Des positions des Shebabs prises, des voies de communication ouvertes et sécurisées, une assistance socio-sanitaire aux Somalis, etc. L’œuvre des troupes burundaises en Somalie est positivement appréciée. Et quoique le plan de transition somalienne prévoie le retrait des troupes de l’Amisom en Somalie en 2021, l’heure ne semble pas opportune. Reportage.
Par Edouard Nkurunziza
Après la libération à Mogadiscio de l’Académie militaire, du ministère de la Défense, de l’Université, de Danil… Toutes entre les mains des Shebabs, les troupes burundaises ont été affectées au secteur 5 de l’Amisom, à Jowhar, dans la région de Middle Shabelle. Le secteur abrite aujourd’hui l’état-major du 12e contingent burundais. C’est à 128km au nord de Mogadiscio. Iwacu s’y est rendu mercredi 5 février.
L’aventure vers Jowhar town
Le petit aérodrome de Jowhar air Field est très sécurisé, ce mercredi. Sous un soleil de plomb de cet après-midi, des militaires lourdement armés montent la garde tout autour. Quelques véhicules blindés, au loin, une Somalienne garde ses ânes. Elle scrute notre jet qui atterrit.
Avec nos gilets et casques pare-balles, nous passons par l’état-major du contingent burundais, érigé non loin de l’aérodrome, pour nous rendre à Jowhar town, la capitale de l’Etat de Hirshabelle. Le convoi d’une dizaine de blindés est bientôt en route. Une véritable aventure…
Les talkiewalkies grésillent. De temps à autre, des consignes. Il faut vérifier si tout le monde a mis son casque. Dans notre véhicule, Oscar, l’un des militaires basés à l’état-major, explique que le port du casque constitue une condition sine qua non de droit aux dédommagements en cas d’attaque. «Bah, en ce qui nous concerne, nous avons signé la décharge auprès de l’Amisom et de l’UN. Si quelque chose nous arrive, nous ne demanderons rien en cas d’accident », nous disons-nous.
Les échanges se poursuivent. Nous nous informons sur les embuscades des Shebabs aux convois de l’AMISOM, sur les relations entre les troupes burundaises et la population somalienne, etc. Au-dehors, par endroit, des vaches grasses, des ânes, des chèvres broutent une herbe sèche.
De temps à autre, nous jetons un œil sur les stigmates des attaques à la bombe laissés sur le véhicule blindé qui nous transporte. Nous transpirons. Un « tuk-tuk » en provenance de Jowhar town vient à notre rencontre. Il semble venir se cogner sur notre blindé. Nous avons peur. « Et si ce sont des kamikazes ? », lance Karim. Nous essuyons la sueur qui devient de plus en plus abondante. Fausse alerte. Le « tuk-tuk » poursuit sa route. On nous explique qu’à part les engins explosifs posés sur les routes, des Shebabs s’explosent, et ils le font souvent avec des véhicules…
Les IED, la menace des convois de l’Amisom
Au bout du trajet, au niveau du pont Labiga, le convoi s’arrête. Nous ignorons pourquoi. Un danger ? Nous sommes soudain appelés à descendre du véhicule. Des militaires se déploient dans tous les sens. Un drone est lâché dans les airs. Il faut assurer la sécurité de la place. « C’est un exercice de simulation de détection, d’identification d’un engin explosif improvisé (IED) qui va commencer », confie Oscar.
Trois hommes s’alignent au point de départ. Des outils d’identification des IED à l’appui. Il y a des consignes pour le départ de tout un chacun. Ce sont des experts dans l’identification des IED (assemblage de différents matériaux usés mêlés aux produits chimiques que l’on fait exploser grâce à un poste téléphonique). Ils font partie d’une équipe spécialisée formée par UNMAS, le service de l’action anti mine des Nations unies qui appuie les opérations de l’AMISOM.
Selon le lieutenant-colonel Dieudonné Niyonizigiye, un des militaires travaillant pour UNMAS, sa compagnie lutte contre ces armes en formant des équipes de recherche des IED sur les itinéraires, celles de destruction des engins découverts et d’autres pour la conduite des convois. UNMAS équipe aussi les troupes en véhicules blindés munis de bombes armes, en robots, en explosifs, bref tout le matériel pour la neutralisation des IED. Une formation au bilan positif, dit-il, parlant de 34 IED qui ont explosé dans le premier semestre de 2019 sans causer de dégâts.
