A la survie sur les trottoirs de Bujumbura, a suivi le succès dans toute l’Afrique. Pour Alfred et Bernard, la musique traditionnelle burundaise a servi de caisse de résonnance d’un bonheur musical dangereusement transmissible !
<doc7665|left>Pour le pire et pour le meilleur. Dans la vie comme dans la musique, le duo Alfred et Bernard, tout comme leurs pères qui sont cousins germains, ne se quittent jamais. « On fait tout ensemble » souligne Alfred. Mais Bernard en rigolant rectifie, « Tout ?! Non, n’exagère pas quand même » et le ton était donné pour notre entretien.
Alfred, 25 ans, élancé, est le moins farceur, pour ne pas dire le plus sérieux, des deux artistes. Bernard, 27 ans, petit, est un grand comique. Complémentaires et complices, l’un termine la phrase de l’autre. Entre deux rires, Bernard lance : « Mais la vie n’a pas toujours été ainsi pour nous, vous savez ! »
Liés par le destin
Alfred et Bernard ont connu les camps de réfugiés et la rue. « Parfois on se mettait à 6 pour tisser une natte, afin d’avoir au moins 500 Fbu de ration, sinon on ne mangeait pas ce jour-là » se souvient Alfred, soudain sérieux. Mais ce qui ne nous tue nous rend plus fort, dit-on. Et cela prend véritablement sens chez ces deux artistes. La guerre après les avoir séparés, les réunira davantage. Afin de survivre, les deux jeunes jouent de la musique sur les plages et dans les bistrots de Bujumbura. Ils sont appréciés par les gens, leurs chansons font rire petits et grands. Vers les années 2000, les efforts finissent par payer, non seulement volent-ils la vedette à leurs pères, mais ils gagnent aussi un peu plus d’argent. « Le Saga plage ne pouvait plus se passer de nous », raconte Bernard, amusé.
En 2005, leur vie prend une autre tournure. L’ancien directeur de la radio publique africaine, Alexis Sinduhije, avant d’embrasser sa carrière politique, leur assure une aide à la production de leur premier album. Il met sur pied le Tanganyika Studio et confie ses deux protégés à un producteur étranger Léon Bachir Dia, pour l’enregistrement d’un album. Il leur pose toutefois une condition : ils doivent retourner à l’école. Chose promise chose due. Les deux jeunes retournent à l’école, et en peu de temps, ils enregistrent leur premier album vers fin 2007 {« Nkunda abantu »} (J’aime les gens). Un succès musical total.
Dans un registre plutôt comique, les deux artistes content l’amour, la guerre, l’espoir et la vie. Leur premier album offre un excellent mariage entre le traditionnel et le moderne, invitant incontestablement à la danse. Et l’{umuduri} (un instrument traditionnel africain ancêtre du Berimbau brésilien) n’est pas en reste dans cette union, où il fusionne parfaitement avec des instruments modernes guitares, trompettes, batteries.
Au-delà des frontières
Depuis 2008, le duo concourt aux quatre coins de l’Afrique voire même au-delà : Cameroun, Brazzaville, Rwanda, Kenya, Chine, etc. Et, revanche sur la vie, partout où ils se produisent, ils remportent le premier prix. « Notre succès est tel, que si on chante en premier dans un festival, le public rentre dès que notre prestation prend fin. Maintenant, on nous met en dernier » se vante Bernard. Le 20 août 2011, nos deux virtuoses ont reçu le premier prix de musique traditionnelle aux East African Music Awards pour leur titre {Igikumi Korotirida}. Une fierté nationale, une preuve que le Burundi regorge de talents.
Aujourd’hui, leur projet est d’ouvrir un centre de formation en musique traditionnelle « si tout va bien, d’ici juillet, nous lancerons notre école de musique traditionnelle » dit l’un car, complète l’autre « il faut vraiment revaloriser les instruments traditionnels. »
Toutefois, malgré leur notoriété, les jeunes artistes se plaignent du non-respect des droits d’auteur. « Beaucoup de gens croient que nous sommes riches. Mais c’est archi-faux, même le peu de sous que nous gagnons dans les concours et concerts, nous le partageons avec nos familles et producteurs ». explique Alfred. « Mais c’est sûr un jour, nous vivrons de notre musique, et qui sait, nous aurons des voitures et des villas, même si aujourd’hui, nous circulons en taxi-moto » se rassure Bernard, avec humour.