L’Etat ne prévoit mettre dans son coffre aucune devise pour l’année budgétaire 2019/2020. Les projections réserves officielles de change n’apparaissent pas dans les projets de loi des finances adoptée par l’Assemblée nationale. Pourquoi cet indicateur a été ignoré ? Eclairage.
«La commission des comptes publics et des finances, des Affaires économiques et de planification recommande à l’assemblée d’adopter le projet de loi », lit-on dans le rapport de ladite commission. Ce document a été signé le 28 mai dernier.
Surprise ! Ce budget de l’Etat est bâti sur trois grandes hypothèses de projections au lieu de quatre : une croissance de 4,2% du PIB, une inflation de fin de période 2019/2020 estimée à 8,1% et une pression fiscale de 13,7% du PIB. L’hypothèse concernant les réserves officielles de change est exclue dans ce projet de loi.
Cela signifie que le pays n’espère ni augmenter ni maintenir la quantité de devises qu’il détient. Dans une vingtaine de questions de cette commission, aucune ne soulève l’absence de cette hypothèse qui ne figure donc pas dans la liste des amendements.
Mercredi 29 mai, dans le Palais des Congres de Kigobe. Même constat. L’absence de projection des réserves de devise dans le projet de loi n’a pas inquiété les élus du peuple. Personne n’a levé son petit doigt pour demander à l’argentier de la république pourquoi l’Exécutif a décidé d’ignorer cet indicateur. Le projet de loi portant budget général de l’Etat pour l’année 2019/ 2020 est donc désormais arrêté : l’Assemblée nationale l’a définitivement adopté. Domitien Ndihokubwayo, ministre des Finances, était convaincant. 111 députés ont voté pour tandis que deux ont rejeté ce projet de loi.
Pourquoi les réserves officielles de change ne figurent pas parmi les hypothèses de projection comme à l’accoutumée ? Le Législatif n’a pas remarqué cette « omission » ?
Pour certains observateurs, cette omission pourrait être volontaire. L’Etat ne veut pas révéler que son économie est au bord du gouffre. Pour d’autres, cette « erreur » montre l’incapacité des élus du peuple à contrôler le gouvernement.
Les réalisations font défaut
Sur ce point, les autorités monétaires sont réalistes. Elles optent d’exclure cet indicateur. Car, pour projeter les réserves de change de l’exercice 2019/2020, il faut absolument se baser sur des réalisations des années antérieures. Or, les rapports trimestriels de la politique monétaire de la BRB révèlent que les réserves en devises ont fortement diminué ces quatre dernières années. Elles sont passées de 317,26 millions de dollars en janvier 2015 à 59,3 millions de dollars américains en septembre 2018. Le taux de couverture des importations des biens et services a fortement chuté. Il est passé de 4,1 à 0,8 mois.
Fin mars 2018, les réserves officielles ont diminué de 31,1% par rapport au dernier trimestre de 2017. Elles sont passées de 105,8 à 72,90 millions de dollars américains. Ces dernières ne pouvaient que couvrir 1,0 mois d’importations de biens et services.
Selon le rapport du mois de septembre 2018, la situation s’est dégradée. Les réserves officielles ont reculé de 19,4% par rapport au second trimestre. La position de change de la BRB était 59,3 73, millions de dollars américains qu’elle dépassait 73 en juin. Ces devises ne couvraient plus que 0,8 mois d’importation de biens et services.
Causes de l’assèchement des réserves
D’après les données disponibles des banques centrales, le stock de devises se réduit chaque trimestre. Plusieurs raisons expliquent cette diminution.
Pour limiter la décote du BIF, la BRR doit intervenir sur le marché de change en vendant des devises aux opérateurs économiques locaux, surtout les banques commerciales. Ces dernières devaient régler les factures des importations, de tickets de voyages…
Depuis 2015, les devises vendues n’ont cessé d’augmenter. Au premier trimestre, 106,4 millions de dollars américain ont été vendus. A la même période de 2017, ces interventions s’élevaient à 47,2 millions de dollars américains.
Au troisième trimestre de l’année 2018, les banques commerciales ont acheté à BRB 60,7 millions de dollars américains. A la même période de 2017, les interventions de la BRB s’élevaient à 47,4 60,7 millions de dollars américains.
La diminution des devises se justifie également par la baisse des aides extérieures liée au gel de la coopération par certains bailleurs de fonds. Elles constituent une source importante de devises pour les pays en voie de développement. En outre, les organisations non gouvernementales qui ont plié leurs bagages logeaient leur compte en devises à la BRB.
A cela s’ajoute un déficit commercial chronique. Ce qui a contraint l’Etat a financé les importations par les réserves de change. Au mois de juin 2018, les devises tirées des exportations n’ont couvert que 18 % de la facture des importations. Pour les 82 % restants, l’Etat devait puiser dans les coffres des réserves. Au troisième trimestre, le déficit commercial s’est aggravé. Les devises procurées par les produits exportés n’ont payé que 12,7 % des importations.
En dépensant beaucoup plus de dollars américains qu’elle n’encaisse, la BRB épuise largement ses devises. Selon les critères de convergences de la Communauté Est Africaine, cette situation est alarmante. Le niveau plancher est fixé à 4,5 mois d’importations.
Conséquences désastreuses
Ce mouvement baissier, couplé avec l’absence de réserves de change dans le projet de loi des finances 2019/ 2020 constitue une source d’incertitude. Car, les statistiques portant sur les réserves internationales revêtent une importance cruciale. Vu que la cote d’alerte de réserve de change est déjà atteinte, cette situation inhibe tous les contre-feux notamment les investissements directeurs étrangers, les recettes du tourisme … Cette fonte de réserves est inéluctable.
Désormais, la BRB ne peut pas répondre efficacement au marché de change lorsque les prix de devise flambent. Les faits sont têtus. Depuis le début de juin, la hausse vertigineuse des prix de devises est une réalité. Dans certaines maisons de change, le dollar s’achète à 3000 BIF. La monnaie européenne s’échange à 3300 BIF.
Tout le monde sait que les réserves en devises sont vitales pour l’économie. Sans le stock adéquat, le Burundi serait dans l’incapacité de payer ses importations telles que le carburant ou payer la dette. Si demain les réserves de change chutent encore pour atteindre 0,4 mois d’importation, le BIF sera encore déprécié. Cette dépréciation entraînera une hausse des prix intérieurs et, par conséquent, une baisse du pouvoir d’achat de la population.
Quelle voie de sortie ?
Le matelas de réserves en devises est à un seuil alarmant : 0,8 mois d’importation. L’économie nationale est en danger. Pour s’en sortir, les autorités monétaires doivent prendre des mesures d’urgence pour éviter de revivre le même scénario des années antérieures, marquées par le recours au FMI, avec la menace de cessation de paiement. Un tel scénario aura un impact direct sur la valeur du BIF. Celle-ci est soutenue par les réserves, la croissance et la balance commerciale. Si un de ces trois éléments est déstabilisé, la valeur BIF est affectée. Par ailleurs, tous ces piliers affichent de mauvais signaux. Le taux de couverture des importations est proche de zéro. La croissance économique stagne. La balance commerciale est toujours déficitaire. Si la situation ne se redresse pas, le recours à l’endettement extérieur sera inévitable.
Vaut mieux prévenir que guérir. Il est préférable que les autorités empruntent de l’argent sur le marché financier international avant l’épuisement de ses réserves. Après, le pays ne sera pas en position de force pour négocier.