo du nom de la reine-mère et régente) pour féliciter M. Kaburahe pour ce papier captivant. La caricature qui accompagne l’article illustre parfaitement la situation burundaise.
J’ai passé 2 semaines au pays à la mi-juillet. Le constat est amer. La misère de la population est indescriptible; l’arrogance des riches incommensurable. Il suffit de côtoyer les princes qui nous gouvernent pour comprendre qu’ils vivent dans une tour d’ivoire déconnectée des réalités. Dans les quartiers populaires, les mamans sont contraintes de mendier des beignets auprès des voisins plus nantis pour nourrir leurs enfants.
La croissance démographique est monstrueuse. Les populations se reproduisent littéralement comme des lapins et toute croissance économique positive est annulée ipso facto. Nous étions 2 millions il y 60 ans, à l’indépendance. Nous sommes 12 millions aujourd’hui. Soit une population qui double tous les 30 ans. Dans ces conditions même une croissance à deux chiffres à la chinoise serait impossible à développer le pays. Un Ministre des Finances, anthropologue de son état, serait le premier indiqué pour saisir le danger imminent de cette bombe démographique et l’inanité des plans de développement sans la maitrise de la croissance démographique.
L’ostentation par les dirigeants de leurs fabuleuses richesses, dans un océan de misère, est d’ordre pathologique. Châteaux des mille et une nuit, costumes Armani et chaussures de luxe (parfois en or), montres et lourdes gourmettes en or. Blanchissement de la peau comme de vulgaires zaïrois.
Le président Mwalimu Julius Nyerere, a quitté le pouvoir, après 20 ans de présidence, aussi pauvre qu’il y est entré. Les catholiques tanzaniens sont convaincus que c’était un saint au point que le Vatican l’a déclaré Serviteur de Dieu en attendant son procès en béatification qui est en cours. C’est un héros panafricain qui a laissé un pays uni de 200 tribus, 50/50 chrétiens et musulmans, vivant en paix où tous les présidents qui se sont succédé viennent des tribus les moins nombreuses. C’est lui qui a libéré toute l’Afrique australe comme il a libéré le Burundi de la dictature militaire. Nous sommes tombés hélas de Charybde en Scylla pour 45 ans. 15 ans le Guide suprême éternel. 15 ans Neva et 15 ans le DD suivant.
Les présidents milliardaires Mobutu, Abacha, Kenyatta, Moi, Kabila fils, etc resteront la honte de l’Afrique alors que Mwalimu Nyerere, humble et pauvre brillera à jamais comme le héros modèle du dirigeant serviteur. Tout cela pour dire que les richesses mal acquises qui nous sont jetées à la figure sont une vanité des vanités. Seul le service aux malheureuses populations burundaises importe.
Merçi Kaburahe et aussi notre Journal Iwacu.
Vous écrivez à la fois comme Voltaire , Montesquie et Didérot réunis.
Comme disent les anglais « It is just a shame ».
Espèrons que tous nos bihangange qui nous dirigent lisent votre excellente prose.
Nous sommes bien l’un des pays les plus pauvres et peut être aussi le plus corrompu au monde.
Les videos scandaleux de nos dirigeants s’affichant dans leurs palaces de mille et une nuits prouvent bien la gestion calamiteuse du pays.