Samedi 26 octobre 2024

Politique

Ambiance pré-électorale : qu’elle est loin la fièvre de 2019 !

Ambiance pré-électorale : qu’elle est loin la fièvre de 2019 !
Le président Ndayishimiye lors de la campagne électorale de 2020

Alors que l’ambiance pré-électorale était, en 2019, relativement de mise, la situation n’est pas la même à la veille des élections de 2025. À environ huit mois des élections législatives, communales et sénatoriales, Iwacu a approché certains chefs des partis politiques. Ils expliquent ce manque d’engouement aujourd’hui.

Malgré des tensions politiques palpables et des préoccupations concernant les libertés civiques, l’ambiance politique était relativement dense en 2019, c’est-à-dire à la veille des élections de 2020. « Plusieurs partis politiques étaient visibles sur le terrain », rappelle un observateur de la scène politique burundaise.

Selon lui, l’arrivée du Congrès national pour la liberté, CNL a alimenté le débat politique. « Considéré comme le principal parti de l’opposition, ce parti fondé par Agathon Rwasa, a visiblement gagné de plus en plus en popularité. Il était même perçu par une certaine opinion comme un sérieux concurrent du CNDD-FDD ».

En 2019, on observait également sur le terrain d’autres formations politiques dont le parti de Rwagasore, Unité pour le progrès national (Uprona). Qu’en est-il de la situation à la veille des élections de 2025 ?

Un travail de sape

La veille des élections de 2025 fait débat. Des vicissitudes politiques marquent l’année 2024. Précédant les élections de 2025, elle est surtout caractérisée par un travail de sape à l’endroit du CNL d’Agathon Rwasa, principal parti de l’opposition, qui a abouti à son éviction à la tête du parti.

En effet, de vives tensions internes « visiblement téléguidées » caractérisent les membres du CNL. Pour rappel, alors que les activités de ce parti étaient jusque-là suspendues pendant plusieurs mois, le 10 mars 2024, un congrès extraordinaire s’est tenu à Ngozi. Validé par le ministère de l’Intérieur, ce congrès a désigné Nestor Girukwishaka comme nouveau président du CNL malgré des accusations de « violation des statuts du parti ».

Selon certaines indiscrétions au sein de l’opinion, l’éviction d’Agathon Rwasa a presque consacré la mort du CNL. « Avec l’arrivée de Girukwishaka, c’est comme un coup de baguette magique. Le CNL disparaît des radars ».

Ceci n’est pas sans effets. « C’est une situation qui renforce la mainmise du parti au pouvoir sur l’espace politique burundais », observe un politologue. Les partis qui tentent de se rendre sur le terrain ou d’élever la voix, analyse-t-il, voient leurs militants malmenés, emprisonnés ou condamnés à vivre en cavale. Leurs permanences sont vandalisées et détruites.

Les administratifs à la base ne leur facilitent pas la tâche puisqu’ils les empêchent de tenir des réunions statutaires et réglementaires. « Les cas des partis CDP d’Anicet Niyonkuru et du Frodebu de Patrick Nkurunziza en sont l’illustration ». Ce contexte, conclut-il, soulève ainsi des inquiétudes quant à la crédibilité des élections législatives prévues en 2025.

Les Badasigana réunifiés mais…

Agathon Rwasa en pleine campagne électorale de 2020 à Bujumbura

Un autre fait marquant dans l’autre sens s’observe chez le parti de Rwagasore. Après une décennie de brouilles, l’Uprona institutionnel et le camp de Tatien Sibomana se sont enfin réunifiés le samedi 25 mai 2024.

Presqu’une année avant, c’est-à-dire le 3 mai 2023, l’Uprona de Kumugumya dirigé par Olivier Nkurunziza a annoncé son alliance avec l’aile d’Evariste Ngayimpenda, Bonaventure Gasutwa et Yves Sahinguvu, l’ancien Premier vice-président. « Peut-être que les prochaines élections de 2025 y sont pour quelque chose », ironisent certains observateurs.

D’ailleurs, selon une source digne de foi au sein de l’Uprona, la réunification entre le camp Tatien Sibomana et Olivier Nkurunziza n’a pas encore abouti. « Depuis cette date du 25 mai dernier, aucune réunion n’est encore tenue pour mettre en application les recommandations formulées dont la mise en place des organes constitués par les membres de tous les camps. Et cela du sommet à la base », signale notre source.

Au regard de la situation qui prévaut à la veille des élections de 2025, le 19 septembre dernier, le président Ndayishimiye a décrit la situation comme une période de « stabilité », soulignant une « accalmie » alors que les élections ne sont projetées que dans quelques mois.

Dans son récent rapport, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains au Burundi, Fortuné Gaetan Zongo, alerte sur le risque de détérioration des droits humains en citant notamment les rétrécissements de l’espace civique et un processus électoral sous tension.

