Lundi 08 juillet 2024

Politique

ANALYSE Forces burundaises en RDC : Une épine dans le pied du Président Ndayishimiye

05/07/2024 4
ANALYSE  Forces burundaises en RDC : Une épine dans le pied du Président Ndayishimiye

Des éléments de la Force de Défense Nationale du Burundi (FDNB) sont engagés aux côtés des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), de contingents de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) provenant de Tanzanie, d’Afrique du Sud et du Malawi, des milices patriotiques congolaises Wazalendo et, semble-t-il, des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR). Leur mission : combattre le Mouvement du 23 mars, connu sous le sigle M23. Cependant, des militaires burundais ont refusé de se battre. Ils ont été rapatriés et emprisonnés. À l’issue d’un procès qui s’est déroulé à Rutana du 18 au 22 juin 2024, plus de 270 d’entre eux ont été condamnés à des peines lourdes, allant de 22 à 30 ans de prison. Ils devront chacun payer une amende de 500 dollars américains. Pour de nombreux observateurs, cette situation représente une véritable épine dans le pied du Commandant en Chef des Corps de Défense et de Sécurité et Président de la République du Burundi.

La Constitution de la République du Burundi, promulguée le 7 juin 2018, précise dans son article 93 que le Président de la République est « le Chef du pouvoir exécutif ». Il est « le Commandant en Chef des Corps de Défense et de Sécurité ». À ce titre, « il déclare la guerre et signe l’armistice après consultation du Gouvernement, des Bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, et du Conseil National de Sécurité » (article 111).

La Force de Défense nationale du Burundi (FDNB) a, parmi ses missions, de « participer, sur autorisation du Président de la République, à des opérations de maintien de la paix organisées sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU), de l’Union Africaine (UA) ou des organisations régionales ». En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, le Président de la République, Evariste Ndayishimiye, a décidé d’envoyer des troupes à l’est de la République Démocratique du Congo pour aider son collègue Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo à combattre le M23 et ses soutiens.

Lors de la célébration du 62ème anniversaire de l’indépendance du Burundi, le Chef de l’État a justifié son action en déclarant : « Quand la maison du voisin brûle, il faut se dépêcher pour aller lui prêter main-forte, afin d’éteindre le feu, car ses flammes peuvent se rapprocher de votre demeure… La RDC a été attaquée, et le Burundi a envoyé des troupes pour lui porter secours, afin que ce qu’elle subit ne s’étende pas à notre pays ».

Des faiblesses dans la préparation de l’opération

Ce qui inquiète de nombreux citoyens, parlant sous le couvert de l’anonymat, c’est que l’engagement des troupes burundaises sur le terrain de l’est de la RDC semble avoir manqué de préparation psychologique, technique, matérielle et financière. Sur les plans technique, matériel et financier, il n’y a pas d’échelle d’évaluation à ma disposition, je me réserve donc de porter un jugement. Les experts en stratégies militaires le feront mieux que moi. Je vais me focaliser sur mon domaine de spécialité.

En toute sincérité, et de cela plus de 250 hauts cadres de la FDNB et autant d’officiers de la Police nationale du Burundi que j’ai eu l’occasion de former dans le cadre du programme de Développement du Secteur de Sécurité (DSS) peuvent témoigner, j’ai l’intime conviction que la préparation psychologique de l’intervention n’a pas été à la hauteur des enjeux. Aujourd’hui, plus qu’hier, il est démontré que la guerre n’est plus seulement celle du feu et de l’acier. Elle est aussi celle de la communication sous toutes ses formes : communication de masse (en utilisant la radio, la télévision, les journaux, les réseaux sociaux) pour obtenir l’adhésion des populations burundaise et congolaise, ainsi que pour démoraliser les populations soutenant le M23 ; communication de groupe (pour préparer spécifiquement les militaires engagés directement sur le terrain, ceux en réserve ou destinés à aller en renfort ou assurer la relève) et communication interpersonnelle (il faut tenir compte des craintes, des espoirs, des suggestions et des aspirations de chaque individu engagé).

Les lacunes en matière de préparation psychologique de l’intervention de la FDNB aux côtés des FARDC et autres forces alliées de la RDC sont flagrantes. De nombreux militaires burundais ont refusé de combattre, ont été rapatriés manu militari, emprisonnés et jugés. Ils sont plus de 270, soit l’équivalent d’un bataillon organique (une unité militaire commandée par un officier supérieur regroupant plusieurs compagnies, soit de 300 à 1200 hommes). Étant sur le champ de bataille, il y a probablement eu des pertes non communiquées. Cela signifie qu’il y a eu un problème au sein du contingent burundais, dont je ne sais pas s’il a été résolu.

Pas aisé de combattre aux côtés des soldats congolais

Que les âmes sensibles me pardonnent, j’ai pesé mes mots. Il n’est pas aisé de combattre aux côtés des soldats congolais, car, d’après mes connaissances, ils ne tiennent pas face aux assauts de l’ennemi. Historiquement, lorsque le canon tonne, ils fuient. C’est une constante historique indéniable. J’espère que nos soldats ont été prévenus. Les preuves sont nombreuses.

Avant la colonisation européenne, les populations résidant sur le territoire de l’actuelle République Démocratique du Congo ont été la cible des razzias des esclavagistes arabes provenant des côtes de l’Océan Indien. Ces derniers ont imposé la langue swahili au Katanga, dans une partie du Kasaï, dans le Haut-Congo et à l’est du Kivu. À cette époque, les tentatives de pénétrer au Burundi avaient échoué. On se souvient de la lutte acharnée des soldats de Mwezi IV Gisabo contre Rumaliza.

Juste après la proclamation de l’indépendance du Congo le 30 juin 1960, il y a eu la sécession du Katanga le 11 juillet 1960, dirigée par Moïse Tshombe, avec l’aide de ses gendarmes katangais et des mercenaires européens. Cette sécession était financée par l’Union Minière du Haut Katanga, qui plus tard deviendra la Société Générale des Carrières et des Mines (GECAMINES). Pour mettre fin à cette sécession, il a fallu l’intervention des forces de l’ONU et encore des mercenaires.

Peu après cette sécession, en 1964, Antoine Gizenga et Pierre Mulele ont lancé une rébellion connue sous le nom de rébellion muléliste. L’Armée congolaise a eu du mal à pacifier le pays, nécessitant encore une fois le recours aux mercenaires. Certains de ces mercenaires n’ont pas été payés comme convenu avec Mobutu Sese Seko. En conséquence, le 7 juillet 1967, sous la direction de Jean Schramme, 120 mercenaires ont pris la ville de Bukavu avec l’objectif de retrouver les anciens gendarmes katangais de Moïse Tshombe et de combattre le mauvais payeur. C’est le Président Michel Micombero qui a fait barrage à leur dessein. Mobutu lui est resté reconnaissant pour ce geste d’amitié, allant jusqu’à voler à son secours lors des événements de 1972.

En 1977, lorsque les fameux gendarmes katangais ont déclenché la première guerre du Shaba contre Mobutu, ce sont les troupes marocaines qui sont intervenues, car les Forces Armées Zaïroises (FAZ) n’étaient pas à la hauteur. Un an plus tard, en mai 1978, les gendarmes katangais sont revenus et ont pris des otages européens à Kolwezi, une des cités minières du Shaba (Katanga). Ce sont les soldats français du 2ème Régiment Étranger des Parachutistes (2ème REP) qui ont réglé la question.

Lors de l’insurrection de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL) dirigée par Laurent Désiré Kabila en 1996, les « puissantes divisions » de Mobutu, comme celle baptisée Kamanyola, n’ont pas résisté face aux assauts des combattants de l’AFDL.

De même, lorsque le M23 a resurgi en 2022 et a pris sans coup férir la ville frontière de Bunagana, les FARDC n’ont pas réussi à assurer une réplique coordonnée et efficace. Le mouvement a constamment élargi les territoires qu’il contrôle et est maintenant aux portes de Goma. Encore une fois, la RDC a fait appel aux soldats de la Communauté de l’Afrique de l’Est. Ils sont venus, mais n’ont visiblement pas engagé les combats contre la rébellion. Kinshasa n’a pas renouvelé leur mandat et s’est tourné vers les pays de la SADC. Des soldats tanzaniens, sud-africains et malawites ont été déployés, rejoignant sur place les Burundais initialement participants au contingent de la Communauté de l’Afrique de l’Est, maintenus suite à un accord bilatéral entre les deux pays.

Le danger du jugement par le faciès

Nos soldats n’ont pas été préparés psychologiquement à intervenir sur le théâtre d’opération congolais, car nos frères congolais jugent souvent les gens sur leur faciès. Comme les membres de la FDNB ont des faciès variés, les Congolais sursautent et confondent automatiquement une partie du contingent avec les « Rwandais et le M23 », ce qui complique la situation. Cette confusion liée au faciès ne date pas d’hier.

En 1975, l’ancien Président Michel Micombero a envoyé un message à son ami Mobutu via le ministre de l’Intérieur, Rwuri Joseph. Pourtant, les journalistes de la télévision zaïroise ont annoncé que le Président Mobutu avait reçu en audience le « ministre rwandais de l’Intérieur ». Après la prise du pouvoir par le Président Bagaza en 1976, le ministre de l’Information, Tharcisse Ruhwikira, a été chargé de remettre un message personnel à Mobutu. À nouveau, la télévision zaïroise a rapporté que c’est le « ministre rwandais de l’Information » qui avait été reçu au bureau présidentiel du Mont Ngaliema. Quand nous étudions à Kinshasa, notre Directeur Général, le Professeur Malembe Tamandiak, nous appelait souvent des « Rwandais », en raison de notre faciès.

Bref, les Congolais jugent souvent les gens par leur faciès et non par ce qu’ils sont. Les états-majors qui préparent les interventions doivent s’informer à ce sujet et préparer les soldats engagés à surmonter ce type de problèmes.

 

 

Quid des prisonniers de guerre

Dans toute guerre où le Droit International Humanitaire est respecté, les blessés et les prisonniers doivent être protégés, car ils ne participent plus aux hostilités. Les informations diffusées sur les réseaux sociaux montrent que des membres de la FDNB ont été faits prisonniers par le M23. Le Commandement en Chef a le devoir et la responsabilité de faire tout ce qui est possible pour qu’ils soient bien traités et, si possible, qu’ils regagnent la mère patrie en tout bien tout honneur.

Nous avons ainsi vu les Ukrainiens et les Russes, bien qu’engagés dans une guerre atroce, échanger des prisonniers. La même pratique a été observée dans le conflit entre l’État d’Israël et le Hamas. Cela contribue à relever le moral des combattants.

La « dollarisation » de la justice burundaise

Les soldats burundais qui ont refusé de combattre le M23 ont écopé de lourdes peines de prison. Si les informations diffusées sur les réseaux sociaux selon lesquelles ils doivent payer une amende de 500 dollars américains s’avèrent exactes, cela concrétiserait le proverbe « ubana na suneba ugasuneba nkawe – tu cohabites avec un homme à problème, tu en souffres ». Il faudra alors expliquer pourquoi les juges militaires ont dollarisé les amendes. Est-ce que les salaires qu’ils devaient percevoir avant leur refus de se battre étaient calculés en dollars et n’ont pas encore été payés ? Dans ce cas, la retenue de l’amende en dollars serait « compréhensible ».

À prendre en compte dans les interventions futures

Les faiblesses dans la préparation de l’intervention en RDC ont produit les conséquences que l’on connaît. De mémoire de Burundais, on n’avait pas vu de refus de combattre comme ceux observés au Kivu. C’est dur de le dire, mais il semble bien y avoir une grave déconnexion du commandement par rapport aux réalités du terrain sur lequel on envoie les troupes. Ce n’est pas la faute des soldats, le problème se situe ailleurs.

Malheureusement, il faut faire un constat amer. Cette situation est comparable à une épine dans le pied du Commandant en Chef des Corps de Défense et de Sécurité. Il faut arracher cette épine délicatement pour éviter une infection pouvant conduire à la gangrène dans le pied perforé. Un pied gangrené, on le coupe.

FDN

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. mat

    Vous nous avez élaboré une analyse, à mon avis, très documentée mais qui manque certains éléments. J’aurais aimé un petit commentaire sur l’identité réelle des M23. Vous avez parlé que les soldats congolais ne sont pas naturellement aguerris. Peut-être mais si oui, cela signifierait que la guerre entre les FARDC-M23 n’est pas entre congolais! On dit que les rebelles de M23 sont des anciens militaires congolais qui se sont dissidés contre le régime de Kinshasa. Ce qui veut dire qu’ils ont eu la même de formation et le même encadrement. Je me pose également la question sur son effectif. Quel effectif ont-ils pour occuper et tenir un territoire plus vaste que le Rwanda? Ce sont-ils ses nouveaux recrus qui tiennent tête haute aux FARD même si vous les décrivez comme sans expérience de guerre ? Quoi qu’il en soit, la vérité éclatera un jour.

  2. Bite

    Vous êtes les seuls à oser dire la vérité . Soyez forts, la vérité triomphera un jour. Bien qu’on vous menace, qu’on vous fasse peur, ceux qui aiment le peuple burundais, ceux qui aiment la paix, ceux aiment la transparence vous soutiennent.

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