A la veille de l’enterrement du président Nkurunziza, Iwacu publie le commentaire du directeur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à l’ONG Amnesty International. Deprose Muchena revient sur les 15 ans de son pouvoir et appelle le successeur du président Nkurunziza à tirer un trait sur l’héritage « entaché» du défunt, à impulser une société respectueuse des droits de l’Homme et à mettre en place un gouvernement qui honore ses obligations.
L’annonce de la mort du président sortant du Burundi Pierre Nkurunziza le 8 juin 2020 a stupéfié toute une nation et le monde. Dans le contexte de la pandémie mondiale de COVID-19, la maladie et la mort soudaines du président ont soulevé de nombreuses questions, particulièrement car le gouvernement aurait minimisé le taux d’infection au Burundi. Pierre Nkurunziza sera resté aussi controversé et clivant dans sa mort que pendant sa vie. Alors que le pays fait le deuil du président Pierre Nkurunziza, les Burundais pleurent également les milliers de personnes qui ont été victimes de violences sous son gouvernement.
Pierre Nkurunziza est né en décembre 1964 dans la province de Ngozi. Son père, Eustache Ngabisha, était un député et gouverneur hutu tué pendant les massacres de 1972. Après avoir excellé pendant ses études, Pierre Nkurunziza était devenu professeur à l’université du Burundi en 1995, lorsque des étudiants hutus ont été massacrés sur le campus. Après avoir échappé de justesse à une tentative de meurtre, Pierre Nkurunziza a rejoint la rébellion.
Il a rapidement gravi les échelons au sein du Conseil national pour la défense de la démocratie au Burundi-Forces pour la défense de la démocratie au Burundi (CNDD-FDD) et est devenu secrétaire général adjoint du mouvement rebelle en 1998, puis président du mouvement en 2001. Après une scission du mouvement en 2001, il en a été de nouveau élu président en 2004. En février 1998, Amnesty International avait publié une action urgente en sa faveur, lorsqu’il avait été condamné à mort à l’issue d’un procès inique lors duquel il n’avait pas été présent pour se défendre. Après avoir signé un accord de cessez-le-feu en 2003, le CNDD-FDD est devenu un parti politique en 2004 et a remporté la majorité des sièges lors des élections législatives de 2005. Pierre Nkurunziza a été élu président par un vote des membres du Parlement en août 2005.
Après des années d’une guerre civile sanglante, pendant laquelle 300 000 personnes ont été tuées et des crimes et de graves exactions ont été commis par toutes les parties au conflit, le début de la présidence de Pierre Nkurunziza représentait un grand espoir pour de nombreuses personnes au Burundi. Son gouvernement a pris des mesures très populaires, comme l’instauration de la gratuité de l’enseignement primaire et des soins obstétriques. La peine de mort a été abolie en 2009.
Cependant, en 2006, un grave événement a donné un avant-goût de la manière dont ces espoirs allaient être brisés. Entre mai et août 2006, plus de 30 personnes ont été arrêtées arbitrairement dans la province de Muyinga, car soupçonnées d’appartenance aux Forces nationales de libération (FNL), un groupe armé, et ont été transférées vers le camp militaire de Mukoni. Fin juillet, les corps d’au moins 16 des hommes arrêtés, parmi lesquels des réfugiés qui pensaient pouvoir rentrer chez eux en toute sécurité, ont été repérés flottant dans des rivières.
Pendant plusieurs années, le Burundi a accueilli l’une des sociétés civiles les plus dynamiques de la région. Malgré les tentatives du gouvernement de réduire la dissidence au silence par des attaques et des actes de harcèlement, des défenseur·e·s des droits humains et des journalistes burundais continuaient de dénoncer les crimes relevant du droit international et les atteintes aux droits humains, notamment les arrestations et détentions arbitraires, les actes de torture et les autres mauvais traitements et les exécutions extrajudiciaires, perpétrés pendant le premier mandat de Pierre Nkurunziza. L’homicide du militant anti-corruption Ernest Manirumva en 2009 a démontré les dangers auxquels s’exposaient les personnes enquêtant sur des sujets sensibles, malgré l’engagement du CNDD-FDD à mettre fin à la corruption.
Les élections de 2010 ont marqué un tournant dans la dynamique politique du pays. Après avoir dénoncé une fraude électorale, les partis d’opposition ont boycotté les tours suivants des élections présidentielle et législatives. Enhardi après avoir remporté 91 % des suffrages lors de l’élection présidentielle, 81 % des suffrages pour les élections législatives et 94 % des suffrages pour les élections sénatoriales, le CNDD-FDD a renforcé son emprise sur le pouvoir. Les années qui ont suivi ont été marquées par des restrictions croissantes de l’espace civique, l’affaiblissement de la supervision du pouvoir exécutif par le Parlement, des attaques contre l’indépendance de la justice et la première tentative de modifier la Constitution en vue d’affaiblir les dispositions relatives au partage du pouvoir.