Le lieutenant-colonel Niyonizigiye explique que les Shebabs recourent à ces engins, car très accessibles, extrêmement moins cher et sans pertes humaines de leur côté. « Un engin de plus ou moins 50$ peut détruire un véhicule blindé de plus de 600 mille dollars avec tous les militaires qu’il transporte ». Ces embuscades visent à empêcher les mouvements des forces de l’AMISOM entre les positions.
L’administration ne veut pas encore le départ de l’AMISOM
Après la simulation, nous débarquons enfin à Jowhar town. Deux jeunes femmes observent notre procession, puis s’en détournent et regagnent leurs habitations. Un âne tire un charriot qui transporte deux hommes. Un peu devant, en bas d’un bâtiment où est marqué Hôtel Macow, des maisons complètement détruites.
Le convoi avance. Au Jowhar University (un ancien campus de Plasma University qui n’est plus fonctionnel), un jeune homme, chemise à carreaux et pagne violet sur la partie inférieure, sort d’un tuk-tuk, kalachnikov à l’épaule, échange quelques paroles avec un militaire burundais avant de remonter sur la motocyclette. A environ 100 m de là, un pick-up roule à petite allure, mitrailleuse sur sa partie arrière, avec un jeune homme vêtu également d’un pagne autour de la taille. «Ce sont des forces nationales somaliennes. Ils n’ont pas encore évolué. Ils manquent cruellement d’équipement », explique un militaire burundais.
Nous rencontrons encore d’autres militaires somalis, aux costumes différents, reconnaissables uniquement par les fusils qu’ils portent. Il faudra arriver au ministère de l’Intérieur de l’Etat de Hirshabelle pour savoir ce que l’administration pense du travail des troupes burundaises et des forces somaliennes.
«Si j’essaie de compter ce que le contingent burundais a fait pour nous, je ne saurais terminer », avouera Mohammed Abdi Cheikh, vice-gouverneur de l’Etat de Hirshabelle devant des journalistes burundais. « Il a bien maintenu la sécurité de toutes les villes qu’il sécurise, débroussaillé la route reliant l’aérodrome de Jowhar air Field et la ville de Jowhar et la sécurité est bonne sur cette voie».
Ce responsable administratif parle également de l’assistance en eau potable, de l’offre des services médicaux aux habitants des différentes parties de la région Middle Shabelle, de la réhabilitation des ponts, etc. «Ils font un excellent travail et nous sommes reconnaissants de leur sacrifice ».
Interrogé sur le transfert des responsabilités aux forces nationales tel que conçu dans le plan de transition somalienne, Abdi Cheikh n’y va pas par quatre chemins : «Nous ne sommes pas encore en mesure de défendre les différentes villes sans l’AMISOM.» Pour lui, le retrait des troupes de l’AMISOM serait céder la place à l’ennemi. Au lieu du retrait, conclut-il, nous voudrions que l’effectif des troupes soit revu en hausse.
« Le retrait des troupes sera conditionné… »
Un travail également apprécié par Francisco Jose Madeira, le chef de la mission de l’Union africaine en Somalie. «Les troupes burundaises sont déployées dans de nombreuses villes de l’Etat de Hirshabelle et elles les défendent très courageusement », assure-t-il, avant d’ajouter : «Si elles n’étaient pas là, ces villes auraient été envahies par les Shebabs. Ce sont des gens très honnêtes malgré un travail dans des conditions extrêmement difficiles.»
S’agissant du retrait des troupes de l’Amisom en 2021, l’ambassadeur Madeira parle au conditionnel : « Les délais devraient être conditionnés par la capacité des forces somaliennes à assurer la relève.»
Outre la sécurisation des villes, l’assistance socio-sanitaire aux populations somaliennes, les troupes burundaises ont surtout le grand mérite d’avoir ouvert des voies de communication pour la circulation des personnes, biens et des services. «Je peux dire que c’est le contingent qui a le plus ouvert des voies de communication », se félicite Général de Brigade Domitien Kabisa, le chef d’état-major des forces AMISOM. Et dans la réalisation du concept des ensembles des opérations, CONOPS 2018-2021, ajoute le Général de Brigade Richard Banyankimbona, commandant du 12e contingent burundais, les forces burundaises en sont déjà à plus de 70%.
Les troupes burundaises sont présentes en Somalie depuis 2007. Elles opèrent sous le mandat de l’AMISOM, ensemble avec les troupes kenyanes, djiboutiennes, ougandaises et éthiopiennes.