A l’endroit dit Kumase, zone Ngagara, commune Ntahangwa, la pollution du lac Tanganyika ne fléchit pas. Et la jacinthe d’eau prospère. Une véritable menace pour la biodiversité, assurent les environnementalistes. Albert Mbonerane, ancien ministre de l’Environnement, fait le point sur cette plante au Burundi.
Est-ce que la jacinthe d’eau a toujours existé sur le lac Tanganyika ?
Cette jacinthe d’eau a commencé à pousser sur le lac depuis les années 1990. Comme l’historique, il y avait un étranger qui l’avait développé non pas pour envahir le lac Tanganyika mais pour l’ornementation. Parfois, cette plante donne de belles fleurs. On m’a raconté qu’avec la crise que nous avons traversée en 1993, cet étranger est parti, ainsi que ses employés. Ils étaient censés repasser pour récupérer ces déchets. Mais ils se sont dits, on va vendre les fleurs et on ne reviendra plus.
Qu’est-ce qui s’est passé après ?
Après l’utilisation, on jetait les déchets dans les caniveaux comme d’habitude. Et ces déchets ont coulé vers le lac Tanganyika. Voilà, l’origine de cette plante. Elle pousse très bien là où il y a de l’eau. C’est une plante envahissante, elle s’étale rapidement.
Quels sont ses effets sur la biodiversité ?
Elle gêne les êtres aquatiques. C’est un signal que l’endroit est pollué. De son nom scientifique Eichhornia crassipes, la jacinthe d’eau est un des nuisibles les plus dangereux de la planète, un véritable prédateur de la biodiversité aquatique. Sa prolifération rapide a une propension à étouffer toutes les autres espèces aux alentours.
Comment ?
Quand elle s’installe dans un endroit, elle forme de denses tapis monospécifiques qui bloquent la lumière aux strates inférieures. De plus, la jacinthe d’eau n’est pas seulement dangereuse de son vivant : en se décomposant, elle rejette des nutriments qui entraînent l’eutrophisation des eaux qu’elle occupe, empêchant, entre autres, le nettoyage naturel des rayons ultraviolets (UV) dans les eaux.
Que voulez-vous dire par ‘’eutrophisation’’ ?
Il s’agit d’une augmentation de la quantité d’azote et de phosphore présente dans un milieu aquatique, entraînant la prolifération dangereuse d’algues qui monopolisent l’oxygène de l’eau et entraînent, à terme, la disparition des autres espèces présentes, faute de suffisamment d’oxygène. (O2).
Existent-elles des techniques pour lutter contre cette plante ?
La technique la plus efficace est la lutte mécanique. On procède à l’extraction manuelle ou mécanique de cette plante. Cela a donné des résultats sur le lac Victoria. Des gens se sont lamentés que les poissons commençaient à fuir. Quand ils ont compris que c’est suite à l’envahissement de cette plante, ils ont pris des machines pour arracher cette plante.
On peut aussi faire la lutte chimique ou biologique. Pour cette dernière technique, elle renvoie à l’utilisation des agents biologiques, comme les charançons.
Mais, aujourd’hui, on dit que la jacinthe d’eau peut être exploitée utilement ?
D’un côté, la jacinthe d’eau est un problème, de l’autre, on peut utiliser ses feuilles pour autre chose. La biomasse, par exemple. On peut aussi fabriquer des paniers, et d’autres divers objets à base de ses feuilles.
Il y a donc des gens qui disent qu’il faut en profiter en multipliant la jacinthe d’eau. On va perdre totalement les poissons en faveur des paniers.
Que faire concrètement pour sauver Kumase et le lac ?
La situation est catastrophique. Ce qui est le plus important, c’est la sensibilisation des administratifs et des habitants. Il faut penser à des activités de nettoyage de cet endroit. Ce qui peut passer par l’organisation des travaux communautaires. Si un jour, on mobilisait les jeunes et les adultes de la mairie de Bujumbura pour des travaux à Kumase, je ne doute pas que le résultat serait très positif. Cet endroit peut redevenir vivable.
La santé des habitants de cet endroit est très menacée, surtout pour les enfants. Les gens n’en sont pas conscients. Pendant la sensibilisation, on devra parler du lien entre la santé et la pollution du milieu.
Il fut un moment où près du port, la jacinthe d’eau était une réalité. Mais, aujourd’hui, ce milieu est vivable. Qu’est-ce qui manque pour que Kumase redevienne propre ?
C’est tout simplement la volonté politique qui nous manque. Surtout qu’il n’y a plus de ministère de l’Environnement autonome qui doit s’occuper de tels cas.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze