Aujourd’hui libre, le président du MSD explique comment et pourquoi il a été arrêté.
<doc2808|right>{ Iwacu : Que faisiez-vous à Dar-es-Salaam?}
Alexis Sinduhije : Ce n’est pas la première fois que j’étais dans la région. Je suis plutôt en danger dans mon propre pays, malgré le discours officiel, et mon arrestation prouve que le gouvernement burundais cherche à tout prix à me faire taire. Cependant, et jusqu’à preuve du contraire, j’ai encore le droit de circuler librement dans les pays de mon choix. A fortiori dans les pays de l’EAC, communauté dont le Burundi fait partie. Je ne peux faire de la politique à des dizaines de milliers de kilomètres de mon pays. Je dois rester en contact avec différents protagonistes, décideurs étrangers, gouvernements, autres Burundais exilés. Et il le faut bien, car je le répète : mon terrain à moi c’est la démocratie et la paix, donc la rencontre.
{Vous n’avez pas répondu à ma question…}
Je me rendais donc Dar-es-Salam pour un programme de réunions, de débats et de réflexion sur un vrai programme de sortie de crise, mais en aucun cas pour soutenir la moindre aventure guerrière ou violente.
{Il semble que vous n’étiez pas en ordre au niveau du passeport ?}
J’ai découvert cette "version des faits" en arrivant sur le sol européen ! Tous mes papiers sont en règle. Ceci n’a, à aucun moment, été remis en question. C’est d’ailleurs après le passage de l’immigration à l’aéroport de Dar-es-Salam que j’ai été arrêté. Mon identification semble d’abord avoir été faite visuellement et c’est mon passeport qui en a assuré la double validation pour procéder à l’arrestation.
{Comment avez-vous été traité par les Tanzaniens ?}
Il y a eu deux périodes. Au début, puisque mes geôliers n’étaient informés que de rumeurs contre moi (implication dans l’assassinat de Kassy Malan, dans celui de mon cuisinier puis dans le massacre de Gatumba…), mon traitement fut difficile et brutal. Lorsque peu à peu, la réalité de cette arrestation s’est imposée aux autorités tanzaniennes comme vide de toute charge alors que le Burundi s’avérait incapable d’argumenter la moindre accusation, ils ont commencé à remettre en question la version qui leur avait été confiée. De plus, je leur ai toujours affirmé que j’affronterai le cas échéant toutes les accusations, car je n’ai jamais commis aucun crime et je n’ai rien à assumer d’autre que l’exercice d’un art politique nouveau pour le Burundi, celui de la paix. A ce moment-là, mon traitement s’est amélioré, j’ai bien perçu l’embarras du gouvernement tanzanien à travers ses manifestations plutôt bienveillantes et rassurantes sur la suite réservée à cet… accident.
{Vous avez craint d’être extradé ?}
C’était ma plus grande crainte car je savais que c’était l’objectif principal de la manœuvre burundaise. Au Burundi, le cadre légal est fixé par le gouvernement, et là j’aurais été à la merci de toutes les accusations, mêmes les plus farfelues. J’aurais alors encouru la peine capitale, dans la plus pure tradition des grandes dictatures du siècle. Cette extradition aurait donc été, pour moi, synonyme de mort.
{Soyez plus concret…}
Il faut bien comprendre le processus de cette histoire : la justice burundaise demande mon arrestation à la Tanzanie, et cherche ensuite une accusation à faire valoir à Dar-es-Salam pour justifier une extradition qui aurait eu lieu hors de tout cadre légal. Il y aurait eu là un cas d’école judiciaire, celui d’une infraction très grave au droit international! La Justice burundaise aurait de belles leçons à recevoir en la matière de la part de son pays voisin.
{Selon vous la Tanzanie a respecté la loi ?}
Le gouvernement burundais a sous-estimé le professionnalisme de la Justice tanzanienne qui a su faire preuve de cran et de courage pour faire face aux pressions exercées par les autorités burundaises, par le biais du Procureur Général de la République qui était justement à Dar-es-Salaam à ce moment-là.
{Vous êtes donc reconnaissant envers les autorités tanzaniennes ?}
Je tiens donc à saluer la sagesse de la décision qui a été prise par les autorités tanzaniennes car, si certains parlent d’expulsion, moi je parlerais plutôt de libération. Cette décision montre à quel point les deux termes "Etat souverain" et "justice indépendante" ont encore de la valeur dans certains pays. La Tanzanie est, sans aucun doute, de ceux-là.
{Aujourd’hui, que diriez-vous aux autorités burundaises ?}
Je n’ai rien à leur dire puisque le dialogue ne semble pas être leur langage. Personnellement, je préfère utiliser la force des arguments plutôt que les arguments de la force… Néanmoins, le Burundi est autant mon pays que le leur et je ne resterai pas éternellement à l’extérieur. Je ne reviendrai pas les armes à la main, mais plutôt avec un programme de gouvernement global destiné à sortir mon pays du sous-développement à l’origine de la misère de mes concitoyens.
{Quel enseignement tirez-vous de cette expérience ?}
En accaparant la justice et la police, un gouvernement se pose en dictature. Quelle image mon pays donne-t-il au monde avec une aventure aussi misérable que la manipulation misérable d’un pays voisin, pour mettre sur la touche son principal opposant? Posez plutôt la question au gouvernement burundais…