Si l’élément déclencheur de la crise qui a éclaté en 2015 a été la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat, cette crise était en réalité la conséquence de plusieurs années d’attaques contre l’espace civique et politique dans le pays. De nombreuses personnes pensent que la candidature de Pierre Nkurunziza pour un nouveau mandat constituait une violation de la Constitution du Burundi et de l’Accord d’Arusha de 2000, qui avait été signé alors que le CNDD-FDD était toujours un groupe rebelle et qui avait contribué à mettre fin à la guerre civile dans le pays. Des Burundais et des Burundaises sont descendus dans la rue pour manifester contre le troisième mandat. Les manifestations ont été violemment réprimées par les forces de sécurité, qui ont eu recours à une force excessive et, parfois, meurtrière. En mai 2015, alors que le président était à Dar es Salaam pour un sommet d’urgence de la Communauté d’Afrique de l’Est destiné à résoudre la crise, une tentative de coup d’État a eu lieu. À l’exception d’une brève visite dans la région de Tanzanie frontalière avec le pays en 2017, lors de laquelle il avait encouragé les réfugié·e·s burundais à revenir dans le pays, Pierre Nkurunziza n’a plus jamais quitté le Burundi.
Peut-être sans surprise, compte tenu des tensions qui ont entouré ses débuts, le dernier mandat du président Pierre Nkurunziza a été caractérisé par de violents actes de répression et une position de plus en plus isolationniste sur la scène internationale. Le Burundi a vu une augmentation des atteintes aux droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des arrestations et détentions arbitraires, des actes de torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants. De nombreuses personnes ont été la cible de représailles mortelles en raison de leur opposition réelle ou supposée au CNDD-FDD, simplement car elles avaient des liens avec des membres de l’opposition ou n’appartenaient pas au parti au pouvoir. Les Imbonerakure, membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, ont joué un rôle essentiel dans ce règne de la terreur.
Le gouvernement de Pierre Nkurunziza a continué de réprimer toute forme de dissidence ou de surveillance indépendante. De grandes organisations de défense des droits humains et des médias indépendants ont été fermés, et des centaines de défenseur·e·s des droits humains et journalistes ont dû fuir le pays. Bien qu’il ait dans un premier temps coopéré avec la mission d’établissement des faits de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en 2015 et avec l’Enquête indépendante des Nations unies sur le Burundi en 2016, le gouvernement a rapidement clos les voies de suivi international relatif aux droits humains et a déclaré plusieurs représentants internationaux persona non grata.
L’ampleur et la gravité des crimes commis sous la houlette du président Pierre Nkurunziza depuis 2015 ont poussé la Cour pénale internationale (CPI) à ouvrir un examen préliminaire sur la situation au Burundi en 2016. Bien que le gouvernement ait essayé d’entraver le travail de la CPI en se retirant du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, une enquête exhaustive a été autorisée en 2017 et est toujours en cours.
Malgré un grand nombre d’éléments de preuve, le gouvernement de Pierre Nkurunziza a systématiquement nié les accusations de graves atteintes aux droits humains. Si le défunt président ne sera jamais amené à rendre des comptes pour les crimes au regard du droit international commis par ses subordonnés, il reste toutefois aussi important que jamais que justice soit faite, afin de rendre hommage aux milliers de victimes et de permettre à la vérité d’éclater au grand jour. Ce n’est que quand justice sera rendue que le Burundi pourra guérir de ses blessures, se réformer et aller de l’avant.
Après le référendum de 2018, de nombreuses personnes ont été surprises et se sont montrées sceptiques lorsque Pierre Nkurunziza s’est engagé à ne pas briguer un nouveau mandat. Evariste Ndayishimiye, le secrétaire général du CNDD-FDD, a été nommé candidat du parti au pouvoir et déclaré vainqueur de l’élection présidentielle du 20 mai 2020. Pierre Nkurunziza aurait dû devenir le « guide suprême du patriotisme » du pays, qui serait consulté sur les questions relatives à la sauvegarde de l’indépendance du pays, à la consolidation du patriotisme et à l’unité nationale, ce qui assurait la continuité de son influence politique.
Après les élections et la confirmation des résultats par la Cour constitutionnelle, le Burundi vivait une période de transition et le président nouvellement élu Evariste Ndayishimiye devait prendre ses fonctions en août 2020. En raison de la mort de Pierre Nkurunziza, cette transition sera accélérée et l’investiture aura lieu le 18 juin. De grands espoirs ont été placés dans les mains d’Evariste Ndayishimiye. Le nouveau président doit tirer un trait sur l’héritage entaché de Pierre Nkurunziza. Pour aller de l’avant, le Burundi doit renoncer à l’impunité, mettre fin au climat de peur, faire face aux violations des droits humains commises par le passé et construire une société respectueuse des droits humains. Les nouveaux dirigeants doivent respecter les obligations régionales et internationales du Burundi en matière de droits humains. La population du Burundi attend une nouvelle aube. Le nouveau gouvernement ne doit pas la décevoir.