Ce rapport est rejeté par Gitega. Son mandat vient d’ailleurs d’être prolongé malgré les contestations de Gitega.


Réactions

Léonce Ngendakumana : « Presque la quasi-totalité des partis sont sous la responsabilité du CNDD-FDD »

Selon Léonce Ngendakumana, presque la quasi-totalité des partis politiques au Burundi sont sous la responsabilité du parti CNDD-FDD. « Ils n’attendent qu’on donne le signal pour soutenir les candidats de ce parti. Je n’en dis pas plus ».

À propos des observations du chef de l’Etat, l’ancien président de l’Assemblée nationale n’y va pas par quatre chemins : « Le président de la République est entouré par de mauvais conseillers qui lui fournissent de fausses informations dans tout et partout. Sinon, il ne pouvait pas parler d’accalmie avec les tensions vives qu’on observe entre le parti CNDD-FDD et les partis Frodebu, Codebu et CNL ; avec les enlèvements et la disparition des membres de ces partis ; avec la destruction de leurs symboles et signes distinctifs ; avec un processus électoral opaque sur tous les points de vue ».

D’après Léonce Ngendakumana, il s’agit d’un processus qui viole toutes les normes d’un processus électoral crédible : « un espace politique complétement verrouillé, un cadre légal des élections et une Ceni qui consacrent une exclusion de l’opposition. Des cas d’enlèvement, de torture et de disparition des membres des partis Frodebu et CNL ; pour ne citer que ceux-là ; la destruction des symboles et signes distinctifs de ces partis sont observés sur la quasi- totalité du territoire national ». Il trouve que cette situation n’augure rien de bon pour l’avenir du Burundi surtout que « les élections mal préparées et mal organisées ont chaque fois conduit à des drames humanitaires ».

M. Ngendakumana donne raison au Rapporteur spécial de l’ONU : « Sur base des faits décrits ci-dessus, il a parfaitement raison de tirer cette sonnette d’alarme. Mais, sera-t-il écouté par le gouvernement du Burundi ? Je doute fort sur base des faits antérieurs ».

Agathon Rwasa : « Le CNDD-FDD joue les prolongations »


Agathon Rwasa considère les élections de 2025 comme celles de 1960 quand la colonisation belge essayait de jouer les prolongations.

« Ce ne sont pas des élections démocratiques en vue mais, juste une mascarade électorale car il n’y a pas de compétition au regard du verrouillage politique ainsi que la dérobade de la justice vis-à-vis de la plainte du CNL en rapport avec la mise en scène du 10 mars 2024 à Ngozi par le ministère de l’Intérieur et la présidence de la République », insiste-t-il.

Olivier Nkurunziza : « C’est peut-être un problème de moyens »

Le président du parti Uprona reconnaît que la situation à la veille des élections de 2025 est différente de celle de 2019. Il explique en effet que « l’ambiance relative » sur le terrain s’explique par la pauvreté des partis. « Les partis politiques sont pauvres. Ils n’ont pas de moyens suffisants. Aller sur le terrain exige beaucoup de moyens ».

Olivier Nkurunziza donne d’autres raisons. Pour lui, la démotivation de certains acteurs politiques considérant que le processus électoral est biaisé d’avance est l’une des raisons de l’absence de ces derniers sur le terrain politique. Il souligne également que chaque période a ses réalités. « Contrairement aux élections générales de 2020, en 2025, il y aura des élections législatives, communales et sénatoriales. Or, les Burundais sont plus attirés par l’élection présidentielle ».

Le président du parti Uprona est d’avis avec le président Ndayishimiye sur « l’accalmie » qui règne au Burundi. « Le président de la République a effectivement raison. Il y a une accalmie au pays. On a fait une évaluation et on a constaté qu’il y a de la paix au Burundi. Ce qui manque, c’est la cohésion sociale qu’il faut toujours renforcer. La faim est aussi un autre défi ».

Olivier Nkurunziza qualifie le rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur le Burundi comme étant un rapport déséquilibré puisqu’il contient des informations tirées sur les réseaux sociaux. « Je n’ai jamais vu une personne qui vient de l’ONU pour nous poser la question sur la situation réelle du pays. Alors, une fois que l’on fait un rapport sans pour autant contacter tout le monde, le rapport devient déséquilibré ».

Toutefois, le député à l’Assemblée législative de l’Afrique de l’Est reste convaincu qu’il y a, dans ce rapport, des réalités mais qui ne sont pas vérifiables à 100%.

Kefa Nibizi : « Une partie de la population ne croit plus au résultat des urnes »

« Honnêtement parlant, la préparation aux élections de 2025 revêt un caractère singulier. Depuis 2005, c’est pour la première fois qu’on n’observe pas de mouvement compétitif entre différentes formations politiques sur le terrain alors qu’on approche progressivement les échéances électorales. Il s’agit pour nous d’un recul de la démocratie qui a été savamment organisé d’abord à travers la Constitution de 2018 qui consacre le monopartisme dans les sphères de l’Exécutif mais aussi de certains actes de découragement ou de dénombrement des partis politiques. C’est l’exemple de ce qui s’est passé au sein du parti CNL qui s’est divisé en deux », explique le président du parti Codebu, Iragi rya Ndadaye.

Une autre justification selon Kefa Nibizi, c’est une certaine résignation au regard des processus électoraux précédents où une partie de la population ne croit plus au résultat des urnes et croit que les résultats des urnes sont préparés avant même le processus électoral.

La dernière justification à ce phénomène, selon toujours le président du Codebu, ce sont les intimidations qui s’observent ici et là. « Ces intimidations étaient toujours là même pendant les élections antérieures mais, quand on continue à être intimidé, on perd l’espoir de pouvoir s’en sortir après les élections. Vous comprenez que l’engouement aux élections diminue progressivement ».

Quant aux formations politiques qui ne sont visiblement pas sur le terrain alors qu’il ne reste que quelques mois avant les élections, Kefa Nibizi est catégorique : « Il ne faudrait pas se le cacher. Les formations politiques burundaises connaissent un problème sérieux de fonctionnement parce qu’elles n’ont pas de moyens suffisants pour se rendre sur le terrain comme ils le veulent. Pour cause, les ressources de financement ici au Burundi ne sont que les contributions des membres. Or, les militants qui peuvent contribuer pour les partis politiques sont soit les hauts fonctionnaires ou les hommes d’affaires. Or, ces derniers sont, bon gré mal gré, des militants du parti au pouvoir ».

Concernant la mise au point du président de la République, M. Nibizi considère plutôt qu’il s’agit non seulement d’une absence de compétition due au musèlement de l’espace politique, à l’asphyxie financière qui est imposée aux partis politiques mais aussi d’un démantèlement qui est toujours imposé ou accolé à tous les partis politiques qui manifestent un certain élan de force et de compétitivité.

Revenant sur le rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains au Burundi, Kefa Nibizi pense qu’il est en partie vrai parce qu’effectivement il y a plusieurs partitions que le gouvernement et d’autres acteurs politiques ont jouées pour restreindre l’espace politique ainsi que les libertés politiques et civiques.


Trois questions à Guillaume Ndayikengurutse

Guillaume Ndayikungurutse : « Il y a de l’accalmie relative »

Ce professeur d’Université fait le point sur l’ambiance politique à la veille des élections de 2025 comparativement à celle de 2019. Il revient également sur le récent rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur le Burundi.

Lors d’une séance de moralisation à Cankuzo, le 19 septembre dernier, le président Ndayishimiye a décrit la situation actuelle au Burundi comme une période de « stabilité » soulignant une « accalmie » dans le pays alors que les élections ne sont prévues que dans quelques mois. Votre analyse ?

C’est vrai qu’il y a une accalmie relative par rapport aux élections à venir. Mais, cela se justifie peut -être par de nombreux facteurs dont notamment le fait que peut-être il y a d’autres préoccupations d’ordre social et économique au sein de la population. Ces préoccupations priment, par essence, sur les dynamiques politiques.

Quid de l’ambiance pré-électorale aujourd’hui comparativement à celle de 2019, à la veille des élections de 2020 ?

Si vous faites la comparaison avec l’ambiance pré-électorale d’avant les élections de 2020, maintenant on ne voit vraiment pas de partis politiques qui essaient de rivaliser en termes de compétition politique alors qu’avant, en 2019, il y avait des partis qui avaient des visions complètement différentes sur la façon dont le pays devrait être géré.

Cela a occasionné, en 2019, une certaine effervescence politique qu’on ne voit pas aujourd’hui. Actuellement, on a l ’impression qu’il n’y a vraiment pas de partis politiques qui se font face. Peut-être que dans les mois à venir on pourra assister à cela. Mais, pour le moment, c’est une dynamique qui tarde à éclore.

Quelle analyse faites-vous du rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur le Burundi récemment présenté à Genève ?

Ce rapport qu’il a fait n’apporte rien de nouveau. C’est du déjà connu. Chaque fois que nous nous approchons des élections, il y a des turbulences politiques qui sont parfois emmaillées par des violations des droits de l’Homme et des libertés publiques.

Mais, par rapport à la méthodologie qu’a utilisée le Rapporteur spécial, on sent qu’il y a un manque d’équilibre. On sent qu’il n’y a pas eu de prise en compte réel de tous les points de vue des acteurs de la société burundaise.

Nonobstant, vu que nous sommes tout de même un pays qui a connu un passé difficile qui reste exposé aux dérapages, ce mécanisme reste nécessaire pour le Burundi.

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